L'homme qui assure

Publié le 22/10/2009 à 14:59

L'homme qui assure

Publié le 22/10/2009 à 14:59

Par lesaffaires.com
En bon leader, Jérôme Ferrer, chef exécutif de l'entreprise de restauration Europea, est en phase avec les cycles et sait devancer les tendances.

Quiconque fréquente un de ses quatre établissements constate que Jérôme Ferrer sait faire à manger. Mais il y a beaucoup plus. Depuis qu'ils sont arrivés au Québec, il y a huit ans, M. Ferrer et ses deux associés, Ludovic Delonca et Patrice De Felice, ont réussi dans la restauration, un secteur en crise perpétuelle.

En sept ans, ils ont bâti un petit empire culinaire qui emploie une centaine de personnes, sert 3 000 couverts par semaine et reste à l'affût d'occasions d'affaires. Le chef exécutif, Jérôme Ferrer, dit n'avoir jamais eu de plan d'affaires, mais un " plan de passion ".

" Jérôme Ferrer rejoint des tendances fortes dans l'industrie de la restauration, qui ne sont pas juste des modes et ne disparaîtront pas de sitôt ", dit François Desrosiers, président d'Intérim Marketing, une firme-conseil en marketing qui compte plusieurs chaînes de restauration parmi ses clients. Voici quelques ingrédients de cette recette gagnante.

Authenticité

Les cycles culinaires se succèdent aux cinq ans dans la restauration, observe Jérôme Ferrer, et chaque fois, un nouveau paysage se dessine. " En ce moment, on veut manger moins mais mieux, et dépenser pour des produits d'exception. "

En 2009, les clients sont des consommateurs avertis, expérimentés, " et ils savent sortir et recevoir ". On ne peut plus leur passer des salades de macaroni.

Ses produits d'exception, M. Ferrer les trouve auprès de sa gamme de producteurs agricoles, des incontournables pour tout grand chef en cette ère de produits du terroir, bios et locaux si possibles. " On est dans l'authenticité des aliments, dans les mets artisanaux et très peu transformés ", dit François Desrosiers.

Le mot d'ordre est la simplicité. Et la santé, " concept omniprésent en cuisine ", souligne Jean-Pierre Lemasson. " Une tendance qui ne disparaîtra pas de sitôt ", ajoute François Desrosiers. Jérôme Ferrer rejoint cette tendance " antioxydante ". Sur les tables du resto méditerranéen Andiamo, le dernier resto de M. Ferrer, on trouve du citron, de l'huile d'olive, des noix. Mais ne cherchez pas la crème et le beurre. " Chez Ferrer, c'est santé, mais c'est aussi ludique : le resto, c'est une gâterie, il faut du plaisir.

" Les gens ont besoin d'expériences gustatives, dit François Desrosiers. Jérôme Ferrer nous amène ailleurs, notamment avec sa cuisine méditerranéenne et ses poissons moins connus ici, mais il n'est pas trop déstabilisant. "

Présence médiatique

Des vedettes, les chefs cuisiniers ? Pour Jérôme Ferrer, il n'y a qu'une seule star dans un restaurant : le produit. " Je n'ai pas le look fashion victim de plusieurs chefs. Je suis plutôt gros, je ne porte pas de t-shirt et je n'ai pas les cheveux dressés sur la tête. "

N'empêche, Jérôme Ferrer est une vedette. Il publie des livres de recettes qui sont des succès de librairie, il est un habitué depuis trois ans de l'émission de télé Des kiwis et des hommes, à Radio-Canada, et depuis l'automne, de l'émission matinale de Gildor Roy au canal V. " Ferrer sait fort bien profiter des médias ", a écrit récemment dans Le Devoir le chef et gastronome Philippe Mollé.

" Nous vivons à l'ère des vedettes : pour réussir dans la cuisine comme en politique, il faut un bureau de relations publiques, une bonne presse et un bon chef dans la cuisine ", a dit le chef français Daniel Boulud.

Jordan LeBel, professeur agrégé en marketing alimentaire à l'École de gestion John-Molson de l'Université Concordia, estime qu'un chef hautement médiatique et sexy est une carte de plus à avoir dans son jeu. " Mais ce n'est pas un atout incontournable pour la notoriété et le succès d'un restaurant. Et attention à la surmédiatisation d'un chef : au moindre faux pas, c'est la chute. "

Adaptabilité aux nouveaux marchés

Parmi les changements d'habitudes observés depuis 10 ans, le temps accordé au lunch du midi s'est réduit comme peau de chagrin. Travailleurs et gens d'affaires ne vont plus tous les jours au resto. Mais ils ne souhaitent pas, non plus, apporter leur lunch quotidiennement. D'où l'idée de Jérôme Ferrer de leur fournir un repas à emporter plus raffiné que dans les chaînes de restauration rapide, à un prix très concurrentiel : 10 $.

Plusieurs personnes se demandaient quelle mouche avait piqué Jérôme Ferrer lorsqu'il a ouvert une sandwicherie, rue Notre-Dame, baptisée Europea Espace Boutique. " On me disait : Qu'est-ce qui te passe par la tête ? Toi, un chef ? Des sandwichs ? "

Or, ce sandwich est devenu " un outil de communication avec les clients ", dit Jérôme Ferrer. Ses créations, présentées sur pain maison, doivent les surprendre à moins de 10 $.

" C'est exactement là qu'il fallait être, dit François Desrosiers. Dans cet Espace Boutique, on mange santé, mais pas en deux heures comme au resto. En même temps, c'est une boîte à lunch de luxe et ça va chercher un autre marché, plus prestigieux. On l'apporte au bureau. Et le prix est hyper concurrentiel. "

Le midi, on veut désormais contrôler son temps, ajoute Jean-Pierre Lemasson. " Dans ce nouveau contexte, le principe de la boîte à lunch est excellent. "

L'Espace Boutique livre aussi ses boîtes à lunch pour les réunions d'affaires au bureau. Une tendance en plein essor.

