Les médias sociaux stratégiques

Publié le 11/10/2013 à 14:06

Les médias sociaux stratégiques

Publié le 11/10/2013 à 14:06

Par Premium

En offrant aux décideurs de précieux renseignements en temps réel, les médias sociaux donnent aux entreprises de nouvelles informations stratégiques.

Auteurs : Martin Harrysson, Estelle Metayer et Hugo Sarrazin, McKinsey Quarterly

Aujourd’hui, bon nombre de personnes échangent librement des renseignements et des points de vue sur les plateformes sociales. En repérant et en mobilisant ces acteurs, en utilisant de puissantes analyses axées sur le Web pour en tirer un sens stratégique et en canalisant cette information vers les personnes de l’organisation qui en ont besoin et la veulent, les entreprises peuvent développer une « intelligence sociale » capable de servir en temps réel.

De nouvelles informations

Les médias sociaux donnent accès à de nouvelles informations. Aujourd’hui, les analystes établissent une différence entre les sources d’information traditionnelles (spécialisées, provenant des concurrents, des employés et des fournisseurs) d’une part et les sources d’information secondaires (données, articles et études de marché publiés) d’autre part. L’intelligence sociale (tirée des informations recueillies sur les médias sociaux) agit sur un autre plan. Selon cette logique, si vous pouvez trouver les bons curateurs et spécialistes qui recueillent, reprennent et soulignent de l’information essentielle et exacte, vous n’aurez plus à effectuer des recherches approfondies dans les bases de données traditionnelles ou secondaires. Le repérage des bonnes personnes devrait au final inciter les entreprises à se joindre aux conversations en ligne existantes et même à les façonner. Cette information en temps réel pourrait aider à court-circuiter des actions clés de concurrents ou encore mener à des modifications à la stratégie.

En contrepartie, naviguer sans ces nouvelles informations pourrait vous coûter cher. Servier, une société pharmaceutique française, en est un exemple. Son médicament breveté traitant le diabète, Mediator, était également utilisé pour la perte de poids - une indication non autorisée. Ce médicament a été retiré du marché français en novembre 2009 après la remise en question de son innocuité, dont son rôle dans un certain nombre de décès. Pendant des années après la mise en marché du Mediator, en 1976, peu de nouvelles dans les médias, et encore moins de données médicales, n’avaient fait état de problèmes. Or, en 2003, des centaines de conversations entre patients touchés alimentaient les forums en ligne. Peu de temps après, les médecins et les nutritionnistes ont commencé à exprimer leurs préoccupations à l’égard de l’innocuité du médicament. Ces signes avant-coureurs étaient trop faibles pour permettre aux analyses traditionnelles du Web de les retracer au moyen d’une simple recherche par mot-clé. Toutefois, si l’analyse avait été complétée par une recherche plus approfondie, en scrutant par exemple les conversations entre spécialistes du diabète, l’entreprise aurait pu réagir. Une analyse rétrospective a révélé que les conversations dans les forums et autres plateformes étaient pour une bonne part devenues des discussions sur les risques du médicament, et ce, dès 2006.

Bien qu’il soit peut-être extrême, le cas du Mediator laisse entrevoir des contraintes structurelles qui entravent les efforts pour cerner de l’information clé ou pour y réagir, lorsqu’elle va à l’encontre des idées de l’organisation. Les analystes du renseignement relèvent souvent exclusivement d’un seul service tel que celui des communications, du marketing ou de la stratégie. Les analystes peuvent donc se laisser attirer par la façon de penser approuvée au sein de leur service, ce qui risque de limiter la portée des renseignements qu’ils communiquent, et parfois même de fausser leur jugement. Le fait de conserver une variété de points de vue provenant de multiples sources de médias sociaux devrait aider les structures de contrôles internes à travailler plus librement, et dans certains cas, à dénoncer certaines situations. Pour renforcer cette diversité de pensée, les entreprises peuvent placer des analystes à l’échelle de l’organisation dans des fonctions allant de la planification stratégique et du développement de produits à la R-D, au service à la clientèle et à la planification des fusions et acquisitions.

