Donnez du jeu… pour un leadership bienveillant

Offert par Les Affaires


Édition du 20 Janvier 2021

Donnez du jeu… pour un leadership bienveillant

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Édition du 20 Janvier 2021

Par Olivier Schmouker

Dans la tourmente, les employés en télétravail ont démontré hors de tout doute qu’ils peuvent continuer de faire rouler l’entreprise sans être tenus serrés en laisse. (Photo: Martin Flamand)

Distanciation, stress, équipes reconfigurées, motivation en ligne, rétroaction virtuelle… La pandémie a transformé radicalement notre quotidien au travail, entre autres. Dans la tourmente, les employés en télétravail ont démontré hors de tout doute qu’ils peuvent continuer de faire rouler l’entreprise sans être tenus serrés en laisse. Cette nouvelle réalité, qui bouleverse la vision traditionnelle de la hiérarchie, a propulsé l’adoption, dans plusieurs organisations, de nouvelles approches managériales. Tour d’horizon des tendances dans le monde du travail... qui sont là pour rester !

La pandémie a permis de faire un bond de 10 ans en matière de «flexibilité au travail, dit Geneviève Provencher, fondatrice du site d’emplois flexibles Flow. C’est ainsi que nous voyons apparaître, ici et là, des formules de travail qui étaient encore anecdotiques, comme la semaine comprimée (on fait en quatre jours ce qu’on faisait en cinq, ce qui permet d’allonger d’une journée la fin de semaine), ou encore le partage d’emploi (deux employés se partagent un même poste, chacun travaillant les journées qui l’arrangent le plus).»

Mine de rien, ces changements sont véritablement durables, en ce sens qu’ils devraient se maintenir par-delà la pandémie. C’est du moins ce qui ressort d’une analyse de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) portant sur les mesures que les chefs d’entreprises québécois pensent adopter de manière permanente une fois que la COVID-19 sera devenue chose du passé. Celle-ci indique en effet que 33 % des PDG vont veiller «probablement ou très probablement»à ce que leurs employés jouissent de «locaux plus agréables à vivre», ou encore que 30 % d’entre eux vont leur offrir une «vraie flexibilité au travail»(ex.:possibilité de faire du télétravail, d’adapter ses horaires aux exigences familiales, etc.). À noter de surcroît qu’en ce qui concerne ces deux points — les locaux et la flexibilité —, respectivement 52 % et 49 % des PDG sont en train de réfléchir à ces options pour l’aprèspandémie, mais n’ont pas encore tranché.

Qu’est-ce que ces changements impliquent ? Tout bonnement une toute nouvelle dynamique au sein des équipes de travail. Oui, une toute nouvelle connexion entre les uns et les autres, un tout nouveau flux d’informations entre eux, et donc une toute nouvelle énergie à l’intérieur de l’organisation. Rien de moins.

 

Une plus grande autonomie

«Depuis le début de la pandémie, j’ai appris à moins entrer dans les détails et à laisser plus d’autonomie aux autres», dit en toute humilité Laurent Rabatel, fondateur de Lichen, une agence de communication montréalaise. Davantage d’autonomie, donc, ce qui revient à permettre aux autres de prendre certaines décisions que l’on devrait prendre soi-même lorsqu’on est le leader, à moins contrôler les faits et gestes de chacun, à moins commander pour davantage se concerter. Bref, il s’agit là d’une petite révolution managériale, pour ne pas dire un beau progrès.

«Les gestionnaires initialement peu enclins au télétravail et à la gestion à distance ont dû se rendre à l’évidence que les employés livraient la marchandise, explique Kévyn Gagné, chargé de cours en management à l’Université du Québec à Trois-Rivières et auteur du livre Je suis un RH (Éditions du Panthéon, 2020). Ce qu’ils ont donc dû modifier, c’est leur propre style de gestion, en laissant une plus grande place à l’autonomie, à la prise d’initiative, à la complicité. Ils ont dû apprendre à établir une communication ouverte et franche, à se contenter de consignes claires et transparentes.»

À Explorance, un fournisseur montréalais de services de suivi de l’apprentissage à distance qui a des bureaux un peu partout sur la planète (Chicago, Melbourne, Chennai, Amman, etc.), cette nouvelle approche du travail en équipe s’est traduite par le développement du concept de «rétroaction en continu».

