Le long trajet de Normand Carrier

Publié le 01/09/2009 à 00:00

Le long trajet de Normand Carrier

Publié le 01/09/2009 à 00:00

Par Diane Bérard

Le directeur général du Réseau de transport de la Capitale (RTC) de Québec, entame son troisième mandat. On ne bâtit rien dans le court terme, affirme- t-il. Portrait d'un audacieux tranquille.

" Je ne restructurerai pas. " Un gestionnaire qui prend la tête d'une organisation en crise et qui ne restructure pas ? Impensable ! Pourtant, Normand Carrier l'a osé. En mai 1999, lorsqu'il devient directeur général de la STCUQ (aujourd'hui Réseau de transport de la Capitale), il ne touche à aucune case de l'organigramme. Pourtant, syndicats, employés, usagers, administrateurs, tout le monde attend un sauveur. Celui qui rebrassera les cartes pour permettre à la STCUQ d'émerger de la crise à la fois financière (un déficit de 8 M$), opérationnelle (une flotte vieillissante) et humaine (des relations de travail conflictuelles) qui l'étouffe depuis des années.

Le nouveau dirigeant, lui, ne voit pas les choses ainsi. " On ne résout pas une crise en disant : "Je vais tout virer à l'envers", car cela stresse tout le monde davantage. " Comment expliquer ce réflexe, alors ? " Les PDG restructurent parce que c'est un geste qu'on peut poser rapidement. Il donne l'impression qu'on a fait sa marque, qu'on laisse son empreinte. L'autre réflexe du nouveau patron consiste à amener sa gang. Je n'y crois pas non plus. Pas tout de suite. On ne diminue pas l'incertitude en ajoutant des éléments inconnus dans l'organisation. "

Normand Carrier a attendu deux ans avant de recruter des candidats de l'externe, et six ans avant de restructurer. " Mon premier mandat de cinq ans, je l'ai passé à redresser une organisation en crise pour la rendre fonctionnelle. Le deuxième, je l'ai consacré à faire passer l'organisation du niveau fonctionnel à un niveau performant. C'est à cette étape seulement que j'ai modifié la structure. "

Cette année, il entame son troisième mandat. À 61 ans, il a choisi de rester parce qu'il n'a pas terminé ce qu'il souhaite accomplir.

Le directeur général du RTC est un homme calme et posé. Face à une question difficile de la journaliste, il prend le temps de réfléchir. On l'imagine sans difficulté faire de même dans son organisation. Et malgré ses lunettes, on voit ses yeux sourire régulièrement au cours de la conversation. Visiblement, le métier de gestionnaire le rend heureux. Pourtant, il ne l'a pas exercé dans des conditions faciles. Avant de joindre le RTC, il a été fonctionnaire au sein du gouvernement provincial pendant 25 ans, dont 10 comme sous-ministre associé au directeur général des services correctionnels. " J'ai supervisé le plus gros restaurant du Québec : nous servions 12 000 repas par jour dans les prisons ! " dit-il en riant.

Sa vision du leadership, il l'a développée dans un univers de crises : celui des émeutes dans les prisons. Premier principe : pas de micromanagement. " Un dirigeant a un plan à exécuter, il doit refuser de se laisser distraire, sinon il n'accomplit rien. " À la blague, il ajoute : " J'ai toujours dit à mes gestionnaires : "Est-ce que ça saigne ? Si ce n'est pas le cas, vous pouvez régler la situation vous-mêmes". Pour le bien de l'organisation, je dois me concentrer sur mes propres responsabilités. "

Il cite d'ailleurs une étude des chercheurs américains Robert S. Kaplan et David P. Norton, qui conclut que 90 % des plans stratégiques des entreprises restent sur les tablettes. Les entreprises les rédigent pour obtenir le financement de la banque. Mais elles ne les concrétisent jamais " parce que le PDG a le nez collé sur les activités ".

Normand Carrier a un truc pour se décoller le nez. " Quand la pression devient trop forte, je bloque deux jours à l'extérieur pour faire le point avec mon équipe. La direction doit prendre du recul pour voir l'ensemble de la situation, se donner du temps et de la perspective. "

En prenant la tête du RTC, Normand Carrier a osé se donner du temps, et il a osé en donner à son organisation. Sa stratégie : " Nous avons mis six mois à poser un diagnostic complet, puis nous avons élaboré un plan de redressement et obtenu le soutien du conseil. Depuis, nous suivons notre plan. "

Premier défi : convaincre les 13 maires qui financent le RTC de hausser leur contribution. Il est urgent de renflouer les coffres. L'état des finances était si lamentable qu'à mi-chemin de la présentation, la mairesse de Sainte-Foy, feu Andrée Boucher, interrompt Normand Carrier pour demander : " Est-ce maintenant qu'il faut perdre connaissance ? " Le gestionnaire répond le plus sérieusement du monde : " Non, non, attendez. J'en ai encore pour 30 minutes ". Une demi-heure plus tard, il termine en demandant aux maires de hausser leur contribution de 16 %. Ceux-ci lui en accordent 16,3 % !

Ainsi commence la longue transformation de cet organisme. La hausse des subventions des municipalités représente une première victoire. Car Normand Carrier a l'esprit pratique. Il croit aux vertus du long terme, mais il sait que ce sont les réussites à court terme qui nourrissent la confiance et la patience des parties prenantes.

Après le financement, le directeur général s'attaque à l'état du service (le nombre de passagers a augmenté de 18,4 % en quatre ans), à l'entretien des véhicules et au renouvellement de la flotte (33 nouveaux autobus par an).

