Le Quartier de l'Innovation


Édition du 14 Janvier 2017

Le Quartier de l'Innovation


Édition du 14 Janvier 2017

Par Olivier Schmouker

Damien Silès, directeur général du Quartier de l’innovation. [Photo : Martin Flamand]

Certains voient le Quartier de l'innovation (QI) comme, au mieux, une séduisante utopie ou, au pire, une énième opération de marketing visant à faire briller Montréal par sa créativité entrepreneuriale. Ceux-là se doivent de vite déchanter, car le QI s'est transformé, en un rien de temps, en un époustouflant laboratoire à ciel ouvert, où se dessine ni plus ni moins notre avenir. Ericsson, Agropur et Vidéotron, notamment, y expérimentent maintenant à tout-va, avec une idée fixe en tête : créer un monde meilleur, où la technologie se met au service de l'humain, et non l'inverse. Exploration.

L'événement fut discret, mais il n'en est pas moins marquant. Le 20 septembre, en plein coeur du hall lumineux de l'École de technologie supérieure (ÉTS), Ericsson, Vidéotron et l'ÉTS ont dévoilé leur alliance pour faire du QI un vaste terrain de jeux technologique. «Expérimenter dans un laboratoire clos, c'est bien, mais ça ne suffit plus aujourd'hui. Voilà pourquoi nous avons décidé de tester sur le terrain, auprès de l'ensemble de la population du QI, les services et les applications de demain, à l'image de la 5G et de l'Internet des objets», a dit Manon Brouillette, pdg de Vidéotron et vice-présidente exécutive du conseil d'administration du QI.

La 5G ? Il s'agit de la cinquième génération de téléphonie mobile, qui promet d'être 100 fois plus rapide que la 4G actuelle, à l'horizon 2020 : par exemple, télécharger un film ne prendra qu'une poignée de secondes. Par ailleurs, l'expression «Internet des objets» désigne la capacité de connecter entre eux différents objets de la vie courante (télévision, réfrigérateur, système de chauffage, etc.) et de produire des données permettant d'optimiser l'usage que nous en faisons. «Ces technologies sont, en vérité, d'une complexité sans précédent. C'est pourquoi il est vital de pouvoir les expérimenter grandeur nature, ce qui, à notre connaissance, n'existe encore nulle part dans le monde», a dit Mark Henderson, pdg d'Ericsson Canada.

La résidence étudiante de l'ÉTS sera ainsi transformée en «bâtisse connectée» dès le début de 2017. «Différents objets reliés entre eux par le Web permettront de recueillir les informations nécessaires à l'amélioration de sa gestion, et par la suite à celle du quotidien des étudiants», a indiqué Pierre Dumouchel, directeur général de l'ÉTS.

Une première qui en préfigure d'autres au sein du QI. C'est que l'enjeu est de taille : une récente étude d'Ericsson prévoit qu'à l'échelle de la planète, quelque 16 milliards d'appareils seront reliés à l'Internet des objets d'ici la fin de 2021, «ce qui représente à moyen terme des milliers de nouveaux emplois potentiels rien que pour Montréal», a souligné Mme Brouillette.

L'humain avant la technologie

Le Quartier de l'innovation (QI), un organisme sans but lucratif qui a vu le jour en 2013, multiplie les annonces ces derniers temps. Une entente a ainsi été conclue avec l'Agence wallonne à l'exportation et aux investissements étrangers (Awex) pour faciliter les échanges entre les start-up du Québec et de la Wallonie. Un partenariat a aussi vu le jour entre le QI et la Société de développement social (SDS) pour le projet Reconnect, une plateforme numérique aidant les sans-abris dans leurs démarches officielles.

«Ce qui se passe au QI en ce moment promet d'être le catalyseur de ce qui se passera demain partout dans la métropole, et même ailleurs ensuite», dit Harout Chitilian, vice-président, comité exécutif, ville intelligente, de la Ville de Montréal. De fait, l'annonce du 20 septembre correspond à l'amorce d'une ruée sans pareil de projets plus novateurs les uns que les autres :

- le Centre d'entrepreneurship technologique (Centech) a décidé de déménager dans l'ex-Planétarium Dow, comme Les Affaires le révélait en octobre ;

- la Factry, la toute première école des sciences de la créativité, s'apprête à ouvrir ses portes ;

- la coopérative Agropur a entrepris de «réinventer» les produits laitiers en procédant à des expérimentations dans le quartier ;

- la plateforme de commerce électronique Shopify et le réseau d'espaces de coworking WeWork ont démarré ensemble le test d'un accélérateur de partenariats d'affaires à l'attention des travailleurs autonomes.