 

«Le gestionnaire de demain matin sera celui qui arrêtera d’être directif, voire menaçant, pour jouer subtilement de son influence auprès des autres, pour jouer des forces de son équipe et du "timing" afin d’atteindre les objectifs communs», selon Kévyn Ga

 

«La pandémie nous a ouvert les yeux sur le fait que nous misions beaucoup sur la présence physique, sur la collégialité, sur l’engagement, peut-être même beaucoup trop, raconte le PDG Samer Saab. Nous avons réalisé qu’il était parfaitement possible d’avoir de bons résultats à distance les uns des autres. Et que cela permettait même à certains d’avoir une meilleure conciliation travail-vie privée, un plus grand bien-être général dans leur vie. D’où l’idée de juste nouer un lien permanent entre l’employé et son gestionnaire immédiat, un lien que l’un comme l’autre peut activer quand le besoin s’en fait ressentir, histoire d’assurer une rétroaction en continu, dans un sens comme dans l’autre. Et ça marche !»

Autrement dit, la communication peut être virtuelle et minimale, tant qu’elle est pertinente et efficace — et qu’elle va dans les deux sens —, tout va pour le mieux. Elle suffit, en effet, pour nouer un lien assez fort pour permettre à chacun une saine autonomie. Cela étant, ce n’est pas sans risque, comme le souligne Geneviève Desautels, présidente des firmes montréalaises Illuxi (programmes de formation) et Amplio Stratégies (conseil stratégique):«Le danger, c’est que les gestionnaires finissent par se brûler à force de se montrer tout le temps disponibles, dit-elle. J’en connais qui sont continuellement sollicités par les membres de leur équipe, même lorsqu’ils sont en réunion, si bien que certains sont maintenant au bord de l’épuisement professionnel…»

«Je suis à un poste de coordination, ce qui entraîne une grande polyvalence ainsi qu’une grande sollicitation de la part de multiples services de l’organisation, témoigne anonymement un gestionnaire de l’association multisectorielle STIQ. Je suis donc un rouage continuellement sous tension, qui amortit les trop-pleins de travail des uns et des autres. En contexte de crise, ça se traduit par un sentiment de dispersion, de perte de contrôle sur la qualité de mon travail, et même de perte de sens. Ce qui a des répercussions directes sur ma vie personnelle…»Et d’ajouter, laconique:«Je ne sais vraiment pas combien de temps je vais encore supporter de travailler là.»

 

Une plus grande confiance

«Le grand défi à relever en cette période de pandémie est d’apprendre à maîtriser l’art de l’équilibre, estime Émilie Primeau, fondatrice et présidente de The Club, une firme montréalaise de conseil en être et en performance en entreprise. L’équilibre entre la nécessité de continuer d’encadrer les employés et celle de leur accorder une plus grande marge de manoeuvre qu’auparavant. Un art subtil, et donc difficile.»

Ainsi, qui dit autonomie, dit confiance. Une confiance qu’on peut voir comme une forme de prise de la part de l’employeur, à l’image de ce qu’est en train d’entreprendre GFT, une firme de spécialisée dans le conseil en technologie de l’information (TI) pour le secteur des assurances:«Comme d’autres, nous avons massivement goûté au télétravail en raison de la pandémie, et nous avons alors constaté que nous étions tout aussi efficaces qu’auparavant, même si les uns et les autres, nous étions à droite et à gauche, dit Alain Lamothe, PDG de GFT Canada, France et Nous avons saisi que la localisation géographique n’avait aucune incidence négative, et mieux, que nous pouvions tourner cela à notre avantage.»

Résultat ? GFT vient de lancer une campagne de recrutement orientée vers… les talents régionaux. C’est au Lac-Saint-Jean que l’entreprise a choisi de lancer son opération pilote, l’objectif étant d’y dénicher une quarantaine de nouveaux talents — des analystes d’affaires, des développeurs, des chargés de projets, etc. —, puis de poursuivre sur sa lancée dans d’autres régions québécoises afin de recruter un total de 200 personnes d’ici la fin de 2021.

«Nous investissons en région, ce qui est bon pour l’économie locale, mais aussi pour le être des employés, explique Alain Lamothe. De fait, certaines régions sont aux prises avec la fuite de leurs jeunes cerveaux et font face à un déclin démographique, si bien que notre soutien peut représenter un bon coup de main. À cela s’ajoute le fait que nous soutiendrons des employés actuels qui voudraient déménager en région pour y trouver une meilleure qualité de vie que dans une grande ville comme Québec; par exemple, nous prendrons à notre charge les coûts de déménagement.»

