Élections : les chefs de parti manquent de prudence fiscale


Édition du 08 Septembre 2021

Élections : les chefs de parti manquent de prudence fiscale


Édition du 08 Septembre 2021

Les économistes ont salué la générosité des mesures d’aide mises en place par le gouvernement pour atténuer l’effet de la pandémie, mais certaines d’entre elles ont pu contribué à la pénurie de main-d’œuvre en cours. (Photo: 123RF)

CHRONIQUE. Faisons d’abord un petit retour sur l’élection du 19 octobre 2015.

L’équilibre fiscal était alors tellement dans les préoccupations des chefs de parti que Thomas Mulcair, chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), un parti de centre gauche, avait promis de présenter un budget équilibré si son parti formait le gouvernement. Le chef conservateur, Stephen Harper, promettait un retour à l’équilibre. Quant au chef libéral, Justin Trudeau, il prit le risque calculé de proposer des déficits pour relancer l’économie.

Résultat: le NPD, qui avait commencé la campagne électorale avec 95 députés, en perdit 59, le Parti conservateur subit une dégelée de 67 sièges et le Parti libéral vit sa députation passer de 36 à 184 élus, ce qui lui donna une majorité. La même tendance s’observa dans les votes obtenus.

Six ans plus tard, les chefs de partis voient les choses autrement. À en juger par les promesses qui déferlent, dont on ne connaît pas encore les coûts véritables, personne ne semble se préoccuper du déficit qui gonfle et de la facture que l’on demandera aux contribuables actuels et aux générations futures de payer.

Parmi les principales formations, le Parti conservateur fait toutefois preuve de plus de modération, promettant un retour à l’équilibre dans 10 ans. Il a refusé de s’engager à lancer un programme national de garderies à 10$ par jour, mais il a promis de mettre en place un programme de crédits d’impôt remboursables pour les familles moins bien nanties. On ne sait pas actuellement laquelle des deux approches serait la plus généreuse, donc la plus coûteuse pour l’État fédéral. Pour amadouer les Québécois, le chef libéral a déjà annoncé le versement d’un montant de 6 milliards de dollars (G$) pour soutenir et finaliser le programme de garderies du Québec.

Générosité excessive

La majorité des économistes ont salué la générosité des mesures d’aide mises en place par le gouvernement pour atténuer l’effet de la pandémie, mais on sait aussi que certaines d’entre elles ont été trop générales dans leur application, telles que la Prestation canadienne d’urgence et la Prestation canadienne de la relance économique (prolongée jusqu’au 23 octobre), qui ont contribué à la pénurie de main-d’œuvre, ainsi que le cadeau de 300$ à 500$ versé en août (oui en août) aux personnes âgées qui, pour la grande majorité d’entre eux, ont moins dépensé en raison du confinement. Ce n’est pas pour rien que l’épargne a explosé pendant la pandémie et que les investisseurs se sont fortement enrichis.

Selon la Banque du Canada, l’épargne a augmenté de 180G$ en 2020 au Canada, soit 100G$ de plus que normalement. Alors que le revenu disponible moyen des Canadiens s’est accru de 1 807$, leurs dépenses de consommation ont baissé en moyenne de 3 980$, ce qui veut dire que leur épargne moyenne a augmenté de 5 787$, ce qui est considérable. Au deuxième trimestre, le taux d’épargne a même atteint 27,5%, au lieu de 6% ou 7% normalement. Ce niveau élevé d’épargne explique aussi l’explosion des profits des institutions financières. Il n’est pas illogique que le Parti libéral propose d’accroître leur taux d’impôt nominal de trois points de pourcentage.

Déficit et dette

La pandémie de COVID-19 a coûté très cher, d’où le déficit de 314G$ (révisé à la baisse) pour l’exercice qui a pris fin le 31 mars dernier et des manques à gagner prévus de 155G$ pour l’exercice en cours, puis de 60G$ et de 51G$ pour les deux suivants. On s’attend maintenant à ce que ces déficits soient eux aussi inférieurs aux prévisions. Mais c’est sans tenir compte du coût des promesses du parti qui prendra le pouvoir le 20 septembre.

Le coût de ces promesses doit être évalué par le Bureau du directeur parlementaire du budget, mais il y a fort à parier que celui-ci manquera de temps pour s’acquitter de cette tâche avant l’élection.

Naturellement, toute hausse du déficit se traduira par une hausse de la dette fédérale, qui a atteint 1 079G$ au 31 mars dernier. Selon le dernier budget, elle doit s’accroître jusqu’à 1 380G$ au 31 mars 2025. Elle représenterait alors 50% du PIB, au lieu de 49% à la fin de mars 2021. Cet endettement est gérable, mais l’agence Fitch vient d’abaisser d’un rang la notation des obligations à long terme du gouvernement. Les autres agences n’ont pas bougé.

Contrairement à 2015, on ne parle pas des finances publiques dans cette campagne, même si elles sont en nette détérioration. C’est un état de fait sur lequel Erin O’Toole devrait alerter les Canadiens. Le chef conservateur devrait leur dire que cet endettement crée une importante iniquité intergénérationnelle, ce qui veut dire qu’une grande partie de la dette accumulée à cause de la pandémie sera payée par les jeunes générations.

Autre raison de s’en préoccuper, le vieillissement rapide la population ralentira la croissance de l’assiette fiscale du pays et exercera des pressions sur les coûts des programmes sociaux (sécurité de la vieillesse, santé, régimes de retraite), ce qui rendra plus coûteux l’effort fiscal des plus jeunes. «La politique budgétaire actuelle du Canada n’est pas viable à long terme», a récemment écrit le Bureau du directeur parlementaire du budget (Rapport sur la viabilité financière, 30 juin 2021).

Ce dernier précise toutefois que la viabilité financière du fédéral est assurée, comme c’est aussi le cas pour le Québec, l’Ontario et la Nouvelle-Écosse. Mais n’est-il pas très inquiétant que la situation financière des sept autres provinces et des trois territoires soit jugée «non viable» ?

Comme ces entités font partie du pays, force est de constater qu’il importe de gérer prudemment la dette des États, une responsabilité étatique qui est insuffisamment considérée par les chefs de parti qui sollicitent actuellement nos votes.

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J’aime

Ottawa et Québec se sont entendus pour investir 1,5G$ d’ici la fin de 2022 dans la «création rapide» de 1 300 logements abordables. Les deux gouvernements renonceraient, paraît-il, à un certain nombre d’obstacles bureaucratiques qui freinent la construction de tels logements. Mais cela reste à voir. Sur la somme annoncée, 1,1G$ serviront à faire passer de 80$ à 100$ par mois les montants remis aux ménages de 50 ans et plus à faible revenu et aux familles dans le besoin qui habiteront ces logements. Enfin! Enfin!

 

Je n’aime pas

À en juger par les derniers sondages, le prochain gouvernement fédéral sera minoritaire. On aurait alors dépensé 600M$ pour des élections inutiles puisque le gouvernement minoritaire de Justin Trudeau fonctionnait. Un gouvernement minoritaire n’est pas une calamité. Il incite le parti au pouvoir à gérer véritablement dans l’intérêt de l’ensemble des électeurs et il est risqué pour les partis d’opposition de le renverser.

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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