Uniformité dans la qualité des produits

Pour réussir la diversification de sa marque, le chef doit avoir une solide équipe derrière lui, dit le professeur Jordan LeBel. " Plus le nombre d'établissements augmente, plus la gestion s'apparente à celle de véritables organisations. Pour que le chef puisse se concentrer sur l'aspect créatif de son travail, il a besoin de toute une équipe derrière lui. "

À mesure que leur entreprise a grandi, les trois associés se sont réparti les tâches. Ludovic Delonca s'occupe de gestion de la clientèle, du personnel et de l'administration; Patrice De Felice est responsable des achats, des fournisseurs et de la cuisine. Jérôme est le créateur de plats, le chef exécutif.

" Lorsque ces organisations grandissent trop vite, note Jordan LeBel, l'uniformité d'un établissement à l'autre est souvent en péril et l'expérience n'est pas toujours à la hauteur des attentes du client. Et c'est souvent le service qui en pâtit ", dit-il, comme il en a lui-même récemment fait l'expérience lors d'un repas au Beaver Hall. " On passait notre temps à chercher la serveuse. Cela dit, j'aime la cuisine de Jérôme Ferrer ! "

Une expansion rapide comporte des dangers, dit François Desrosiers, président d'Intérim Marketing. " Il faut protéger l'authenticité de sa marque. " Jérôme Ferrer en est conscient. " On peut être un bon cuisinier sans être un bon restaurateur. Un restaurant, c'est de la gestion et c'est très dur. "

Bon rapport qualité-prix

Les clients sont plus que jamais sensibles au prix qu'ils paient leur repas. " Le nouveau mot d'ordre en Amérique du Nord : ça doit être beau, bon, pas cher ", dit François Meunier, vice-président aux affaires publiques et gouvernementales de l'Association des restaurateurs du Québec. " Les gens d'affaires fréquentaient les restos haut de gamme quand il y avait des déductions fiscales de 100 %. À 50 %, les entreprises veulent des factures moins élevées. "

Jérôme Ferrer fait partie de cette nouvelle génération de jeunes chefs, poursuit François Meunier, qui ont une une cuisine conviviale et plus accessible.

Le prix des tables d'hôte à l'Europea s'établit entre 20 et 27 $ le midi et à environ 50 $ le soir. " C'est très raisonnable pour le repas du soir, dit François Desrosiers, mais un peu au-dessus de la moyenne le midi. "

Les personnes interviewées saluent unanimement l'idée de génie d'offrir dans chaque établissement et pour chaque plat une suggestion de vin au verre, autour de 8,50 $, un prix raisonnable. " Ferrer est avant-gardiste là-dessus. "

Autre " idée géniale ", selon Jean-Pierre Lemasson, professeur à l'ESG UQAM : la table d'hôte du soir où la demi-bouteille de vin est comprise dans le prix du repas, soit 35 $. " Pour offrir ce forfait, Jérôme Ferrer a dû rogner sur sa marge de profit. Mais jusqu'à maintenant, ses associés et lui se sont révélés d'excellents gestionnaires. " Ce qui est très important. Trop de restaurateurs font mal leur calcul et sont déficitaires à la fin de chaque mois.

Diversification de l'offre

À l'instar de nombreux chefs américains, Jérôme Ferrer et ses acolytes ne se sont pas contentés d'un seul établissement mais en ont ouvert plusieurs, une tendance forte, dit Jordan LeBel, professeur agrégé en marketing alimentaire à l'École de gestion John-Molson de l'Université Concordia. " Quand la formule est bonne, la tentation est d'ouvrir d'autres établissements. Le chef américain Gordon Ramsay est rendu à 27 restaurants, de concepts différents, allant du plus casual au très haut de gamme. " Même chose pour le chef français Daniel Boulud, qui a une antenne haut de gamme à New York et une pléthore d'autres aux États-Unis ainsi qu'à Vancouver et à Beijing.

C'est une excellente façon de réaliser des économies d'échelle, dit Jordan LeBel. " C'est la même stratégie qu'utilise l'industrie automobile. Le chef développe des plats haut de gamme coûteux qui peuvent être par la suite adaptés à une cuisine moins chère. Les différentes gammes de Mercedes s'inspirent du même principe : le coût de la R-D est absorbé dans les gammes inférieures. "

" La diversification est devenue essentielle ", dit Jérôme Ferrer. Les marges de profit sont faibles. Outre ses quatre établissements et les cours de cuisine offerts dans le sous-sol de l'Europea, M. Ferrer et ses associés viennent de s'entendre avec le traiteur Agnus Dei pour participer à trois ou quatre grands événements par année.

Chaque resto a cependant son caractère propre. Le Beaver Hall arbore un style brasserie qui se veut au diapason de la " bistronomie ", néologisme français pour désigner une nourriture simple mais raffinée plantée dans un décor convivial de bistro; Andiamo est l'établissement méditerranéen avec son décor de port de mer; Europea offre de la haute cuisine dans un décor raffiné composé de bois foncé, de fauteuils de cuir et de toiles modernes. " L'idée est de nous diversifier, pas de nous cannibaliser ", dit Ludovic Delonca.

Les trois hommes ont reçu d'un magnat américain de la restauration une offre d'expansion de leur concept Europea dans deux villes des États-Unis ainsi qu'à Sao Paulo, au Brésil. " Pour éviter de nous disperser, ces établissements deviendront des franchises, dit Ludovic Delonca. On va déléguer toute la gestion. On ne conservera que l'aspect créatif, comme l'élaboration du menu. "

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