De petites victoires en petites victoires, Normand Carrier exécute son plan. Un plan qui, lui aussi, a été long à élaborer. " Au-jourd'hui, nous y consacrons une journée et c'est fait ! Mais les premiers plans stratégiques ont été ardus, difficiles, exigeants, avoue-t-il. " Nous ne donnions pas le même sens aux mots ! Que pensez-vous que j'aurais accompli si je n'étais resté en poste que trois ou quatre ans ? "

Les adeptes du " court-termisme " sont nombreux : actionnaires, analystes, administrateurs, PDG voulant leur bonus. Dans un tel environnement, défendre le " long-termisme " peut être casse-cou, reconnaît Normand Carrier. " Mener une stratégie à long terme exige le soutien du conseil et du personnel. Les premiers vous l'accordent si vous fournissez des résultats. Les seconds, si vous les mobilisez. " Satisfaire les administrateurs demande de la rigueur. " Une vision, une mission, un plan, du leadership et des règles. " Gagner les employés passe par la gestion " pyramidale " : " Vous communiquez vos attentes aux cadres supérieurs qui, eux, les traduisent en objectifs pour les cadres intermédiaires et ainsi de suite jusqu'au bas de la pyramide. Ainsi, le plan descend dans toute l'organisation. Tout le monde se sent concerné. "

Normand Carrier gère un organisme parapublic. Il n'a pas d'obligation de profit. Les PDG des sociétés cotées en Bourse, eux, peuvent-ils se permettre une stratégie à long terme ? Absolument, répond Frédéric Michel, directeur principal, services-conseils au cabinet KPMG. " Quels que soient la nature de l'organisation et le temps que le dirigeant sera en poste, il est embauché pour créer de la valeur à long terme. C'est sa responsabilité. " Évidemment, ajoute le consultant, les pressions court-termistes sont très fortes. " Mais pour qu'il y ait création de valeur, le dirigeant doit équilibrer le court et le long terme. "

Tout comme le dirigeant du RTC, Frédéric Michel accorde beaucoup d'importance au comportement du gestionnaire et à son style de gestion. Ce sont eux qui déterminent si le plan d'action sera accepté ou non par les différentes parties prenantes (stakeholders). Autrement dit, dans la bataille entre le court et le long terme, tout n'est pas joué d'avance. Le dirigeant a plus d'influence qu'on ne serait porté à le croire. " Tout dépend de sa capacité à bien expliquer sa vision et le bien-fondé de celle-ci, ainsi que de la qualité de sa relation avec son conseil et ses actionnaires principaux ", commente Frédéric Michel.

La gouvernance joue aussi un rôle crucial dans une stratégie long-termiste. " Le dirigeant doit communiquer ses décisions régulièrement et avec transparence afin que ses interlocuteurs comprennent en quoi elles contribuent aux intérêts de l'entreprise à court et à long terme ", ajoute le consultant.

Même lorsqu'on croit au long terme, comme Normand Carrier, certains dossiers prennent encore plus de temps qu'on ne le pense. Dans le cas du RTC, il s'agit de celui des relations de travail. Au moment de la rencontre avec Commerce, une grève des employés d'entretien était dans l'air. " Si j'ai connu un échec depuis 10 ans, c'est de n'être pas parvenu à convaincre tous les syndicats (le RTC en a quatre) de travailler davantage en partenariat. Et j'en prends la responsabilité. " Il fait une pause et dit : " Je ne vois pas encore le jour où ce partenariat se réalisera, mais je peux vous assurer qu'il est compris dans mon prochain plan stratégique pour 2010-2015. " Le dirigeant résume l'enjeu ainsi : " Notre organisation vise à se transformer, alors que le syndicat a pour mission de défendre les acquis de ses membres, et même d'en ajouter ". Il faudra être patient.

Normand Carrier le sera. " Le temps ne pardonne pas ce que l'on fait sans lui, dit-il. Lorsqu'on veut brûler des étapes, il faut généralement revenir à la case départ. On réalise qu'on est seul à l'avant du bateau. Tous sont restés en arrière parce qu'on ne les a pas convaincus de nous suivre. " Il conclut qu'à l'heure où les principes de développement durable prennent de l'importance, un management orienté vers le long terme deviendra incontournable.

LE RÉSEAU DE TRANSPORT DE LA CAPITALE EN CHIFFRES

Budget

164,2 millions de dollars

Principales Sources de financement :

48,8 % agglomération de Québec

35,7 % usagers

Employés : 1 399

Clients : 66 236 par jour

Autobus : 547

L'UNIVERS DE NORMAND CARRIER

Dernière ville visitée : Boston

Dernier livre lu : Le moine et le philosophe, de Matthieu Ricard et Jean-François Revel

Premier emploi : " peseur " de fruits et légumes à l'Île-d'Orléans

Un autre métier qu'il aurait aimé pratiquer : cultivateur ou thérapeute

Personnalité célèbre qu'il aimerait rencontrer : le dalaï-lama

La pire erreur qu'un gestionnaire puisse commettre : recruter un candidat sans être sûr de son choix

Un gestionnaire qu'il admire : Roland Arpin, directeur du Musée de la civilisation à Québec

La qualité principale qu'un patron devrait posséder : le leadership

La décision de gestion la plus difficile : congédier un employé

Normand Carrier sera honoré le 23 septembre prochain au Gala du Commerce en compagnie des autres Audacieux. Les profits de ce gala serviront à remettre des bourses d'études.

diane.berard@transcontinental.ca

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