Le marathon de la 5G bat son plein. Les différents joueurs se positionnent, mais la course s’annonce longue.


Édition du 15 Décembre 2021

Le marathon de la 5G bat son plein. Les différents joueurs se positionnent, mais la course s’annonce longue.


Édition du 15 Décembre 2021

(Photo: 123RF)

Le réseau 5G a commencé à se matérialiser en 2020 au Canada, mais son développement vient de franchir une étape cruciale avec la mise aux enchères de bandes de fréquences très convoitées. Quelles entreprises sont les mieux positionnées et de quoi seront faits les 12 prochains mois ? Les Affaires vous propose un tour d’horizon pour y voir plus clair.

Au premier coup d’oeil, la tour de télécommunication installée en bordure du stationnement de l’école secondaire Monseigneur-Richard, à Verdun, n’a rien de particulier. Aucune enseigne sur la clôture verte qui l’entoure ne permet de savoir à qui elle appartient ou ce à quoi elle sert.

L’équipement qui y est accroché fait pourtant partie de l’infrastructure 5G, ce réseau sans fil qui promet de changer nos manières de communiquer, de nous déplacer ou d’être soignés, et qui s’étend rapidement partout au pays.

Cette tour qui surplombe le pont de L’Île-des-Soeurs appartient à Telus (T, 29,48 $), mais les deux autres plus grands acteurs de l’industrie des télécommunications au Canada — Bell (BCE, 65,37 $) et Rogers (RCI.B, 58,75 $) — multiplient également les efforts pour implanter leur technologie d’un océan à l’autre. Les trois entreprises prévoient que 70 % des Canadiens auront accès à un réseau 5G d’ici la fin de l’année.

Rogers a été la première à lancer son réseau 5G au Canada en janvier 2020, suivie, en juin de la même année, par Bell et Telus. Au Québec, Vidéotron s’est aussi mise de la partie en déployant son réseau sans fil de nouvelle génération à Montréal en décembre 2020 et à Québec au printemps 2021. Dans cette course aux allures de marathon, les stratégies diffèrent et les milliards de dollars (G $). pleuvent. La 5G promet des téléchargements 10 fois plus rapides qu’avec la 4G, tout en permettant un plus grand nombre d’appareils connectés au même moment et un temps de réponse (de «latence») presque réduit à zéro. Toutefois, la route s’annonce longue pour déployer la technologie, pour trouver des manières de l’exploiter à son plein potentiel et pour démocratiser son utilisation.

«On imagine les voitures autonomes, la chirurgie à distance, mais pour cela, il faut que le réseau soit implanté, affirme la professeure Catherine Rosenberg, qui dirige une chaire de recherche sur l’avenir de l’Internet et une autre sur les systèmes 5G à l’Université de Waterloo, en Ontario. Ça va prendre des années pour que le réseau soit dans un état de maturité auquel on a rêvé.»

 

Moment décisif

Le développement du réseau 5G canadien a connu un moment décisif en juillet dernier, lorsque les enchères du spectre de la bande de 3500 MHz ont pris fin. Près de 1500 licences ont été achetées par 15 entreprises différentes, dont 757 par de petits fournisseurs, pour un total de 8,9 G $. Rogers, Bell, Telus et Vidéotron ont toutes les quatre acquis des licences couvrant plus de 65 % de la population canadienne, tandis que Cogeco (CGO, 80,55 $) a mis la main sur 38 licences lui permettant d’atteindre le quart des Canadiens. «Cette mise aux enchères souligne l’arrivée de la 5G», estime Richard Paradis, président du Groupe CIC (communication, information, culture) et spécialiste du domaine des télécommunications.

La bande de fréquences de 3500 MHz est jugée essentielle pour la technologie 5G parce qu’elle est à la fois utile en ville et en région, sans compter qu’elle peut parcourir de longues distances et traverser les bâtiments.

 

 

Catherine Rosenberg explique que l’ensemble des bandes de fréquences canadiennes forment en quelque sorte un gâteau qui a été partagé au fil du temps entre différents secteurs qui ont voulu utiliser les ondes, comme la télévision, la téléphonie ou encore le domaine militaire.

«On se rend compte aujourd’hui qu’on a mal coupé le gâteau. D’autres acteurs veulent une part, mais les meilleures parties du gâteau [les fréquences plus basses] ont déjà été allouées, illustre-t-elle. Les bandes de fréquences de 3500 MHz sont excellentes, donc il fallait les prendre.»Vidéotron fait partie des petits fournisseurs qui ont pu acheter des licences de 3500 MHz à prix réduit, comme prévu par le gouvernement fédéral, dans le but d’accroître la concurrence dans le marché du sans-fil. Bell et Telus contestent à la Cour fédérale l’attribution de ces licences en soutenant que Vidéotron n’a pas d’infrastructure physique dans tous les marchés couverts. Fin octobre, un juge a refusé d’arrêter le processus d’attribution des licences en attendant le débat sur le fond.