La chasse aux informations

Les analystes passent habituellement 80 % de leur temps à recueillir de l’information avant de commencer à l’analyser. L’intelligence sociale modifie radicalement ce processus. De nombreux outils permettent aux analystes de créer des cartes dynamiques qui situent l’information et l’expertise, en plus de leur permettre de repérer de nouvelles données en temps réel. La façon la plus efficace d’obtenir de nouveaux renseignements consiste à mobiliser un réseau de spécialistes soigneusement identifiés sur des sujets précis.

General Electric a utilisé cette approche proactive l’an dernier dans l’espoir de recueillir des suggestions sur ce que l’entreprise appelait un avion « social », offrant aux participants des voyages sur les ailes de Virgin Airlines pour les meilleures idées reçues. L’entreprise a recruté une communauté virtuelle de plus de 90 000 personnes sur son compte Twitter @ecomagination et a organisé des conversations sur des sujets clés à l’aide de mots-clics. En deux heures seulement, ce réseau international a produit des milliers d’idées qui n’avaient pas fait l’objet de discussions ou de publication ailleurs. Certaines portaient sur des sujets écologiques tels que l’utilisation de panneaux solaires et de véhicules électriques dans la construction de moteurs ou l’emploi d’éclairage DEL dans les avions. Les participants ont également suggéré de donner à chaque vol son mot-clic pour les conversations ou de permettre aux compagnies aériennes d’envoyer des messages directement aux passagers pendant l’embarquement. GE a utilisé l’information pour mieux comprendre les attentes des passagers des lignes aériennes et créer de nouveaux processus pour tenir compte des commentaires des parties prenantes dans la planification stratégique et le développement de produits.

Les médias sociaux peuvent aussi permettre d’obtenir un aperçu des projets des concurrents, des fournisseurs et des clients. Les analystes d’une organisation ont utilisé LinkedIn pour se faire une idée, à l’avance, des nouvelles caractéristiques qu’une grande société technologique concurrente projetait d’inclure dans le cadre de l’amélioration d’un produit. Comme les concepteurs de logiciels de cette société partageaient publiquement de l’information sur leurs projets, il était possible de se faire une idée étonnamment précise du nouveau produit, ce qui avait des répercussions importantes sur les stratégies de R-D. et de marketing des fournisseurs.

Aujourd’hui, les entreprises embauchent habituellement des personnes qui possèdent des aptitudes remarquables en recherche et en analyse. Toutefois, les analystes qui sont à l’aise avec les médias sociaux auront besoin de plus de compétences, comme la capacité de gérer et de mobiliser une communauté virtuelle de chasseurs de tendances, et, surtout, la volonté de trouver de nouvelles sources d’expertise. En fait, ils doivent devenir des chasseurs d’information plutôt que des collecteurs. Les entreprises devront investir dans les outils dont les analystes ont besoin pour gérer ces nouveaux réseaux, comme des instruments de mesure de l’influence et de cartographie des réseaux, en aidant par exemple à évaluer l’expertise et l’utilité des membres de la communauté. Par conséquent, il est évident que les entreprises doivent également essayer de réduire le risque que leurs concurrents les « pourchassent » dans les espaces sociaux, en sensibilisant leur personnel à la facilité avec laquelle ils peuvent divulguer de l’information précieuse par inadvertance.

Analyse et synthèse

Peu d’analystes déploient des outils d’analyse stratégique assez puissants pour tirer des enseignements utiles des nouvelles sources variées de données sociales. La plupart d’entre eux utilisent des approches plus anciennes enseignées dans les écoles de commerce, telles que les analyses SWOT (en français AFOM, pour Atouts, Faiblesses, Opportunités, Menaces) ou celles qui font appel aux cinq forces de Porter — et elles doivent souvent improviser. Même les analystes qui puisent dans les médias sociaux se retrouvent souvent à contre-courant. La plupart des techniques d’aujourd’hui extraient simplement les fils de conversation repérés sur les cibles bien connues que sont Facebook et Twitter.

