Entrevue n°274 : Michael Kobori, vice-président, développement durable, Levi Strauss


Édition du 30 Janvier 2016

Entrevue n°274 : Michael Kobori, vice-président, développement durable, Levi Strauss


Édition du 30 Janvier 2016

Par Diane Bérard

«Un jour, chaque paire de jeans servira entièrement à en fabriquer une autre» - Michael Kobori, vice-président, développement durable, Levi Strauss.

Michael Kobori travaille en développement durable depuis 25 ans. À partir de 2006, il est devenu responsable des standards de main-d'oeuvre, de santé, de sécurité ainsi que des critères environnementaux que Levi Strauss applique à ses sous-traitants. L'entreprise de San Francisco est reconnue comme une pionnière du développement durable. Elle a contribué à l'avancement de ce dossier dans son secteur.

Diane Bérard - En 2007, Levi Strauss s'est penchée pour la première fois sur son impact environnemental en étudiant le cas de ses Levi's 501 et de ses Dockers Khaki. Vous en avez été quitte pour toute une découverte...

Michael Kobori - En effet, notre impact le plus important n'était pas celui que nous imaginions. Depuis des années, nous avions concentré notre énergie et nos ressources sur notre processus manufacturier : utilisation d'eau, d'énergie, empreinte carbone, etc. Or, le plus grand impact environnemental des Levi's 501 et des Dockers Khaki a lieu avant et après leur production. La culture et le traitement du coton ainsi que la façon dont les consommateurs entretiennent leurs jeans sont les vraies sources d'impact environnemental de notre produit.

D.B. - Levi's devait être satisfaite de constater que ses fournisseurs et ses consommateurs polluent plus qu'elle...

M.K. - Vous voulez dire que nous pouvions nous déresponsabiliser ? Pas si vite. Aujourd'hui, les gouvernements, les consommateurs, la société civile, toutes les parties prenantes estiment que, dès s'il s'agit de votre produit, vous êtes responsable. Notre impact environnemental se trouve peut-être à l'extérieur de notre contrôle direct, mais nous en sommes responsables.

D.B. - En 25 ans, vous en avez vu passer, des modes en développement durable. Quelle leçon tirez-vous ?

M.K. - Comme plusieurs entreprises, nous avons lancé notre «produit responsable». Il était fait à 100 % de coton biologique. C'était une erreur pour deux raisons. D'abord, les consommateurs n'achètent pas un produit «responsable». Ils achètent un produit qui remplit leur besoin et qui, en bonus, est fabriqué de façon responsable. Ensuite, avoir un seul produit responsable, c'est beaucoup trop d'énergie et de ressources consacrées à une seule fin. Il est plus rentable d'intégrer le développement durable à toute la gamme de produits.

D.B. - Levi Strauss adhère à la Better Cotton Initiative. De quoi s'agit-il ?

M.K. - C'est la suite de notre étude de 2007. Nous avons décidé de réduire l'impact environnemental du coton que nous utilisons. Mais Levi's ne peut pas changer la culture du coton à elle seule. Par contre, de concert avec les autres fabricants de vêtements, nous pouvons y arriver. Les membres du Better Cotton Initiative paient une cotisation qui finance la formation des agriculteurs. On leur enseigne des techniques utilisant moins d'eau et de produits chimiques. Pour l'instant, 11 % du coton que Levi's achète provient d'agriculteurs membres de cette initiative.

D.B. - En novembre 2015, vous avez partagé vos méthodes d'économie d'eau avec vos concurrents. Pourquoi ne pas conserver votre avance pour vous ?

M.K. - L'eau devient le nouveau carbone. C'est l'enjeu environnemental de l'heure. Plusieurs pays vivent une situation de crise. Nos sous-traitants se trouvent dans ces pays. Levi's fait sa part. En cinq ans, nous avons éliminé un milliard de litres d'eau de notre production. Le tiers de nos jeans sont fabriqués sans eau. Mais, comme pour la culture du coton, l'eau est un enjeu trop important pour s'y attaquer seul. C'est pourquoi nous avons partagé nos processus d'économie d'eau avec nos concurrents.

