L'entrepreneur: la passion de la déviance

Offert par Les Affaires


Édition du 15 Mars 2014

L'entrepreneur: la passion de la déviance

Offert par Les Affaires


Édition du 15 Mars 2014

Par Robert Dutton

Il y a des propriétaires d'entreprises. Et il y a les vrais entrepreneurs. Il ne faut pas confondre.

Un propriétaire d'entreprise crée ou acquiert une entreprise qui s'inscrit dans un circuit économique existant, aux façons de faire convenues. Par exemple, vous exploitez une entreprise de fabrication de viandes conditionnées ; une concession de vente de véhicules automobiles ; une chaîne de restaurants ; une entreprise de consultation. Votre métier de propriétaire exploitant d'entreprise est noble, essentiel au fonctionnement d'une société développée. Vous êtes efficace, vous offrez un meilleur service que la concurrence, et votre entreprise réussit. Elle croît, gagne des parts de marché. Grâce à ce succès, vous accumulerez un patrimoine important. Mais ça ne fait pas de vous un «vrai» entrepreneur.

Les vrais entrepreneurs sont rares. On ne les reconnaît pas au fait qu'ils dirigent leur propre entreprise, ni même au fait qu'ils l'ont créée. Ils se distinguent par la rupture. Ils dérangent. Ils sont des déviants qui s'assument et, même, qui carburent à leur déviance. Le fondateur de Patagonia, Yvon Chouinard, est allé jusqu'à écrire ceci : «Si vous voulez comprendre l'entrepreneur, étudiez le jeune délinquant. Par ses actions, le délinquant dit : "Foutaises ! Je ferai bien ce que je veux"».

Changer le monde

L'entrepreneur ne réussit pas dans un secteur d'activité : il invente ou réinvente un secteur d'activité ! Comme Guy Laliberté a réinventé le cirque, comme Joseph-Armand Bombardier a créé l'industrie de la motoneige, comme Mike Lazaridis et Jim Balsillie ont inventé un nouveau segment des télécommunications avec leur BlackBerry.

Sans carrément inventer un produit ou un marché, un entrepreneur peut y introduire un changement radical, en y trouvant de nouvelles applications ou de nouvelles façons de faire. Jean Coutu a révolutionné la pharmacie québécoise en y introduisant le franchisage et la mise en marché structurée. On dit d'Aldo Bensadoun qu'il a inventé le «fast fashion», en réduisant de beaucoup le temps nécessaire au lancement d'une chaussure, de la planche à dessin jusqu'au magasin.

Le succès change la vie d'un entrepreneur, cela va de soi. Mais ce n'est pas ce qui l'allume. Ce que veut un véritable entrepreneur, c'est changer notre vie. Comme l'a dit Steve Jobs, «ceux qui sont assez fous pour croire qu'ils peuvent changer le monde sont ceux qui y parviennent». Les entrepreneurs sont assez fous pour ça. Leur «monde» peut être limité à leur région ou leur pays, mais ils y voient néanmoins un monde à changer.

Vous voulez motiver un entrepreneur ? C'est assez simple. Dites-lui : «tu ne réussiras pas», ou «on n'a jamais fait ça comme ça», ou mieux encore, «ça ne marchera jamais !» Là où le commun des mortels voit un obstacle, l'entrepreneur voit une occasion. Là où la majorité voit des problèmes, il voit un projet.

Seul ou avec d'autres ?

Soucieux de changer le monde en faisant les choses à sa manière, méprisant l'ordre établi et les conventions, l'entrepreneur donne l'impression d'être un grand individualiste. Et pourtant, non. Car seul, on peut faire les choses comme on veut, mais pour changer le monde, il faut une équipe. Celles et ceux qui ne veulent que faire les choses à leur façon se réalisent comme travailleurs autonomes ou artisans. Mais entrepreneur, c'est autre chose.

C'est bien là tout son paradoxe. Individualiste au point d'être délinquant, l'entrepreneur concrétise pourtant sa vision en s'appuyant sur les autres. Tous les entrepreneurs mentionnés dans cet article ont réussi parce qu'ils ont su communiquer leur passion à d'autres - d'abord une poignée de personnes, puis quelques centaines, pour finir avec des milliers de collaborateurs. Ils savent choisir leurs collaborateurs et obtenir d'eux des résultats.

On a fait un lien entre cette capacité de s'appuyer sur d'autres et la dyslexie : en effet, selon la professeure d'entrepreneuriat Julie Logan, on trouverait chez les entrepreneurs une proportion anormalement élevée de dyslexiques. Quel est le rapport ? Éprouvant des difficultés à lire et à écrire, les dyslexiques développeraient davantage leurs habiletés à communiquer oralement. En outre, ils s'habitueraient très jeunes à compenser leur difficulté d'apprentissage en déléguant à d'autres d'importantes responsabilités en rapport avec cette difficulté. Pour des raisons évidentes, ils réduisent la paperasse. Les gestionnaires lisent et écrivent. Les entrepreneurs agissent et mobilisent.

Et ils persuadent. Normalement, leur projet de délinquant requiert des ressources, souvent importantes. Alors, imaginez dire à des investisseurs : «Bonjour, j'ai une idée dont tout le monde me dit qu'elle est saugrenue et vouée à l'échec, et je voudrais que vous y investissiez cinq millions de dollars». Ils y parviennent pourtant. Grâce à une capacité de persuader hors du commun.

Individualistes délinquants, leaders enthousiastes, communicateurs et motivateurs. Les entrepreneurs sont tout ça à la fois. Par cette paradoxale déviance, ils font avancer l'humanité. Chacun à sa façon, ils changent le monde. Généralement pour le mieux.

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