Entrevue n°316: Issam Chleuh, fondateur, Africa Impact Group et Global Shaper du Forum économique mondial


Édition du 11 Février 2017

Entrevue n°316: Issam Chleuh, fondateur, Africa Impact Group et Global Shaper du Forum économique mondial


Édition du 11 Février 2017

Par Diane Bérard

Issam Chleuh a 30 ans. Pour la troisième année consécutive, ce financier apparaît sur la liste de Forbes des 30 Africains les plus prometteurs. Il a fondé une société-conseil en investissement d'impact. Il sera conférencier à l'événement Tribu 17, de l'Institut du Nouveau Monde, qui rassemblera à l'Estérel du 6 au 8 avril, 120 leaders de la relève québécoise entre 30 et 45 ans.

L'entrevue

n° 316

Diane Bérard - Né en Mauritanie, élevé en Guinée, au Maroc, au Ghana, au Bénin et au Sénégal... À quoi aspirez-vous pour l'Afrique ?

Issam Chleuh - L'Afrique a un défi majeur, mettre sa population au travail. Nous sommes un continent jeune au taux de natalité très élevé. Pour l'instant, cette jeunesse a une magie. Elle est motivée et positive. Il faut canaliser cette énergie. On évoque souvent les grands enjeux, tels la déforestation et la mortalité infantile. Ils sont bien réels. Cependant, le chômage à grande échelle est un mal aussi profond.

D.B. - Vous estimez que la croissance africaine ne passe pas par la grande entreprise. Expliquez-nous.

I.C.- Les grands employeurs de l'Afrique ont atteint leur capacité de recrutement. Il faut cesser de s'en remettre à eux. Il est urgent de favoriser la création de PME.

D.B. - Vous avez lancé un projet pilote en ce sens en Afrique de l'Ouest. De quoi s'agit-il ?

I.C. -Chez nous, les entrepreneurs font tous face à un problème d'accès. Ils manquent d'accès à la formation, à un lieu et à du financement. Nous avons donc ouvert un centre pour les PME au Mali. Il fait partie du réseau mondial Impact Hub, qui est à la fois un mouvement, une communauté de partage et un ensemble de lieux. Notre Impact Hub malien bénéficie de subventions gouvernementales, du soutien des fondations philanthropiques et de financement privé. Ce projet pilote est un succès. Nous allons ouvrir deux autres Impact Hub, un au Sénégal et l'autre en Côte d'Ivoire.

D.B. - Outre la création de PME, vous jugez que le développement de l'Afrique passe par le commerce interrégional. Comment comptez-vous y contribuer ?

I.C.- Il existe une corrélation positive entre le développement d'une région et sa proportion de commerce interrégional. En moyenne, sur la planète, on observe un taux de 60 % à 70 % de commerce interrégional. En Afrique, à peine 14 % du commerce est interrégional. Le reste est exporté à l'étranger à l'état brut. Ceci rapporte moins que le commerce de biens à valeur ajoutée. Nous devons viser, par exemple, à ce que le Mali vende des mangues au Sénégal qui, lui, les transforme en jus pour ensuite les revendre aux citoyens du Mali. Ainsi, la valeur créée demeure locale. Pour faciliter cette transition, nous avons lancé la plateforme régionale Suguba (qui veut dire «grand marché» en langue mandé). Il s'agit en fait d'un grand marché où l'on peut trouver des acheteurs et des fournisseurs locaux. Pour donner un coup de pouce aux entrepreneurs, cette place de marché a un partenariat avec un réseau de sociofinancement.

D.B. - Votre société élabore un fonds d'investissement d'impact. Quelle est votre expertise dans ce créneau ?

