Frédéric Laloux: changer l’organisation pour créer du bonheur


Édition du 07 Octobre 2017

Frédéric Laloux: changer l’organisation pour créer du bonheur


Édition du 07 Octobre 2017

Par Diane Bérard

Le livre de Frédéric Laloux, Reinventing Organizations, publié en 2014 et devenu un best-seller mondial, évoque un nouveau type d'entreprise où chaque équipe s'autorégule. Depuis, plusieurs entreprises québécoises, notamment à la Maison des leaders et au Groupement des chefs d'entreprises, explorent ce modèle.

L'entrevue n° 334
Diane Bérard - L'émergence du titre «responsable du bonheur» (chief happiness officer) vous laisse perplexe. Pourquoi ?

Frédéric Laloux - Quand on constate le niveau de souffrance des employés, on ne peut pas s'objecter à la recherche du bonheur en entreprise. Cependant, derrière de telles initiatives, on perpétue des formes de gestion paternalistes. Comme si on pouvait rendre les employés heureux par l'entremise d'un programme pondu dans le quartier général et validé par le comité de direction. Le bonheur et la joie sont fondamentalement intrinsèques. Personne ne peut vous rendre heureux.

D.B. - Alors, comment crée-t-on du bonheur au boulot ?

F.L. - On crée des conditions qui ne rendent pas malheureux. Les observations et les recherches qui ont mené à la rédaction de Reinventing Organizations indiquent que les conditions qui rendent les employés malheureux sont imbriquées dans la structure des organisations. Certaines initiatives peuvent faire du bien, comme l'implantation de programmes d'évaluation moins destructeurs ou de séances de méditation. Toutefois, tant qu'on n'a pas touché à la structure, on ne fait qu'effleurer la surface.

D.B. - Votre livre présente des organisations libérées dont on a revu la structure pour diffuser le pouvoir et la prise de décision. Cependant, ces organisations ont tout de même un cadre...

F.L. - En effet. Si on veut favoriser l'initiative, il faut permettre des relations authentiques entre les employés, mais de telles relations ne peuvent exister sans un cadre. Il faut savoir que quelqu'un interviendra si on nous donne des conseils que nous n'avons pas sollicités ou si on se moque de nos idées.

D.B. - Qu'est-ce que le romantisme du lâcher-prise ?

F.L. - Il y a des gens pour qui le contrôle, c'est mauvais, et le lâcher-prise, c'est bien. Une entreprise, c'est un peu comme un organisme vivant, et tout organisme vivant requiert du contrôle. J'ai besoin, entre autres, que la température de mon corps soit régulée. Une organisation a besoin de processus, mais qui ne soient pas opprimants. Il faut des systèmes qui s'autocorrigent.

D.B. - Pourquoi un dirigeant voudrait-il implanter un modèle d'entreprise libérée ?

F.L. - Certainement pas pour suivre la mode ou pour augmenter la performance. Ces motivations sont insuffisantes pour transformer fondamentalement les structures. L'unique circonstance qui mène à un changement en profondeur, c'est lorsque le dirigeant ne peut faire autrement. Parfois, le déclencheur est visible. Un jour, la directrice d'un hôpital en Belgique a quitté le travail à 15 h 45. Elle a constaté la présence d'un groupe d'infirmières derrière la machine où l'on enregistre les heures d'arrivée et de départ. Elles attendaient qu'il soit 16 h pour partir. Ç'a été une révélation pour cette dirigeante. Elle s'est demandé : «Qu'est-ce que notre organisation a fait à ces professionnelles pour qu'elles en arrivent à attendre qu'il soit 16 h pour partir ? Que pouvons-nous faire pour qu'il n'en soit plus ainsi, dans leur propre intérêt et dans celui des patients ?»

D.B. - Revoir la structure d'une entreprise est une tâche immense. Quelle question suggérez-vous aux dirigeants de se poser au départ ?

F.L. - Je leur suggère de se demander : «Qu'est-ce qui heurte mon intégrité ? Qu'est-ce que je n'ai plus envie de cautionner ?» C'est la première chose à changer dans l'organisation.

D.B. - Vous ne proposez pas de plan d'action, mais vous proposez une première étape. Laquelle ?

F.L.- Demandez-vous où l'énergie est le plus bloquée dans votre organisation. Ce peut être le système de budget qui cadenasse tout le monde. Ou bien le climat de peur qui paralyse les employés et qui tue l'initiative.

D.B. - Vous incitez les dirigeants à admettre qu'ils ne connaissent pas la réponse...

F.L. - Effectivement. Cependant, il y a un monde entre «Je ne sais pas» et «Je ne sais pas, mais on va trouver la réponse ensemble».

D.B. - Vous avez déstabilisé de nombreux dirigeants en déclarant que les organisations ne doivent plus avoir d'objectifs, car ils ne sont pas des sources de motivation...

F.L. - Dans certaines entreprises libérées, des personnes ont choisi de se réimposer des objectifs parce que cela leur plaît. Certaines personnes font du jogging pour le plaisir, d'autres participent à des compétitions. Les objectifs imposés par la direction institutionnalisent le sentiment de manque chez les employés. C'est de ces objectifs qu'il faut se débarrasser, pas de ceux qui émanent des équipes.

D.B. - Où va une entreprise sans objectif ?

F.L. - Qui croit encore aux objectifs ? On les détermine pour un an, alors que tout le monde sait que, dans trois mois, ça ne vaudra plus rien. Le taux de change aura bougé, un fournisseur aura fait faillite, un pays entrera en crise économique ou politique, etc. Ou bien la situation sera plus facile que prévue et les vendeurs vont tenter de ne pas trop vendre afin de se garder de la marge pour l'année prochaine. Cela devient un jeu auquel personne ne croit vraiment.

D.B. - Vous suggérez de remplacer les objectifs par des relations. Expliquez-nous.

F.L. - J'ai posé la question suivante au PDG de Sun Hydraulics, une société floridienne cotée au Nasdaq : «Vous affichez des résultats financiers impensables depuis 30 ans, mais vous n'avez aucun objectif. Comment faites-vous pour savoir que le directeur de votre usine allemande fait un bon boulot ? Vous ne pouvez comparer ses résultats avec aucun objectif.» Il m'a répondu : «Si j'ai besoin d'objectifs pour évaluer mes cadres, c'est que je m'y prends mal. Je recrute bien. Je suis en relation avec mes cadres. Je visite leurs usines. Je vois s'ils font de leur mieux et si leurs équipes tournent à fond.»

D.B. - Vous proposez de changer la façon de communiquer en entreprise. Donnez-nous un exemple.

F.L. - Imaginons que nous démarrons un projet. Nous comptons produire un tableur Excel avec des projections et une présentation PowerPoint. Avant tout ça, assoyons-nous autour d'une table et partageons ce dont nous rêvons pour ce projet. S'il était déjà réalité, qu'en dirions-nous ? Et nos clients ? Inventons des citations. Visualisons le projet, sentons-le. Une fois que nous nous sommes raconté des histoires, celles-ci ne disparaîtront plus. Disons-nous comment nous aimerions fonctionner en équipe. Quelles sont nos peurs par rapport au projet ? En une petite heure, nous aurons donné de l'humanité et un vrai sens au projet. Grâce à cette heure investie, une foule de choses se passeront plus simplement. Si nos peurs se réalisent, par exemple, nous pourrons y faire référence : «Hé, nous tombons dans le piège.» Ou : «Nous avions dit que nous allions nous amuser.» Des conversations deviennent possible pour déminer le projet.

Consultez le blogue de Diane Bérard : www.lesaffaires.com/blogues/diane-berard

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