Entrevue n°129: Manoj Fenelon, traqueur de tendances, Pepsico

Publié le 27/10/2012 à 00:00

Entrevue n°129: Manoj Fenelon, traqueur de tendances, Pepsico

Publié le 27/10/2012 à 00:00

Par Diane Bérard

Manoj Fenelon, traqueur de tendances, Pepsico

L'Indien Manoj Fenelon dirige un service qui ne compte que lui. Depuis l'an dernier, il traque les tendances pour la division des boissons de PepsiCo et propose des pistes de croissance à la direction. De quel bois devrions-nous être faits, selon lui, pour affronter les défis qui nous attendent ? «Un tiers capitaliste, un tiers designer et un tiers humaniste.» Je me suis entretenue avec Manoj Fenelon au World Future Trends 2012, à Miami.

DIANE BÉRARD - Pourquoi PepsiCo a-t-elle créé le poste de «directeur de la vision» (director of foresight) en 2011 ?

Manoj Fenelon - Tout a débuté par une question, alors que je dirigeais le service de la stratégie et des points de vue (insights). Le directeur de la division italienne des boissons a demandé s'il était pertinent d'élaborer nos produits uniquement à partir des goûts actuels des consommateurs. Après tout, il faut deux à trois ans pour lancer une nouvelle boisson. Ne faudrait-il pas investir aussi dans ce qui sera, plutôt que simplement dans ce qui est ? L'idée m'a plu. Je suis donc passé du service des points de vue, qui prend le pouls du marché, à celui de la vision, qui regarde devant.

D.B. - Vous êtes seul dans votre service et votre poste n'est pas très courant dans les autres entreprises. Comment saviez-vous quoi faire ?

M.F. - Traquer les tendances et imaginer des scénarios pour le futur est naturel pour moi. Je suis un touche-à-tout. J'ai une formation éclectique qui combine les affaires, la communication et l'étude des émotions.

D.B. - Quelle est la tendance la plus profonde, celle qui transcende toutes les autres en ce moment ?

M.F. - Le capitalisme social, c'est-à-dire le recours au capitalisme pour régler les problèmes sociaux. Il est devenu évident que seules les entreprises peuvent relever ces défis.

D.B. - Quelle est votre contribution à PepsiCo ?

M.F. - Je présente à la direction différents scénarios qui pourraient survenir au cours de la prochaine décennie. Ces scénarios l'aident à préparer l'entreprise aux défis qui l'attendent.

D.B. - Que faites-vous lorsque deux tendances s'opposent ?

M.F. - Je les présente toutes les deux. Offrir plusieurs scénarios rassure la direction. Cela lui permet de couvrir ses arrières.

D.B. - Quel est le plus grand piège du chasseur de tendances ?

M.F. - S'emballer au point de vouloir reproduire exactement ce qu'il voit. Ou alors, s'accrocher aux vieilles tendances. Par exemple, le manque de temps. Voilà des années qu'on répète que tout le monde manque de temps. Est-ce toujours vrai ? Le taux de chômage n'a jamais été aussi élevé, et les chômeurs ont du temps. Une situation passagère ? Le taux de chômage baissera-t-il bientôt ? Pour le savoir, cherchons si une autre tendance vient appuyer ou annuler celle-ci. Or, le fossé entre riches et pauvres s'accentue. Nous allons vers une société divisée entre de plus en plus de gens qui ont du temps et de moins en moins de gens qui ont de l'argent.

D.B. - Votre secteur, les boissons gazeuses, est menacé par deux tendances importantes, l'obésité et le virage santé. Comment y survivre ?

M.F. - Définissons d'abord le problème. Nous vendons des boissons gazeuses depuis des décennies, et personne ne s'en formalisait. Pourquoi nous attaque-t-on aujourd'hui ? Parce que nous vendons plus de boissons gazeuses qu'avant. On associe la montée de l'obésité à la croissance de nos ventes. La solution pour réduire cette pression ? Augmenter nos revenus sans vendre plus de boissons gazeuses. Starbucks y est arrivée en inventant le café à 5 $. Après tout, trop de café, ce n'est pas bon pour la santé non plus. Les confiseurs, eux, ont trouvé une autre avenue pour apaiser la clameur : ils offrent leurs produits en portion réduite.

D.B. - Parlons maintenant d'une tendance lourde, le souci de l'environnement. Vos bouteilles d'eau Aquafina requièrent beaucoup de plastique...

M.F. - Encore une fois, définissons le problème. Ce n'est pas notre produit, mais bien son contenant. Éliminons-le alors. Remettons la mission de PepsiCo en question. Et si nous nous définissions comme une société de traitement de l'eau et non comme un embouteilleur ? L'eau est un enjeu majeur pour la plupart des pays. Or, il fut une époque où l'eau coulait à flots dans les fontaines publiques. Si on revenait à cet esprit ? PepsiCo pourrait devenir le «purificateur officiel» de l'eau de ces fontaines. Nous avons déjà la technologie. L'appliquer à l'eau embouteillée ou à l'eau des fontaines, c'est du pareil au même. Et, du coup, nous réglons le problème du plastique.

D.B. - Comment faites-vous pour convaincre la direction de PepsiCo d'investir dans une tendance que vous leur présentez ?

M.F. - Je leur enlève leurs points de repère pour les forcer à penser autrement ! Prenons la question de l'eau et du futur d'Aquafina. J'ai essayé d'évoquer, par des statistiques et des études, le défi et les occasions d'affaires que pose la rareté de l'eau. Ce fut un échec. Certains membres de la direction ont mis mes chiffres en doute. D'autres les ont trouvé déprimants. Les objections habituelles, quoi. Je vais essayer autre chose. Au lieu de leur parler de l'avenir, je vais le leur montrer. Je vais les transporter dans un univers futuriste. À l'aide de la firme SciFutures, nous avons créé une bande dessinée portant sur le retour de la fontaine publique. Cela suscitera un autre de type de questions. Celles-ci permettront d'amorcer, je l'espère, une vraie discussion sur l'avenir de l'eau embouteillée.

D.B. - Des tendances sont évidentes, comme la montée de la photo numérique. Pourquoi certaines entreprises ne les voient-elles pas ?

M.F. - Elles les voient. Toutes les entreprises qui ont disparu faute de s'adapter ont eu, à un moment de leur histoire, un employé qui a sonné l'alarme. Toutes les entreprises ont leurs chasseurs de tendances informels. Je sais que Kodak en avait une. La direction ne l'a pas écoutée.

D.B. - Comment le profane peut-il traquer les tendances?

M.F. - Choisissez deux entreprises que vous jugez visionnaires. Observez les produits ou services qu'elles lancent ou retirent, les marchés où elles s'implantent, les clientèles qu'elles servent, etc. Et demandez-vous quelle est la raison derrière chacune de ces décisions. Vous mettrez éventuellement le doigt sur des tendances.

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