 

Investissements imposants

Forte de ces licences de 3500 MHz achetées à fort prix, chacune des principales entreprises de télécommunications tente de se présenter comme la mieux placée pour déployer l’infrastructure 5G la plus étendue ou la plus fiable du pays. Aucune d’entre elles ne veut cependant dévoiler le montant précis de ses investissements réalisés et prévus pour développer le réseau 5G.

Bell a dépensé 2 G $pour acquérir 271 licences de 3500 MHz et a annoncé l’été dernier un «plan d’investissement accéléré»de 1,7G$étalé sur deux ans pour développer son réseau sans fil, y compris la 5G. Cette somme s’ajoute aux 4G$dépensés annuellement dans l’expansion de son réseau sans fil.

Telus a déboursé 1,9 G $pour 142 licences de 3500 MHz et prévoit investir 54 G$supplémentaires dans son infrastructure et ses activités opérationnelles dans tout le Canada d’ici 2024, dont 9 G $au Québec.

Rogers a payé 3,3 G $pour mettre la main sur 325 licences de 3500 MHz, mais ne dévoile pas ses investissements spécifiques à la 5G. Même discrétion du côté de Vidéotron, qui a acquis 294 licences de 3500 MHz pour 830 millions de dollars. Rogers vient d’embaucher l’ancien PDG de Québecor, Robert Dépatie, au poste de président et chef de la direction de sa division Services résidentiels et affaires. Son arrivée doit permettre à la société «d’offrir plus de choix et d’avantages concurrentiels aux consommateurs et aux entreprises d’un océan à l’autre».

«Au Canada, je dirais que les trois grandes entreprises de télécoms (Rogers, Bell et Telus) y vont à fond de train en ce moment avec la 5G. Québecor (QBR.B, 28,73 $) et Shaw (SJR.B, 37,34 $) suivent avec une stratégie différente», observe l’analyste Jérome Dubreuil, de Desjardins Marchés des capitaux.

«La vision des investisseurs, actuellement, c’est que ce sera un défi de monnayer les investissements en 5G à court terme. Donc, les plus petits fournisseurs de services essaient de pratiquer un meilleur appariement des investissements avec la demande», dit-il.

Selon M. Dubreuil, l’un des aspects qui distinguent les trois plus grandes entreprises à l’heure actuelle est l’entente de partage de réseau sans fil signée entre Bell et Telus, qui s’applique également à la 5G. «Elle permet à Bell et à Telus d’avoir un produit 5G extrêmement solide, avec des investissements matériellement plus bas que Rogers.»

À l’heure actuelle, sa recommandation d’investissement va donc du côté de Telus. «C’est la société qui a le plus beau mélange de risque et de croissance. L’équipe de direction semble toujours voir deux coups à l’avance. Son réseau de fibre est beaucoup plus avancé que celui des autres géants canadiens du secteur et ce n’est pas pleinement reflété dans son évaluation.»

C’est également l’avis de Drew McReynolds, de RBC Marchés des capitaux, qui prédit que Telus va croître de manière soutenue dans les prochaines années. Richard Paradis, du Groupe CIC, penche plutôt du côté de Bell et de Rogers, qui «sont près d’offrir le service 5G au plus grand nombre de Canadiens», ou encore de Vidéotron, qui se trouve à son avis dans une position enviable avec sa récente acquisition de fréquences de 3500 MHz dans différentes provinces canadiennes.

«Vidéotron peut décider d’aller de l’avant et de s’installer dans les marchés anglophones pour faire concurrence aux trois autres joueurs. Elle peut aussi attendre et s’allier à un tiers, ou encore revendre ses fréquences à un autre joueur», explique-t-il.

 

La saga Rogers-Shaw

Plusieurs événements qui se bousculeront dans les prochains mois pourraient changer le portrait actuel, à commencer par le sort réservé au projet d’acquisition de Shaw par Rogers pour 26G $, sur fond de querelle familiale au sein du conseil d’administration de Rogers. Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a analysé la transaction à la fin du mois de novembre et ce sera bientôt au tour du Bureau de la concurrence et du ministère fédéral de l’Innovation, de la Science et du Développement économique de décider si ce mariage est souhaitable ou non.

Plusieurs analystes s’attendent à ce que Shaw doive se départir de certains actifs pour faire en sorte que la transaction soit approuvée par les autorités réglementaires. Elle pourrait par exemple laisser filer Freedom Mobile, un joueur du sans-fil établi en Ontario, en Colombie-Britannique et en Alberta.

L’avenir de la transaction Rogers-Shaw pourrait être déterminant pour Québecor, qui souhaite étendre son réseau sans fil à l’extérieur du Québec. Elle pourrait y parvenir en mettant la main sur Freedom Mobile, ou encore en bénéficiant de la décision du CRTC rendue en avril 2021, qui oblige Rogers, Bell et Telus à partager leur réseau sans fil avec les fournisseurs régionaux, dont pourrait faire partie Vidéotron.

