Pangea marie la haute technologie aux grandes cultures


Édition du 16 Novembre 2013

Pangea marie la haute technologie aux grandes cultures


Édition du 16 Novembre 2013

«On veut que les personnes avec qui nous travaillons aient le contrôle de l'organisation.» - Serge Fortin, cofondateur de Pangea, qui possède lui-même 2 000 acres de terre sur la Rive-Nord.

Première moisson pour Charles Sirois et Serge Fortin. Au terme d'une première saison de culture, leur société Pangea engrange ses premiers profits et conclut le rachat des quelque 6 000 acres que la Banque Nationale détenait au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Elle est maintenant prête à «changer le modèle agricole»... non sans bousculer l'UPA !

La retraite venue, l'ingénieur Serge Fortin voulait se consacrer entièrement à sa «passion» : l'agriculture. Il y a trois ans, il dînait avec son vieil ami Charles Sirois. L'ancien pdg de Téléglobe Canada et cofondateur de la Coalition avenir Québec est un ancien collègue de l'industrie des télécommunications. Surprise : les deux hommes d'affaires caressaient le même rêve - se lancer dans les grandes cultures !

«Il m'a dit : "Moi, je veux faire ça !" en sortant tout un dossier sur une entreprise d'exploitation agricole qu'il avait imaginée», raconte Serge Fortin. Lui-même a toujours été cultivateur, même pendant qu'il participait à la fondation de Tata Communications en Inde dans les années 1990 et qu'il siégeait au conseil d'administration d'Intelsat, le plus grand fournisseur de télécommunications par satellites. «J'ai quand même 2 000 acres sur la Rive-Nord, où je sème du blé, du soya, du maïs et des fèves japonaises», dit-il. C'est l'équivalent de plus de 1 000 terrains de soccer en culture.

Avec Charles Sirois, ce fils de maraîcher a fondé Pangea terres agricoles en août 2012. La société en commandite a ensuite acheté et mis en culture une série de grands lots dans Lanaudière, au Lac-Saint-Jean et en Estrie. Elle détient aujourd'hui «plus de 11 000 acres».

L'agriculture à petite échelle ? Très peu pour Fortin et Sirois. Dans les régions où elle a acheté des terres, Pangea comptera bientôt sept coentreprises, appelées à exploiter chacune «au moins 2 000 acres». «Les terres de 1 600 acres et plus, ça représente moins de 1 % des surfaces au Québec», souligne Serge Fortin.

Ces «sociétés opérantes agricoles» (SOA) font dans les «grandes cultures» non périssables, cotées dans les grands marchés de denrées internationaux : céréales, oléagineux, légumineuses... Le modèle requiert peu de main-d'oeuvre, mais beaucoup de capital et de technologie. «La plupart des tracteurs et des moissonneuses sont conduits par satellite», dit l'ingénieur cultivateur.

Pangea veut limiter sa participation dans les SOA à 49 % des parts ; le cultivateur local en garde 51 %. «On veut que les personnes avec qui nous travaillons aient le contrôle de l'organisation», insiste Serge Fortin.

Charles Sirois «n'a pas pu se libérer» pour une entrevue avec Les Affaires, selon une porte-parole de Pangea.

La Nationale sort des champs

Dans le modèle qu'ont imaginé les deux hommes d'affaires, chacun garde ses terres : le cultivateur comme leur société. Mais les ex-magnats des télécommunications apportent de grandes surfaces. Au Saguenay-Lac-Saint-Jean, ils viennent de mettre la main sur les champs que la Banque Nationale a achetés, puis revendus en catastrophe.

De février 2012 à février 2013, l'institution financière avait acquis pour 5,36 millions de dollars de terres agricoles dans la région. Mais la Banque a vite dû admettre qu'elle n'avait rien d'une entreprise agricole, en plus de se faire accuser d'accaparement des terres par l'Union des producteurs agricoles (UPA). En pleines négociations avec certains vendeurs de lots, elle a cessé tout achat au printemps dernier, puis vendu ses champs aux deux hommes d'affaires.

La Banque Nationale reste cependant indirectement copropriétaire des terres. Pangea l'a payée en actions, et l'institution financière est maintenant le troisième commanditaire de la société, après MM. Fortin et Sirois.

