Sièges sociaux : un urgent besoin d'une politique cohérente


Édition du 30 Avril 2016

Sièges sociaux : un urgent besoin d'une politique cohérente


Édition du 30 Avril 2016

Par Robert Dutton

Le scénario est pas mal toujours le même.

Acte 1. On annonce l'acquisition d'un «fleuron» québécois par une entreprise non québécoise.

Acte 2. Le Québec s'émeut. À l'Assemblée nationale l'opposition dénonce l'inaction du gouvernement devant la braderie des entreprises québécoises. Ici et là, on réclame du gouvernement qu'il «empêche» la transaction. Il faut que la Caisse de dépôt et placement du Québec, Investissement Québec, le gouvernement, quelqu'un intervienne !

Acte 3. Un nombre variable de personnes - journalistes, commentateurs, hommes et femmes politiques - déchirent leurs chemises, invoquent le fameux double mandat de la Caisse de dépôt pour exiger son intervention de toute urgence.

Acte 4. Au choix : a) il y a bel et bien intervention et la transaction avorte (ce qui est très rare) ; b) il y a intervention et la transaction s'assortit de promesses de l'acquéreur de préserver des emplois, un siège social ou administratif, une identité, un engagement communautaire ; c) il n'y a pas d'intervention - le gouvernement se tortille en invoquant l'indépendance de la Caisse de dépôt, ou le coût élevé d'une opération de sauvetage, ou le fait qu'il est trop tard pour intervenir, ou qu'il faut jouer selon la loi du marché si on veut que des entreprises québécoises fassent des acquisitions ailleurs au Canada et dans le monde ; ou, le plus souvent, tout ça à la fois.

Acte 5. Peu importe l'issue du quatrième acte, chacun retourne à ses occupations jusqu'à la prochaine fois. Pendant ce temps, le reste du monde s'interroge sur les étranges sensibilités du Québec ; et le reste du Canada, tout en se préoccupant de son propre hollowing out, se dit que Wilfrid Laurier avait bien raison lorsqu'il disait : «La province de Québec n'a pas d'opinions, elle n'a que des sentiments.»

Passer du psychodrame à une stratégie

Depuis 1973, le Canada, à l'instar de nombreux pays développés, a une politique et des outils d'intervention (Investissement Canada) en matière d'acquisitions d'entreprises par des étrangers. La politique et les outils ont évolué au fil du temps et des gouvernements. Ils laissent une marge discrétionnaire importante au gouvernement en place d'intervenir ou de ne pas le faire. On peut aimer ou ne pas aimer la politique, les outils et les décisions qui en découlent. Mais il est possible d'avoir à leur sujet un débat serein.

Au Québec, le psychodrame tient lieu de politique. Comme c'était le cas au Canada avant 1973. De cas en cas, de psychodrame en psychodrame, nous donnons un spectacle divertissant.

Il serait préférable de mener une réflexion collective et sereine pour doter le Québec d'une politique cohérente en matière de protection et de développement des sièges sociaux.

Certes, le Québec ne dispose pas des mêmes leviers que le gouvernement fédéral. Cela n'empêche pas l'élaboration d'une politique ou d'une stratégie québécoise en la matière.

En juin 2013, le ministre des Finances Nicolas Marceau a mandaté un groupe de travail, dirigé par Claude Séguin, pour faire des recommandations sur la «protection des entreprises québécoises». Le groupe était composé de gens reconnus dans leurs domaines, qui ne sont pas réputés être des nationalistes hystériques. Le rapport «Le maintien et le développement des sièges sociaux au Québec» présentait des recommandations ancrées dans la réalité économique et juridique du Québec et du Canada. Ses recommandations visaient non seulement à protéger les sociétés québécoises en cas d'offres non sollicitées, mais aussi à créer un environnement fiscal et réglementaire apte à favoriser le développement des sièges sociaux. Déposé en février 2014, ce rapport n'a eu aucune suite.

Il pourrait constituer une base de discussion dans l'élaboration d'une stratégie québécoise cohérente, stratégie qui devrait embrasser plus large que le rapport Séguin. Au-delà du décompte simpliste des acquisitions et des cessions, une approche cohérente doit permettre d'évaluer chaque situation par rapport à une grille fixée d'avance en fonction de facteurs tels que :

> la taille de l'entreprise ;

> la structure de propriété - une entreprise privée ou inscrite en Bourse ;

> l'aide reçue de l'État, passée, présente ou à venir ;

> l'impact structurant ou déstructurant sur l'écosystème de la société en cause et du tissu économique québécois en général.Parmi les outils qu'une stratégie pourrait mobiliser ou développer, on peut envisager :

> des modifications législatives ou réglementaires (le rapport Séguin a suggéré de modifier la Loi sur sociétés par actions du Québec et la réglementation des valeurs mobilières) ;

> la constitution d'un Fonds d'intervention ad hoc, distinct de la Caisse, et devant répondre de ses gestes en fonction de critères spécifiques, définis par la stratégie ;

> des stratégies de concertation avec les gouvernements du Canada et d'autres provinces, de même qu'une stratégie d'intervention auprès d'Investissement Canada ;

> des politiques fiscales favorisant l'attraction et la rétention de sièges sociaux.

Dans l'expression «loi du marché», il y a «marché», mais aussi «loi». Le marché fonctionne bien quand la loi est claire. Si on veut que le marché fonctionne bien, on doit remplacer les psychodrames par une politique cohérente qui encadrera les interventions gouvernementales. Le marché nous en sera reconnaissant.

 

Pendant plus de 20 ans, il a été président et chef de la direction de Rona. Sous sa gouverne, l'entreprise a connu une croissance soutenue et est devenue le plus important distributeur et détaillant de produits de quincaillerie, de rénovation et de jardinage du Canada. Après avoir accompagné un groupe d'entrepreneurs à l'École d'entrepreneurship de Beauce, Robert Dutton a décidé de se joindre à l'École des dirigeants de HEC Montréal à titre de professeur associé.

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