«Notre ambition est de faire en sorte que le QI devienne un vaste terrain de jeux où peuvent librement se rencontrer chercheurs et entrepreneurs de tous horizons», dit Damien Silès, directeur général de l'organisme, dont la mission consiste à dynamiser la créativité entrepreneuriale du quartier.

Un point de vue que partage Serge Legris, vice-président, ingénierie, réseau d'accès sans-fil de Vidéotron : «L'important n'est pas l'avancée technologique en tant que telle, mais ce que celle-ci peut apporter à la communauté, dit-il. Chaque test mesurera l'acceptabilité sociale du produit ou du service proposé. Si jamais les participants nous font sentir qu'une nouveauté les dérange plus qu'autre chose, nous corrigerons le tir ou tirerons carrément un trait dessus.»

Cette approche humaniste de la technologie séduit d'ores et déjà à l'échelle internationale. Le QI a ainsi reçu le premier accessit du Grand Prix de l'innovation urbaine des prix Le Monde-Smart Cities, remis à Lyon, en France, en mai dernier. Ce concours récompense «les initiatives qui changent déjà ou qui vont changer radicalement le quotidien des urbains», en fonction de leur «degré de créativité», de «l'impact sur la communauté» et du «rôle actif des citoyens».

«Depuis ce trophée, nous ne cessons de recevoir des délégations du monde entier, désireuses de s'inspirer de ce qui se passe ici pour dynamiser leurs propres communautés. Des délégations venues, entre autres, de Wallonie, de Bretagne et même du Brésil», indique Antoine Leduc, directeur, communications, du Quartier de l'innovation, dont le financement annuel de 1,4 million de dollars provient à 45 % du public (Montréal, Québec et Canada) et à 55 % des universités membres et de partenaires privés (Banque Nationale, Deloitte, Power Corporation du Canada, Pages Jaunes, Cadillac Fairview, etc.).

«Notre défi est d'humaniser et de démocratiser les avancées technologiques urbaines. Chaque projet qui est lancé dans le quartier correspond à une brique du formidable édifice qui est en train de voir le jour sous nos yeux. Et pour que cet édifice-là soit non seulement harmonieux, mais aussi durable, notre rôle consiste à agir en catalyseur», dit Damien Silès.

«Nous sommes un quartier qui vient tout juste de naître, et pourtant nous inspirons d'ores et déjà d'autres quartiers, d'autres villes du monde entier, ce qui montre que nous sommes sur la bonne voie. Le secret de notre succès est, somme toute, relativement simple : nous ne cherchons pas à être un clone de la Silicon Valley, où l'humain est au service de la technologie, mais son contraire, à savoir un pôle d'innovation où la technologie est au service de l'humain», ajoute M. Silès.

«Les prochains mois vont voir d'autres nouveautés surgir dans le quartier. Par exemple, la première boutique Neoshop implantée en Amérique du Nord aura pignon sur rue chez nous au printemps 2017 ; elle permettra aux start-up de présenter leurs innovations et de recueillir les commentaires du grand public avant de démarrer véritablement leur commercialisation», dévoile le directeur général, en indiquant que ce concept vient de France.

Ceci posé, le QI est déjà le théâtre d'initiatives qui lui permettent de se démarquer. En voici quelques unes.

Mat'Inno//La deuxième saison de la série de conférences Mat'Inno a débuté en octobre dernier par une journée consacrée à l'Internet des objets. Particularité de cet événement : il se tient toujours dans un lieu différent du Quartier de l'innovation (QI) et vise surtout à mettre en avant le savoir des professeurs de ses quatre universités - ÉTS, McGill, Concordia et UQAM.

«Cet événement hors norme est né d'une belle rencontre. L'organisme du QI cherchait un moyen de faire la promotion des universités du quartier, et nous en a parlé. Nous, à la Jeune chambre de commerce de Montréal [JCCM], nous souhaitions nous démarquer avec des conférences au contenu totalement inédit. D'où le projet de cinq conférences annuelles éclairant des enjeux d'affaires actuels à partir des dernières avancées scientifiques», dit Sandrine Archambault, directrice générale de la JCCM.

Résultat ? Un succès instantané, même si cela demande aux centaines de participants de se retrouver à 7 h du matin dans un lieu improbable. Et ce, pour entendre parler de sujets pointus comme l'économie des aînés, le génie alimentaire, ou encore les transports intelligents.