«Cette opération de GFT répond à une vraie demande, laquelle est exacerbée par la pandé- No 0 1 mie, dit Sophie Bouchard, agente de migration à Place aux jeunes en région pour la Ville de Saguenay. Les gens — en particulier les milléniaux — veulent aujourd’hui quitter la ville pour profiter du grand air, pour ralentir leur rythme de vie, pour se balader en ski de fond avec leur chien, pour s’acheter une grande maison au prix d’un 3 ½ en ville.»

Un rêve qui peut se concrétiser pourvu que la relation entre l’employeur et l’employé à distance soit basée sur une grande confiance, comme c’est visiblement le cas à GFT. «La clé du succès dans le travail à distance, c’est la confiance réciproque, dit dans un billet de blogue Manfred Kets de Vries, professeur de leadership et de changement organisationnel à l’école de management Insead, à Fontainebleau, en France. Celle-ci peut voir le jour à condition que l’employeur et l’employé évoluent sur un terrain sécuritaire, où chacun est libre de parler et où chacun offre une écoute attentive. À condition, donc, que le respect soit mutuel.»

 

Un leadership mieux partagé

On le voit bien, les changements durables occasionnés par la pandémie tournent autour d’un leadership revisité, à savoir d’un leadership mieux partagé. C’est d’ailleurs ce qu’a noté Noah Askin, professeur de comportement organisationnel à l’Insead, dans le cadre d’une étude sur la résilience des entreprises:«La crise actuelle montre que les entreprises qui s’en sortent mieux que les autres sont les plus résilientes, c’est-à-dire celles qui favorisent la prise d’initiatives, la responsabilisation et l’autonomie, dit-il. Celles qui donnent davantage de pouvoir aux employés, qui procurent à chacun les formations nécessaires pour s’épanouir dans son quotidien au travail et qui encouragent l’innovation, pour ne pas dire l’audace. Bref, celles qui aplatissent le plus possible la fameuse pyramide hiérarchique.»

Dans son livre Le leadership horizontal (Éditions de l’Homme, 2020), Samantha Slade, cofondatrice de Percolab, un réseau montréalais de cocréation et de coconception en entreprise, abonde dans le même sens. «De nos jours, le concept de hiérarchie est tout bonnement devenu obsolète, lance-t-elle. Les entreprises qui ont l’avenir devant elles sont celles où règnent le respect, l’ouverture et la collaboration. Donc, celles où il n’y a pas vraiment un patron au-dessus des autres, mais plutôt où chacun considère qu’il est au service des autres, sachant que le meilleur service qu’il puisse rendre est de faire bénéficier les autres de ses talents propres.»

Et Samantha Slade de souligner, études à l’appui:«Avec une créativité stimulée, une croissance accrue, une plus grande rétention du personnel et un bond en productivité, l’organisation qui s’oriente vers le leadership horizontal devient plus humaine, plus innovante et, au bout du compte, plus performante», note-t-elle.

Moins de hiérarchie, moins de gestionnaires ? «Non, l’idée est plutôt de transformer le rôle du gestionnaire, explique Geneviève Desautels. Ce dernier doit arrêter de se considérer comme un expert qui commande et qui contrôle pour se mettre à agir comme un coach qui comprend, conseille et soutient.»

«Tout à fait, poursuit Kévyn Gagné, le gestionnaire de demain matin sera celui qui arrêtera d’être directif, voire menaçant, pour jouer subtilement de son influence auprès des autres, pour jouer des forces de son équipe et du timing afin d’atteindre les objectifs communs.»

C’est évident, l’après COVID-19 sera marqué par l’avènement des entreprises humaines, profondément humaines. En effet, ce sont elles qui sauront tirer le meilleur de leurs forces vives. «Nous avons d’ores et déjà une idée pour favoriser des rapprochements plus forts que jamais, une fois qu’il sera possible de vraiment se rencontrer les uns les autres, dévoile Alain Lamothe. Nous allons créer des “satellites”, des espaces éphémères où nous organiserons des rendez-vous en personne (entre employés, avec des partenaires d’affaires, etc.) une fois par mois. Ça pourra se passer dans une salle louée en région, dans un espace de travail partagé, n’importe où. Ça nous permettra de renouer les liens malheureusement distendus, voire défaits, à cause de la pandémie. Des liens bienfaisants et bienveillants.»

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