Or, la disponibilité d’énormes quantités de données tirées des médias sociaux a donné lieu à une gamme de nouvelles méthodes analytiques capables de structurer et de tirer des observations à partir d’information complexe. En 2012, les dirigeants d’une grande société de télécommunications ont lancé un projet de recherche sociale pour obtenir un portrait précis des conversations portant sur l’entreprise dans les médias sociaux. Les résultats de cette initiative ont été étonnants et importants. L’entreprise a pu constater que la majorité des conversations portaient sur les débits de données 4G et sur les nouveaux appareils, a obtenu des perspectives nouvelles des consommateurs sur les forces et les faiblesses des grands concurrents de l’entreprise et s’est rendu compte que la réussite de sa stratégie de croissance reposait sur une éducation plus approfondie des clients.

Pour notre étude, l’étendue des sources analysées — plus de 120 millions de billets de blogue, plus de 10 000 groupes de discussion et 90 000 groupes Usenet, de même que CNET, Facebook, Twitter et YouTube — présentaient un grand intérêt. Il en va de même de la demi-douzaine de nouvelles techniques d’analyse utilisées, dont celle du « volume de buzz » pour isoler les messages d’intérêt sur la marque de l’entreprise et ceux des concurrents ; celle des « sujets de discussion », qui consiste à extraire un échantillon aléatoire de messages sur l’entreprise et chaque concurrent et à les répertorier selon les sujets relevés dans les discussions ; celle des « enseignements qualitatifs », ciblant des citations remarquables tirées de messages ; et celle de « l’humeur des consommateurs », qui répartit les messages selon le ton des commentaires (positifs, négatifs, mixtes ou neutres).

Comme cette liste l’indique, l’éventail de techniques d’analyse a explosé, et pour rester en tête, les entreprises doivent exploiter de nouveaux domaines d’expertise. Certaines pourraient devoir chercher à l’extérieur de l’entreprise des gens de talent qui connaissent bien les nouvelles méthodes ou devoir investir énormément dans le perfectionnement de leurs analystes actuels. Pour ce faire, il sera essentiel de convaincre les hauts dirigeants que les nouvelles méthodologies sont rigoureuses et que les renseignements fournis amélioreront la prise de décision. Étant donné la quasi-absence d’antécédents et d’études de cas démontrant leur incidence, il s’agit souvent d’un véritable parcours de combattant.

Intégration des contenus

Les analystes se plaignent souvent que les hauts dirigeants ne donnent pas suite à l’information qui leur est communiquée. De bonnes raisons expliquent cette lacune : les rapports de renseignements sont souvent des documents officiels envoyés par courriel, diffusés dans des bulletins d’entreprise ou affichés sur l’intranet. Le contenu couvre parfois une vaste étendue de sujets et l’information peut être désuète lorsque les décideurs finissent par la traiter.

Cependant, un nouveau logiciel permet d’acquérir rapidement, voire automatiquement, des renseignements très pertinents, provenant de nouvelles sources telle que des discussions de spécialistes ou de personnes influentes sur le Web, de nouvelles données sur le marché et de commentaires de la clientèle. Ce logiciel permet aux entreprises de produire des « micropublications » qui peuvent être envoyées instantanément aux décideurs. Des sources externes, telles que paper.li et Flipboard, génèrent automatiquement des bulletins ciblés sur un sujet particulier dans des formats attrayants et intuitifs. Pratiquement n’importe quel utilisateur au sein d’une entreprise peut donc créer un tableau de bord d’information personnalisé, qui « démocratise » l’intelligence et enracine profondément des données pertinentes dans l’organisation.