Coveo//Coveo, une entreprise de Québec spécialisée dans les logiciels de recherche intelligente, ouvrira son bureau montréalais à la fin de janvier. Celui-ci sera situé dans la gare Windsor, ce qui permettra de créer 50 emplois hautement qualifiés, essentiellement dans le secteur du marketing numérique, dans le Quartier de l'innovation (QI).

«Nous avons déjà un bureau à San Francisco, si bien que notre premier réflexe pour nous développer a été de regarder des bassins de talents comme Austin, Boston et Toronto. Mais très vite, nous avons constaté que Montréal et son QI n'avaient rien à leur envier : ici, une personne sur six travaille dans le numérique et il y a quatre universités dans lesquelles grandissent les talents de demain», dit Claude-Antoine Tremblay, directeur, communauté de talents, de Coveo.

L'ouverture de ce bureau représente un investissement de cinq millions de dollars pour Coveo. D'ores et déjà, le recrutement va bon train : l'idée de départ était d'échelonner les 50 embauches sur deux ans, néanmoins une trentaine d'entre elles ont été effectuées avant même l'ouverture du bureau montréalais. «Nous sommes a priori tellement satisfaits des personnes rencontrées que nous n'excluons pas d'accélérer le rythme du recutement dans les prochains mois», confie M. Tremblay.

CEIM//Le Centre d'entreprises et d'innovation de Montréal (CEIM) n'est pas qu'un énième incubateur/accélérateur de start-up. Il se distingue depuis peu par son aide au rayonnement international. «Nous avons réalisé que les start-up d'ici avaient tout à gagner à ne pas se contenter du marché canadien, et donc à s'internationaliser, mais à une condition : il nous fallait veiller à ce que, ce faisant, elles ne se déracinent pas ! Car nous tenons à contribuer au développement économique local, c'est-à-dire montréalais, et non pas à l'exportation des talents d'ici à l'étranger», dit Serge Bourassa, président et chef des opérations du CEIM. Pour ce faire, le CEIM a récemment organisé :

- une mission de prospection à Seattle, laquelle a permis à une quinzaine de start-up montréalaises spécialisées dans le jeu vidéo de présenter leurs réalisations à Nintendo, Amazon, Microsoft et Valve, entre autres ;

- une journée de rencontres avec une délégation brésilienne d'entreprises spécialisées dans le big data et l'Internet des objets, durant laquelle des start-up montréalaises ont pu nouer des relations d'affaires inédites.

«Nous avons maintenant comme projet d'organiser, un beau jour, une mission en Israël. Nous en sommes aux premiers pas, l'un d'entre nous ayant accepté une invitation à faire le tour des start-up israéliennes et des organismes qui les soutiennent. Nous croisons les doigts», indique M. Bourassa.

Factry//La Factry est née en mai dernier, lors de l'événement C2 Montréal. Il s'agit d'une école des sciences de la créativité dont la mission consiste à former les leaders de demain, ceux qui seront à même de trouver des solutions inédites aux défis contemporains. Elle est le fruit du travail conjoint de l'agence Sid Lee, de l'Association des agences de communication créative (A2C) et du Collège Sainte-Anne.

Même si la Factry n'a pas encore de bureau permanent, elle a démarré ses activités cet automne, en deux volets.

Formation continue : des groupes de 20 participants - professionnels, gestionnaires ou entrepreneurs indépendants - suivent 45 heures de cours réparties sur trois périodes de deux jours afin de développer leur créativité. Et ce, dans des domaines pointus (ex.: leadership créatif, data créatif, storytelling, etc.).

Préparation de la relève : des partenariats avec des institutions d'enseignement des niveaux collégial et universitaire ont été noués par la Factry afin d'établir un lien entre la relève et l'industrie. À la clé, des stages, du mentorat, des visites d'entreprises, etc.

«Aujourd'hui, il y a de moins en moins de frontières entre les métiers : pour briller au travail, chacun de nous doit faire preuve de multiples talents, dont certains sortent de notre champ de compétences naturelles. Or, les programmes de formation actuels ne suivent pas cette tendance, à nos yeux. D'où notre ambition de révolutionner l'industrie de la formation en misant sur la passerelle universelle entre les champs de compétences qu'est la créativité», dit Marie Amiot, pdg de la Factry.

Salon 1861//Le Salon 1861 correspond à la reconversion de l'église Saint-Joseph de la Petite-Bourgogne en un espace collectif ouvert aux universités, aux start-up, aux organismes communautaires et aux entreprises. Son objectif : créer un noyau d'entrepreneuriat en favorisant l'échange d'idées et de ressources entre la communauté, les entreprises et les institutions.

