Enfiler les chaussures de ses employés, est-ce une bonne idée?


Édition du 24 Mai 2023

Enfiler les chaussures de ses employés, est-ce une bonne idée?


Édition du 24 Mai 2023

Par Catherine Charron

Les hauts dirigeants doivent faire une introspection et se demander pour quelles raisons l’exercice est justifié. (Photo: 123RF)

Au volant d’un véhicule ou derrière une machine à espresso, plusieurs dirigeants de grandes entreprises se glissent dans le vêtement de travail de leurs salariés afin de mieux comprendre leur réalité et de bonifier leur expérience. Gare, toutefois, à celles et ceux qui souhaitent emboîter le pas à cette tendance de plus en plus médiatisée: pris à la légère, l’exercice peut avoir l’effet inverse, d’après des experts.

Il n’y aurait rien de pire qu’un PDG en veston cravate qui enfile un par-dessus de protection et un casque pour visser un boulon le temps de quelques clichés. «On ne passe pas qu’à côté des bénéfices, soutient Julie Carignan, associée au développement des leaders et des équipes à Humance. Ça donne l’impression que le dirigeant ne s’intéresse pas vraiment aux employés, à ce qu’ils accomplissent.» Un tel exercice est plutôt l’occasion de mettre la main sur des informations qui reflètent bel et bien leur quotidien, souligne Marion Isabelle Muszynski, experte en expérience client et employé.

Après tout, «il n’y a rien de plus puissant que de le vivre», estime Julie Carignan, qui porte aussi le chapeau de psychologue organisationnelle.

C’est pourquoi, avant d’envisager de jouer les apprentis — ou d’envoyer un consultant ou un autre gestionnaire à sa place —, les hauts dirigeants doivent faire une introspection et se demander pour quelles raisons l’exercice est justifié, indique l’associé et conseiller en ressources humaines agréé (CRHA) d’Équipe Humania, Philippe-André Breau. Elles sont nombreuses, d’après Marion Isabelle Muszynski: l’employeur peut simplement vouloir se rapprocher de son équipe, mieux comprendre leur réalité, ou même corriger un irritant. «C’est d’autant plus intéressant si le leader adopte une position de découverte et qu’il s’attend à être surpris», ajoute-t-elle. Le spécialiste de la marque employeur encourage les PDG à passer en amont un coup de sonde: «Ça nous donne une idée de ce à quoi on doit demeurer attentif lorsqu’on sera sur le terrain.»

C’est en partie ce qu’a fait Marie-Pier Hébert, fondatrice et présidente de Kiid, il y a quelques années, en vivant l’expérience des gardiennes d’enfants qui utilisent sa plateforme. Ça lui a notamment permis d’être plus sensible aux difficultés qui s’ajoutent lorsqu’un parent en télétravail leur demande un coup de main pour s’occuper de leur marmaille.

«En devant m’adapter aux différentes maisons, pédagogies et règles, j’ai compris ce qu’il fallait que les filles aient [comme outils] pour offrir un meilleur service», relate-t-elle.

 

Communication claire

Le dirigeant doit s’assurer que ses intentions sont transparentes avant de s’aventurer dans son usine ou sa cuisine. «On ne veut pas donner l’impression que le patron débarque pour auditer ses employés», souligne Julie Carignan, qui prône l’élaboration d’une stratégie de communication bien ficelée.

Si l’intention est bel et bien de ne prendre que quelques photos, soit. L’entreprise devra toutefois clairement l’indiquer et moduler les attentes de ses travailleurs.

Tous les experts consultés recommandent d’annoncer la date de la visite afin qu’elle survienne à un moment approprié. «Immanquablement, si on est là, on ralentit les opérations un peu, comme lorsqu’on doit former une nouvelle personne, soulève la psychologue organisationnelle et CRHA. On va poser des questions, on va vouloir discuter, on n’est pas juste là pour faire le travail. […] Il faut expliciter le fait que l’on comprend que ça freinera la cadence.»

 

Faire preuve d’humilité

Sur place, de nombreux gestes peuvent réduire la distance avec les employés. Marion Isabelle Muszynski recommande notamment d’être accompagné d’un cortège restreint, de partager avec eux le dîner ou la pause, de s’enquérir de leur vie personnelle et même de porter des vêtements adaptés à l’emploi. «Ça aide à montrer qu’on veut vraiment comprendre et qu’on a commencé à saisir leur réalité», estime-t-elle. La personne devra porter attention à la méthodologie utilisée, aux conditions dans lesquelles les tâches sont accomplies, tout comme aux relations entre les collègues.

Par la suite, les experts encouragent les dirigeants à rédiger un bilan des apprentissages tirés de l’exercice. Un message peut ensuite être envoyé aux employés pour leur en faire un résumé et les inviter à renchérir.

Si l’entreprise avait pour objectif de bonifier une facette de l’expé- rience de ses travailleurs, elle doit s’y engager. «Ça ne veut pas dire qu’on vire tout à l’envers, nuance Philippe-André Breau. Toutefois, des améliorations doivent être apportées.»

Forte de l’expérience de sa fondatrice, Kiid offre désormais aux gardiennes de nombreux outils pour être bien organisées, réduire leur stress et les rendre plus flexibles. Menant une entreprise qui accompagne plus de 400 gardiennes dans tout le Canada, Marie-Pier Hébert ne croit pas qu’elle se prêtera à nouveau à l’exercice. Néanmoins, il lui a permis de mieux comprendre les doléances qui lui sont envoyées aujourd’hui. «Les filles se sentent soutenues. On a d’ailleurs un taux de roulement très bas.»

Bien exécuté, non seulement l’exercice augmente la mobilisation des employés, mais aussi «le sentiment de proximité entre les employés et la direction», constate Julie Carignan.

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