Comment devenir de meilleurs capitalistes


Édition du 05 Octobre 2019

Comment devenir de meilleurs capitalistes


Édition du 05 Octobre 2019

Par Diane Bérard

«Notre marché financier date d'Adam Smith ! Une époque où aucun des enjeux du 21e siècle n'était imaginable», rappelle Steve Waygood, chef de l'investissement responsable, Aviva Investors. (Photo: courtoisie)

AGENT DE CHANGEMENT. Cet automne, les Nations Unies lancent le Global Investors for Sustainable Development (Investisseurs mondiaux pour le développement durable), une alliance regroupant les directeurs généraux de grandes entreprises du monde entier, pour inciter le capital privé à investir dans la solution des enjeux planétaires. Nous en avons profité pour échanger avec Steve Waygood, expert en risque climatique et chef de l'investissement responsable chez Aviva Investors, membre du groupe britannique Aviva. M. Waygood et son équipe peuvent influer sur le sens des investissements d'un portefeuille de 564 milliards de dollars.

Diane Bérard - En juin dernier, lors de la Conférence de Montréal, vous avez assisté au petit déjeuner privé «Décroissance ou développement durable : deux visions». Quelle est votre position ?

Steve Waygood - La faille principale de la décroissance est qu'elle ne tient pas compte de la nature humaine. La décroissance n'est pas une proposition motivante. Elle n'a pas le pouvoir de mobiliser les humains, de les pousser à l'action. Je crois qu'il faut plutôt harnacher le capitalisme et les marchés financiers afin qu'ils contribuent à un développement durable de la planète.

D.B. - On parle beaucoup d'occasions d'affaires liées aux enjeux climatiques. Les investisseurs peuvent donc tirer profit de la crise climatique ?

S.W. - Attention, ce message pourrait porter à confusion. En effet, lorsqu'il y a plus de risque dans le système, les investisseurs peuvent s'enrichir, comme l'a dit Warren Buffet. Mais ce pari au détriment du bien-être des générations futures est irresponsable. La prime au risque climatique que les assureurs peuvent tirer à court terme des individus et des entreprises ne vaut pas le prix que l'économie et la société paieront de façon permanente pour les changements climatiques.

D.B. - De quelles occasions d'affaires parle-t-on au juste ?

S.W. - Cinquante trillions de dollars américains sont requis d'ici 2030 pour atteindre les 17 objectifs de développement durable des Nations Unies. C'est l'équivalent de quatre plans Marshall ou de dix programmes Apollo. Ce sont ces occasions d'affaires qu'il faut encourager. Comment allons-nous mobiliser les banques, les compagnies d'assurance, les marchés boursiers et les individus pour investir dans des solutions utiles pour régler les enjeux sociétaux? Il faut diriger les capitaux privés vers les occasions d'affaires liées aux enjeux, pas vers celles liées au risque.

D.B. - Vous pointez trois failles du système financier, lesquelles ?

S.W. - D'abord, le système financier est conçu pour engendrer des comportements non éthiques et pour décourager la voix des clients. En fait, les clients estiment de facto que le système financier est non éthique, ce qui les dissuade de s'exprimer. Ensuite, on réduit la création et l'évaluation de valeur à des données quantitatives. On se fie au passé pour dicter l'avenir. Et on voit à très court terme. Enfin, notre façon la plus courante d'évaluer les entreprises, les flux de trésorerie actualisés (DCF), est en train de saper la planète. Cette méthode considère la valeur d'une entreprise selon ce qu'elle va rapporter et non en fonction de ce qu'elle possède. C'est ainsi qu'on accentue la pression de la croissance extrême.

D.B. - En somme, le marché financier est désuet...

S.W. - Exactement. Nous traînons la même structure et le même fonctionnement pour le marché financier depuis Adam Smith ! Et les Chicago Boys (N.D.L.R. l'École de Chicago est associée à une vision libérale de l'économie, aux marchés qui s'autorégulent et à une intervention réduite de l'État) ont enfoncé le clou. Le marché financier a été créé à une époque où aucun des enjeux du 21e siècle n'était imaginable.

D.B. - Le coût du capital doit être modulé en fonction du caractère durable de la stratégie des entreprises, dites-vous...

S.W. - De nombreuses entreprises sont frustrées de ne pas être récompensées pour leur stratégie axée sur le long terme. On peinera à s'en sortir si le système financier ne réduit pas le coût du capital pour les organisations qui prennent des décisions d'affaires soutenables et qu'il n'augmente pas ce coût pour celles qui font le contraire. Il faut éduquer les investisseurs, cela inclut les caisses de retraite, à la valeur du développement durable. On ne se racontera pas d'histoire, c'est du boulot. Qu'il suffise de dire qu'à peine 10 % des signataires des Principes pour l'investissement responsable (PRI) prennent leur engagement au sérieux, on peut imaginer l'état d'esprit de ceux qui n'ont pas signé les PRI.

D.B. - La survie du marché financier et du système capitaliste passe aussi par une meilleure compréhension de celui-ci...

S.W. - En effet, pour rénover une institution, il faut la comprendre. Dans le cas du système financier, il faut décortiquer la chaîne d'approvisionnement de l'argent. Qui fait quoi ? Quels sont le rôle et l'influence des détenteurs d'actifs, comme les caisses de retraite ? Celui des banques d'affaires, comme JP Morgan? Comment l'industrie financière rémunère-t-elle ses consultants ? Les agences de notation, comment pensent-elles ?

D.B. - Revenons à votre spécialité, le risque climatique. La taxe carbone n'a pas très bonne presse...

S.W. - Toute personne qui possède un minimum de littératie économique et de compréhension de la crise climatique sait que la taxe carbone est au coeur de la solution. Internaliser les coûts du carbone est incontournable. Je ne dis pas que ce sera facile. Nous traversons une période traumatisante, entre l'ancienne et la nouvelle économie. Le gouvernement doit cesser de se laisser distraire par les entreprises et prendre les décisions qui s'imposent pour une transition structurée. Nous avons l'information, nous avons les technologies, il faut agir.

D.B. - Vous estimez que les écoles de gestion ne forment pas de bons capitalistes. Que voulez-vous dire ?

S.W. - Je veux dire que ces écoles ne forment pas les futurs capitalistes dont la société a besoin. On ne leur enseigne pas comment penser et agir pour faire face aux enjeux de la société. On ne leur apprend pas comment réfléchir pour contribuer à trouver des solutions plutôt qu'à perpétuer les problèmes.

D.B. - Vous avez travaillé longtemps pour l'ONG WWF (Fonds mondial pour la nature, en français), pourquoi avoir migré vers Aviva ?

S.W. - Chez WWF, j'étudiais comment les marchés de capitaux pouvaient influer sur le développement durable, avec un budget de 7 millions de dollars américains. Chez Aviva, notre groupe de 22 personnes peut influer sur des investissements de 564 G$ CAD. J'ai les mêmes convictions qu'au sortir de l'université. J'ai simplement saisi l'occasion d'accroître mon pouvoir d'influence. Et puis, les politiciens écoutent davantage les entreprises que les ONG.

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