«Si Québecor veut faire une expansion profitable à long terme à l’extérieur du Québec en sans-fil, [l’acquisition de Freedom Mobile] est probablement la meilleure avenue», soutient Jérome Dubreuil.

L’analyste Adam Shine, de la Financière Banque Nationale, affirmait début novembre que cette expansion hors Québec attendra encore au moins un an, le temps que le sort de la transaction Rogers-Shaw soit scellé. «La patience est de mise à court terme, d’ici à ce qu’on en sache plus sur les intentions d’expansion de Québecor dans le sans-fil», a aussi fait valoir Robert Bek, de Marchés des capitaux CIBC.

Le président et chef de la direction de Québecor, Pierre Karl Péladeau, n’a pas voulu dévoiler son jeu concernant Freedom Mobile lors de la présentation des résultats du troisième trimestre de la société au début du mois de novembre.

Interrogée au sujet de sa possible expansion dans le Canada anglais, Vidéotron répond qu’«un projet d’une telle envergure nécessite l’évaluation de plusieurs options». «Ces options se préciseront à mesure que les données se clarifieront et que les moyens pour les mettre en oeuvre s’adapteront aux circonstances», répond l’entreprise par courriel.

 

Huawei exclue ou non?

Les fournisseurs de services de télécommunications canadiens attendent également de savoir si le gouvernement fédéral permettra ou non à l’entreprise chinoise Huawei de participer au développement de la 5G au pays.

Plusieurs alliés du Canada, comme les États-Unis, le Royaume-Uni ou l’Australie, ont déjà exclu Huawei entièrement ou partiellement, de crainte que la société partage les informations personnelles des Canadiens au gouvernement chinois. Huawei s’en défend.

«Jusqu’à présent, il n’y avait pas vraiment de problème avec l’utilisation de Huawei pour certains composants des anciens systèmes de télécommunications, mais pour la 5G, à cause des changements que ça implique et des investissements que ça nécessite, c’est une autre histoire», affirme Richard Paradis.

Jérome Dubreuil croit cependant que la décision du gouvernement Trudeau aura un effet limité sur le secteur canadien des télécommunications, puisque les différentes entreprises ont déjà opté pour d’autres fournisseurs d’équipement. «Même si le gouvernement n’a pas indiqué formellement que Huawei était exclue, je pense que les joueurs de l’industrie ont bien saisi le message.»

À plus long terme, une autre enchère de spectre de fréquences pourrait aussi modifier le rapport de force des grands joueurs des télécommunications au Canada. Le gouvernement fédéral a annoncé, en mai dernier, que les fréquences de 3800 MHz, qui sont également convoitées pour la 5G, seront distribuées en 2023.

 

Retombées potentielles

La firme PwC estime que la mise en place de l’infrastructure 5G au Canada fera augmenter le PIB du pays de 40 G $d’ici 2026 et créera 250 000 emplois permanents. Les entreprises privées et publiques ont cependant beaucoup de pain sur la planche pour faire en sorte que ces prévisions se concrétisent.

Caroline Banville, associée chez PwC Canada et spécialiste de l’industrie des télécommunications, des médias et des technologies, affirme que des partenariats sont en cours d’élaboration entre les grands joueurs des télécommunications et les entreprises qui pourraient bénéficier de la 5G. Celles-ci sont principalement concentrées dans cinq secteurs d’activité, estime PwC:les soins de santé, les services publics intelligents, la consommation, la fabrication industrielle et les services financiers.

«Ce qui est le plus propice à la 5G aujourd’hui, ce sont les soins de santé. Près de 80 % du potentiel économique réside dans ce secteur, précise-t-elle. On parle d’ambulances connectées qui pourraient fournir des liens vidéos avec des experts. On pourrait avoir une meilleure coordination avec les hôpitaux. Ce sont tous des cas d’utilisation documentés qui vont commencer à être mis en place.»«Avec la 5G, j’aimerais qu’il y ait des incitatifs gouvernementaux pour favoriser le développement [d’applications concrètes] et nous permettre de repenser la manière avec laquelle on fournit des services», ajoute l’ingénieure de formation.

«La 5G est importante, mais on en sait encore relativement peu sur ses utilisations possibles. Tout le monde attend encore l’application grand public qui va rendre la 5G indispensable», soutient Jérome Dubreuil, de Desjardins. Lorsqu’on saura comment la 5G peut nous être utile, il restera la question de la monétisation. Est-ce qu’au-delà des données consommées, les entreprises pourront rentabiliser leurs investissements en vendant par exemple un accès prioritaire au réseau, des services infonuagiques ou une latence encore plus réduite ? «C’est la question à plusieurs milliards de dollars, lance Jérome Dubreuil. Les fournisseurs de services de télécommunications se la posent chaque jour.»

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