D.B. - Faut-il voir le développement durable comme une pratique d'affaires standard et non comme un avantage concurrentiel ?

M.K. - C'est l'un et l'autre. Pour s'attaquer aux enjeux globaux - dont l'eau, le comportement du consommateur et le traitement des travailleurs -, les entreprises optent pour la coopétition. Elles travaillent ensemble. Par contre, nous sommes en concurrence à propos du rythme de conversion. À chaque entreprise de nouer des alliances avec les sous-traitants et les agriculteurs qui se montrent plus ouverts et innovants. Cela exige de revoir leur réseau.

D.B. - Qu'est-ce que l'indice Higg ?

M.K. - C'est une mesure élaborée par la Sustainable Apparel Coalition, formée il y a cinq ans. Cet indice permet à un fabricant de mesurer sa performance environnementale et sociale à l'aide d'outils en ligne. L'entreprise obtient une cote qu'elle peut comparer à celle de ses concurrents.

D.B. - Vous oeuvrez dans le secteur du développement durable depuis 25 ans. Quelle est la prochaine étape ?

M.K. - Les occasions les plus intéressantes se trouvent du côté du développement social durable. D'ailleurs, on commence à voir le titre «directeur du développement durable social et environnemental». Pour Levi's, ce n'est pas nouveau. Il y a 25 ans, nous avons élaboré des conditions d'engagement [terms of engagement] pour encadrer notre conduite envers nos sous-traitants. Il y a cinq ans, nous les avons actualisées.

D.B. - Qu'est-ce que le développement social durable ?

M.K. - Jusqu'à présent, nous nous sommes concentrés sur le respect et la protection des droits des travailleurs. C'est bien. Mais étant donné que nos sous-traitants se trouvent dans des régions qui sont parmi les plus pauvres du monde, il est temps de franchir une nouvelle étape : améliorer la vie des employés de nos fournisseurs.

D.B. - Comment cela se décline-t-il concrètement ?

M.K. - Plutôt que de tenter d'y répondre nous-mêmes, nous avons interrogé les personnes concernées. Les employés de nos sous-traitants veulent des cours de littératie financière, pour faciliter la gestion de leurs finances personnelles. Et ils souhaitent un meilleur accès aux soins de santé.

D.B. - Les entreprises ont des fondations philanthropiques pour contribuer au développement social, non ?

M.K. - En effet, c'est le modèle traditionnel. Et celui que Levi's a adopté pendant plusieurs années. Mais depuis trois ans, nous migrons vers une nouvelle formule. La philanthropie a sa place. Mais pour ce type de programme, son soutien financier est trop aléatoire. Le financement d'un programme peut cesser si les priorités de la Fondation évoluent. Nous avons donc transféré la responsabilité financière de ces programmes aux sous-traitants eux-mêmes. Ce sont eux qui les financent en les intégrant à leurs pratiques de ressources humaines. Une vingtaine de sous-traitants ont accepté. Ceux-ci se trouvent dans huit pays. Ensemble, ils emploient 100 000 personnes.

D.B. - Comment convainquez-vous vos sous-traitants d'implanter des pratiques sociales durables ?

M.K. - En les informant de l'impact de ces pratiques sur leur entreprise. Prenons le cas des employées enceintes. Chaque dollar que le sous-traitant investit en soins de base pendant la grossesse permet d'en économiser trois, soit les coûts liés à l'absentéisme.

D.B. - Et quelle est la prochaine étape du développement environnemental responsable ?

M.K. - C'est l'économie circulaire, celle qui «boucle la boucle». Pour l'instant, les jeans que les clients nous rapportent sont utilisés comme isolant, comme rembourrage pour les sièges d'auto, ou bien ils sont revendus au rabais ou donnés. Un jour, chaque paire de jeans servira entièrement à en fabriquer une autre.

Suivez Diane Bérard sur Twitter @diane_berard

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