La coopérative financière Desjardins a adopté une telle démarche, utilisant Flipboard pour diffuser des données et des renseignements que les utilisateurs peuvent adapter aux besoins de leurs services. Pour ce faire, les analystes de l’entreprise repèrent d’abord, sur le Web, des personnes reconnues pour leur capacité à digérer et à retransmettre de l’information, qui agissent de l’extérieur de l’organisation, et qui sont très appréciées pour leur capacité à analyser et à interpréter les données sur les services financiers et la technologie financière. La liste de ces spécialistes évolue avec le temps afin de tenir compte des nouvelles orientations stratégiques de l’entreprise.

Par exemple, pour soutenir un projet qui vise à améliorer l’expérience du client, une équipe d’analystes pourrait élargir le réseau de spécialistes et y inclure des personnes qui possèdent des connaissances sur les pratiques exemplaires en matière de services à la clientèle, même si ces spécialistes agissent dans un domaine autre que celui des services financiers. De cette façon, Desjardins vise à intégrer continuellement une nouvelle façon de penser dans ses processus stratégiques. Soutenus par une équipe de spécialistes sur mesure, les dirigeants et les gestionnaires de tous les secteurs de l’organisation peuvent concevoir leurs propres bulletins thématiques, choisissant les spécialistes de contenus qui apportent la plus grande valeur aux objectifs de l’entreprise.

Voici un exemple de cette approche: Desjardins a récemment mis à l’essai de nouvelles monnaies électroniques offertes aux États-Unis par des entreprises en démarrage comme Bitcoin. Au Royaume-Uni, pour explorer de nouvelles formes de crédit à la consommation et aux entreprises, la coopérative a suivi une communauté qui se consacrait au financement participatif. En Afrique, elle a fait appel à des spécialistes locaux des pratiques de paiement sans fil. Elle a découvert que, surtout dans les marchés en évolution rapide, les démarches de collecte de données comme celles-ci sont beaucoup plus efficaces sur le plan des coûts et quand il s’agit de livrer des données à jour que la méthode traditionnelle qui est de se fier aux firmes d’études de marché.

L’expérience de Desjardins met en lumière l’effet de levier dont bénéficient les entreprises lorsqu’elles utilisent des réseaux sociaux pour diffuser de l’information. On trouve souvent dans une entreprise un analyste qui peut repérer un réseau de spécialistes et de personnes capables de digérer et de retransmettre du contenu de manière pertinente (curateur). Une fois ce modèle en place, les entreprises externalisent leur collecte de données, libérant des ressources pour effectuer d’autres tâches comme l’analyse approfondie de données et la cartographie des tendances. La base d’information de l’entreprise devient encore plus détaillée au fur et à mesure qu’un plus grand nombre de dirigeants engagés développent des aptitudes en matière de données sociales. Chez Desjardins, les prochaines étapes comprennent le passage de la curation de contenus à une analyse plus ciblée et structurée des concurrents.

À l’avenir, des utilisateurs plus aguerris des médias sociaux, comme Desjardins, devraient être en mesure d’évaluer la pertinence de l’information qu’ils reçoivent, en utilisant des conventions Web comme « J’aime » ou +1. Cela permet aux analystes de suivre les effets d’entraînement des rafales de renseignements à mesure que les internautes propagent ceux qu’ils trouvent plus utiles.

L’information dont les entreprises ont besoin pour soutenir les défis posés par la concurrence passe rapidement des sources publiées et exclusives au monde ouvert et chaotique des plateformes sociales. La navigation dans ce nouvel environnement exigera de nouvelles aptitudes et une volonté de s’engager dans des conversations sociales plutôt qu’une simple collecte d’information. Il s’agit d’une mission qui devrait s’étendre à toute l’organisation. La haute direction ne peut laisser une tâche aussi importante aux spécialistes. L’intelligence sociale affinera leur orientation stratégique, et les dirigeants doivent être immergés dans les nouveaux courants d’information.

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