«Nous voulons rassembler, dans un lieu où les gens du quartier, il y a un certain temps, avaient l'habitude de se retrouver, de se souder et de grandir ensemble. Et au-delà de cela, servir de laboratoire économique, social et culturel, bref, urbain», indique Natalie Voland, présidente du Salon 1861, en citant comme exemple le projet mené ici-même l'année passée, en partenariat avec Les Affaires, des «Dix commandements du monde des affaires du 21e siècle», lequel avait réuni 30 entrepreneurs dans le but d'établir ensemble «la boussole morale des chefs d'entreprise susceptible de les aiguiller dans la bonne direction lorsqu'il leur faut prendre une décision d'importance».

Aujourd'hui, une vingtaine de start-up oeuvrent dans le sous-sol de l'église, des étudiants de l'ÉTS y mènent différentes expériences technologiques, et l'École de musique Schulich de l'Université McGill y offre du mentorat pour les musiciens en voie de devenir professionnels.

Communautique//Communautique est un hub d'innovation ouverte consacré à l'apprentissage et à l'expérimentation en innovation sociale et technologique. Il permet aux entrepreneurs indépendants, chercheurs ou citoyens de développer leurs connaissances numériques et de mener à bien un projet technologique dans une perspective de développement économique, culturel et social. Et ce, dans des domaines aussi variés que les drones, la robotisation et le blockchain.

Précurseur des Living Labs et des Fab Labs au Québec, il a coorganisé en août le sommet mondial OpenLivingLab Days, qui s'est tenu à Concordia. «Les quatre journées de l'événement ont permis de montrer tous les gains en innovation que peuvent enregistrer les métropoles et les organisations», dit Geoffroi Garon-Épaule, vice-président de Communautique et chercheur à l'UQAM.

Ex-Planétarium Dow//Au début de 2018, l'ex-Planétarium Dow se transformera en un accélérateur de start-up. Par la même occasion, il accueillera différentes institutions, dont le Centre de l'entrepreneurship technologique (Centech), qui vise à aider des entrepreneurs à mener à bien des projets technologiques, et la Maison du logiciel libre (ML2), qui établit des liens entre l'industrie et les étudiants en génie logiciel.

Propriétaire de l'édifice depuis 2013, l'ÉTS investit 8 millions de dollars dans cette transformation. «Après l'analyse de différents projets, comme celui d'en faire un "hub de la créativité" assurant la promotion de l'inventivité entrepreneuriale de Montréal, nous nous sommes dit que le mieux était de faire de cet édifice un lieu d'échanges et d'idées. Du coup, étudiants, universitaires et entrepreneurs pourront s'y rencontrer librement et dessiner ensemble ce à quoi ressemblera demain», dit Patrice Catoir, directeur planification et développement du campus de l'ÉTS.

D'où le fait qu'on y trouvera également des zones d'idéation, des locaux professionnels propices au réseautage ainsi qu'un café et un espace lounge.

Vidéotron//Vidéotron, dont le siège social est situé au centre du quartier, est devenu en juin dernier l'un des membres du cercle des bâtisseurs de l'organisme Quartier de l'innovation (QI), et a ainsi contribué à son financement à hauteur de 300 000 $. «Nous avons à coeur de faire partie de l'ADN de ce nouvel écosystème, où se dessine le monde de demain. Un monde fait de télécommunication, de data et d'intelligence. Bref, un monde où chacun pourra vivre mieux», explique Serge Legris, vice-président, ingénierie, réseau d'accès sans-fil, de Vidéotron.

Aux yeux de la division télécommunications de Québecor, l'avènement annoncé de la 5G offre l'occasion à la communauté du quartier d'agir en pionnière du futur urbain qui nous attend tous. Les objets de nos domiciles pourront ainsi communiquer entre eux, et donc faciliter notre quotidien (par exemple, le frigo qui nous envoie un texto à la sortie du bureau pour nous donner la liste des courses à faire avant de rentrer). Dans le même esprit, des bornes interactives placées dans les rues pourraient permettre de recueillir de précieuses informations (trafic, accidents, état de la chaussée, etc.), et d'indiquer à chacun en temps réel le meilleur trajet à effectuer en fonction de son mode de déplacement.

«Les possibilités de ce vaste terrain de jeux qu'est le QI dépassent l'imagination, résume Manon Brouillette. Et d'y contribuer pleinement nous fait clairement triper.»

→ 1,4 M$ : Financement annuel du Quartier de l'innovation

45 % : Proportion du financement provenant du secteur public

55 % : Proportion du financement provenant des universités membres et des partenaires privés

1/6 : Proportion de Montréalais travaillant dans l'industrie numérique

 

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