Entrevue n°130: Bernard Droux, associé, Lombard Odier

Publié le 03/11/2012 à 00:00

Entrevue n°130: Bernard Droux, associé, Lombard Odier

Publié le 03/11/2012 à 00:00

Par Diane Bérard

Bernard Droux, associé, Lombard Odier

Bernard Droux est associé dans la plus ancienne maison de banquiers privés suisse, Lombard Odier, qui compte 24 bureaux, dont un à Montréal. Il dirige aussi le lobby Genève Place Financière, qui regroupe les 80 banques membres de la Bourse de Genève. Son mandat : assurer le rayonnement et la vigueur du secteur de la finance suisse. Je l'ai rencontré à Montréal.

DIANE BÉRARD - Plus du quart (27 %) des fortunes privées sous gestion sont en Suisse. De nombreux États veulent récupérer leurs impôts non payés. Que répond la Suisse ?

BERNARD DROUX - Nous répondons qu'il faut respecter la sphère privée des contribuables, tout comme on respecte le secret médical. Mais il ne faut pas confondre respect de la vie privée et secret bancaire. Nous sommes conscients des exigences de transparence. Nous savons aussi que l'avenir de la Suisse passe par la gestion d'avoirs fiscalisés. Et nous acceptons de nous soumettre à l'article 26 de l'OCDE qui réclame la coopération des États face aux demandes d'information financière. Nous coopérerons s'il y a de bonnes raisons. Mais nous ne voulons pas souscrire à l'échange automatique d'information. Nous voulons éviter les abus, les demandes groupées, par exemple.

D.B. - Que fait-on de tous les citoyens étrangers détenant des avoirs non fiscalisés en Suisse ?

B.D. - Nous proposons de tirer un trait sur le passé. Nous parlons d'impôt libératoire : les contribuables paient ce qu'ils auraient dû payer dans leur pays, disons depuis 10 ans. Mais leurs noms ne sont pas communiqués au fisc, par respect pour la sphère privée. Pour la suite, leurs avoirs deviennent fiscalisés. Mais leurs noms demeurent confidentiels. Les banques suisses prélèvent l'impôt à la source et le versent elles-mêmes à l'État.

D.B. - La Suisse veut conserver un statut bancaire et fiscal particulier. Où en sont les négociations ?

B.D. - Nos demandes sont regroupées sous le nom des Accords Rubik. Nous les négocions pays par pays et non avec toute l'Europe. Il ne faut pas oublier que les États européens jouissent de l'indépendance fiscale. Pour l'instant, l'Angleterre a accepté ces accords. L'Autriche aussi. Le Parlement allemand doit voter à la fin de novembre. Ce n'est pas garanti.

D.B. - Que fait un banquier privé ?

B.D. - Je suis un peu le médecin de famille de votre argent. Je m'occupe de la gestion de votre patrimoine. Cela va au-delà de votre fortune. Je connais votre famille. Nous parlons, par exemple, de la transmission de votre fortune. Notre maison existe depuis sept générations, et certains de nos clients nous suivent depuis cinq générations.

D.B. - Quelle différence avec un «vrai» banquier ?

B.D. - D'abord, la structure juridique dans laquelle j'évolue. Lombard Odier est composée de huit associés conjointement et solidairement responsables des engagements de la société sur l'ensemble des biens. Je suis donc un entrepreneur. Ensuite, un banquier privé ne fait que de la gestion de patrimoine. Certaines institutions se définissent comme des banques privées du fait de leur mandat - la gestion de patrimoine -, alors qu'il s'agit de sociétés anonymes et non de sociétés à responsabilités partagées comme Lombard Odier. Toutefois, peu importe leur structure, elles emploient toutes de «vrais» banquiers [sourire].

D.B. - À combien doit s'élever ma fortune pour vous consulter ?

B.D. - Nous établissons le seuil à 1 million de dollars américains, mais nous ne sommes pas dogmatiques.

D.B. - La crise vous a-t-elle laissé des clients ?

B.D. - L'investissement a connu ses périodes fastes et ses creux. Mais n'oubliez pas que des sociétés comme Apple et Microsoft ont créé des milliers d'actionnaires millionnaires. Notre maison était habituée aux vieilles fortunes. Les fortunes d'aujourd'hui sont différentes, elles se bâtissent plus vite.

D.B. - Qu'est-ce qui détermine la vigueur d'une place financière ?

B.D. - Sa stabilité politique et économique. Le contrôle de son déficit. La gestion prudente des affaires de l'État. Le client doit savoir que son investissement ne perdra pas de valeur (pas de risque de dévaluation de monnaie) et qu'il y aura accès facilement (pas de menace de nationalisation des banques du jour au lendemain).

D.B. - Au fond, cela ne se résume-t-il pas à une question de fiscalité ?

B.D. - Pas du tout. La fiscalité ne fait pas la place financière. On compte deux villes suisses parmi les 10 premières du Global Financial Index [qui classe chaque année les places financières internationales]. La Suisse a une fiscalité «acceptable» : elle n'étouffe pas les entrepreneurs. Mais d'autres endroits se montrent plus favorables que nous. Une place financière a besoin d'acteurs et de clients. Les acteurs, ce sont les gestionnaires; ils veulent une fiscalité attrayante, mais aussi un système d'éducation de qualité et une vie culturelle riche. Les clients, eux, veulent une fiscalité attrayante, mais aussi un accès facile (aéroports, routes, etc.).

D.B. - Qu'est-ce qui distingue les systèmes financiers européen et américain ?

B.D. - Les financiers américains ont une culture du profit plus rapide et y faire faillite est normal. En Europe, c'est mal vu. Notre propension au risque diffère.

D.B. - Crise financière, à qui la faute ?

B.D. - À l'origine, ce sont les subprimes [prêts hypothécaires à risque] qui ont failli mettre le monde à genoux, pas l'immobilier européen. Le système financier européen aussi a connu ses abus, mais on ne peut mettre toute l'Europe dans le même sac. Il existe trois écosystèmes financiers européens. L'Europe continentale, qui passe un mauvais quart d'heure, Londres, qui se porte bien, et la Suisse, qui n'a pas connu de catastrophe.

D.B. - Le capitalisme est-il en crise ou est-ce une perturbation temporaire ?

B.D. - L'heure est à une prise de conscience. Il faut intégrer des éléments de finance durable, car le gain à tout prix nous mène droit dans le mur.

D.B. - Est-ce que réglementer est la solution au problème ?

B.D. - L'histoire nous a prouvé que la réglementation permet d'éviter les abus et les excès. Encore faut-il qu'elle soit suffisamment claire pour être suivie. Et suffisamment pertinente pour encadrer et surveiller ce qui doit l'être.

D.B. - Règle-t-elle tout le problème ?

B.D. - Non. Les règlements n'éliminent pas la cupidité. L'être humain a des côtés sombres. Il n'a plus le choix de les dompter. Sinon, le mur nous attend.

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