Même si la transaction n'a été notariée que le 1er novembre, Pangea avait déjà le contrôle des terres durant la dernière saison, qui s'annonce payante. «On se prépare à être rentable dans la plupart des SOA dès la première année», dit Serge Fortin, qui a toutefois refusé de partager ses chiffres avec Les Affaires.

La Banque Nationale ne peut pas en dire autant. Malgré un profit de quelque 700 000 $ sur la revente de ses terres au Saguenay-Lac-Saint-Jean, l'institution financière a dû encaisser «une légère perte» lors de son aventure ratée dans les champs, dit Claude Breton, directeur des affaires publiques de la Banque, sans vouloir donner de détails.

Il reconnaît d'emblée que la Nationale n'avait ni les bonnes personnes en place ni les bonnes machines. «On a fait des erreurs de débutant, notamment dans les achats d'équipement, dit le porte-parole. On a acheté des tracteurs qui étaient les plus gros jamais vus au Saguenay-Lac-Saint-Jean.» Des véhicules qui ne passaient pas sous les fils électriques !

L'institution financière admet aussi être «arrivée avec ses gros sabots» en investissant les campagnes. Elle a été accusée d'être en conflit d'intérêts. «Nos clients agricoles disaient : "Vous ne pouvez pas détenir des terres et faire des prêts en même temps" à ceux qui rivalisent pour les mêmes lots», raconte Claude Breton.

Accaparement des terres

Pangea accorde plus de place aux agriculteurs locaux en leur laissant la gestion des SOA. Mais son système bouscule lui aussi l'agriculture traditionnelle. «Mes membres ont certaines appréhensions, dit Yvon Simard, président de l'UPA du Saguenay-Lac-Saint-Jean. On va laisser la chance au coureur, mais ce n'est pas le modèle qu'on préconise, fondé sur les fermes familiales.»

Le plus gros problème, selon lui, c'est que Pangea monopolise les milliers d'acres rachetés à la Banque Nationale. «Ça complique l'acquisition de terres par la relève», dit Yvon Simard, joint sur son cellulaire dans son étable, alors qu'il attendait qu'un vétérinaire replace l'estomac d'une de ses vaches.

Serge Fortin jure pourtant que son modèle permettra de tenir l'agriculture québécoise à l'abri des grandes multinationales comme Monsanto. «Nous voulons apporter un modèle pour provoquer des changements, dit-il. Si on n'agit pas, il y aura une industrialisation de l'agriculture.»

Mais son modèle n'a rien d'artisanal, et le président de l'UPA reste méfiant. Informé de l'entrée de la Banque Nationale au capital de Pangea, Yves Simard lâche un «je m'en doutais». D'autres grands investisseurs risquent d'ailleurs de débarquer par l'intermédiaire de cette société. Serge Fortin cherche d'autres commanditaires : «des fonds de pension, des assureurs... Tous ceux qui ont du capital patient». Les futurs partenaires de Pangea pourraient aussi être des cultivateurs locaux.

Depuis l'an dernier, la Caisse de dépôt et placement du Québec investit dans une entreprise d'exploitation agricole en compagnie du fonds de retraite de professeurs américains TIAA-CREF, du fonds de retraite suédois Andra AP-Fonden et de celui des fonctionnaires de la Colombie-Britannique, la British Columbia Investment Management Corporation. TIAA-CREF Global Agriculture LLC investit dans des terres aux États-Unis, au Brésil et en Australie.

Pour continuer à croître, Pangea pourrait elle aussi regarder au-delà des frontières québécoises : Provinces maritimes, Prairies, Nord-Est américain... Serge Fortin évoque même l'Uruguay et l'Argentine.

Quant à la Banque Nationale, elle a perdu le goût de la campagne... Elle s'en tiendra à l'avenir à un rôle d'actionnaire passif, assure Claude Breton, porte-parole de l'institution financière. «Nous n'avons plus aucune volonté de détenir des terres directement.»

M. Breton ajoute qu'à mesure que Pangea prendra de l'expansion, la part de la Banque Nationale dans la société en commandite diminuera progressivement.

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