I.C. - En 2012, j'étais à l'emploi du cabinet EY à Boston. J'ai lancé un groupe de travail sur l'investissement d'impact. À l'époque, très peu de gens chez EY savaient de quoi il s'agissait. Je l'ai présenté comme une affaire stratégique. Nos concurrents, les cabinets KPMG et PwC, s'étaient déjà positionnés dans ce secteur. Ils étaient membres du Global Impact Investing Network (GIIN), lancé en 2008. Et ils avaient contribué, entre autres, à la rédaction de normes IRIS (normes sur l'investissement d'impact et les rapports) qui cherchent un point de contact entre les normes comptables et la mesure de l'investissement d'impact. Notre comité a tenu plusieurs rencontres. EY a même participé à quelques appels d'offre du GIIN. Mais nous n'avions pas l'expertise suffisante. Et, à l'époque, la direction n'avait pas un intérêt particulier pour le conseil en investissement d'impact. Ni pour l'investissement ciblé dans les industries à impact social ou environnemental. J'avais 25 ans, j'étais impatient. Je savais qu'il faudrait du temps avant qu'une grosse organisation comme EY perce un nouveau secteur. J'ai quitté mon emploi pour me lancer en affaires. Ce fut difficile. Je ne trouvais pas ma niche. Je n'arrivais pas à définir mon offre. Mes économies s'épuisaient. J'ai accepté l'offre d'une banque de développement du Moyen-Orient pour structurer des fonds à impact social pour l'Afrique. Ça m'a permis de réfléchir à mon modèle d'affaires, investir dans les start-up et les PME, et ma région-cible, l'Afrique francophone.

D.B. - L'Afrique est un terreau fertile pour l'investissement d'impact, affirmez-vous. Pourquoi ?

I.C. - L'investissement d'impact finance des projets ayant un impact social ou environnemental important. Quelle région du monde possède le plus grand potentiel de développement, là où tout est à faire ? Le continent africain. D'un côté, vous avez des occasions d'affaires. De l'autre, des investisseurs à la recherche de projets. On observe un appétit d'impact chez les grands fonds et les caisses de retraite. Un nombre croissant de Nord-Américains ne souhaitent plus uniquement contribuer à l'aide au développement de l'Afrique. Ils veulent contribuer à sa prospérité économique par leurs investissements. Ils visent des projets économiques qui ont un impact positif.

D.B. - Vous jugez que l'Afrique est particulièrement prometteuse pour l'investissement numérique d'impact. Pourquoi et de quoi s'agit-il ?

I.C. - Côté technologique, l'Afrique est très en retard. Toutefois, elle est aussi beaucoup plus rapide que d'autres régions du globe à adopter les nouveautés. Nous sautons des étapes pour progresser par bonds (leapfrog). Par exemple, dans plusieurs régions, il n'est pas rentable d'ouvrir des succursales bancaires. Ce qui explique que plusieurs citoyens sont passés directement au paiement électronique. Le paiement en ligne devient incontournable dans un continent comme le nôtre. Tout comme les livres numériques. En Afrique, l'impact des technologies numériques sur les soins de santé, l'éducation et la finance est immense. Le numérique a le potentiel d'accélérer sensiblement notre développement. Il devient donc très intéressant pour des investisseurs à la recherche d'impact de viser des projets sur notre continent.

D.B. - Vous travaillez aussi avec les organisations internationales et les gouvernements. Parlez-nous du mandat que vous a confié le gouvernement hollandais.

I.C. - De nombreux Maliens quittent le pays, faute d'emploi. Ils mettent le cap sur l'Europe. Le gouvernement hollandais nous finance afin que nous créions des occasions d'entrepreneuriat local. Nous avons contribué à la formation de 500 entreprises en 2016. Nous poursuivrons en 2017.

D.B. - En 2016, le magazine Forbes vous a inclus, pour la troisième année consécutive, dans le classement des 30 jeunes Africains les plus prometteurs. Quelle est votre contribution à votre continent ?

I.C.- J'ai déjà 30 ans. Je travaille avec des jeunes qui ont la moitié de mon âge. Ils ont tant d'idées pour attaquer des enjeux concrets comme la logistique et l'agriculture. C'est sur eux que je mise. J'investis dans ceux qui règlent les problèmes. Et je les aide à trouver du financement. Je leur bâtis un environnement afin qu'ils puissent travailler.

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