Rona : suite et... fin


Édition du 02 Avril 2016

Rona : suite et... fin


Édition du 02 Avril 2016

Par Robert Dutton

[Photo : Bloomberg]

Le 31 mars 2016, les actionnaires de Rona se réunissent pour entériner la mainmise de Lowe's sur leur société.

Depuis mon départ de la présidence de Rona en novembre 2012, j'ai habituellement résisté aux nombreuses invitations qui m'ont été faites de commenter la performance de Rona. Je juge aujourd'hui opportun de faire quelques mises au point.

On a dit que Rona avait fait l'erreur dans les années 2000 de délaisser son créneau traditionnel de grossiste/banniériste pour se lancer dans le domaine du détail ; qu'elle a affiché une stratégie de croissance trop ambitieuse. On a aussi dit que Rona était aujourd'hui menacée par un inexorable mouvement de consolidation de son industrie à l'échelle mondiale...

Explications intéressantes, mais qui ne reposent pas sur les faits.

Un détaillant depuis 76 ans

Créée en 1939 par une poignée de quincailliers détaillants déterminés à acheter en groupe, Rona, dans sa culture et son savoir-faire, a toujours été un détaillant. Il n'y a jamais eu de «virage détail» chez Rona. Il y a eu des adaptations et réinventions successives de ce qu'être détaillant voulait dire.

Le premier Rona L'entrepôt a vu le jour en 1994. Ce premier Rona à grande surface découlait de la décision de rejoindre un consommateur pluriel grâce à une diversité de formats de magasin. Rona n'a jamais eu à regretter cette stratégie, qui a été imitée des années plus tard, avec plus ou moins de succès, par les Walmart, Home Depot et Lowe's de ce monde.

Dès 2000, Rona comptait déjà 22 magasins à grande surface. La concurrence était aussi vive à cette époque que maintenant. Au Québec, Réno-Dépôt et Rona se livraient une guerre sans merci. Présente au Canada depuis 1994, Home Depot s'y développait de façon accélérée et venait d'entrer au Québec.

Un consolidateur depuis 20 ans

Je m'étonne donc d'entendre évoquer la concurrence et la consolidation, pour justifier la décision du conseil d'accepter l'offre de Lowe's. En 1998, le conseil de Provigo avait évoqué les mêmes «menaces» pour accepter l'offre de Loblaw ; pourtant, Metro a remarquablement prospéré depuis.

La consolidation, Rona l'a intégrée à sa stratégie il y a une vingtaine d'années. Derrière la montée des grandes surfaces se profilait déjà la consolidation du marché. Leader au Québec, Rona constituait une proie de choix. Même à des marchands actionnaires, il est possible de faire une offre qui ne se refuse pas...

La réalité stratégique de Rona se résumait donc à choisir entre être consolidé ou être consolidateur. Rona a choisi la deuxième solution.

De 2000 à 2005, Rona a fait d'importantes acquisitions : Cashway en Ontario en 2000, Revy dans l'Ouest en 2001, Réno-Dépôt en 2003, TOTEM en Alberta en 2005. Rona est devenue un leader au Canada. Fait à souligner : à part la première, qui nous a beaucoup appris, toutes ces acquisitions ont été immédiatement créatrices de valeur.

Par la suite, la taille des acquisitions de magasins a beaucoup diminué. Rona a aussi développé et rénové son réseau de magasins corporatifs, franchisés et, surtout, affiliés. Deux autres acquisitions notables : celle de Noble Trade en 2007, un distributeur spécialisé dans le segment institutionnel, soumis à des cycles différents de la quincaillerie ; et celle du grossiste TruServ Canada en 2010, acquis pour renforcer le poids relatif de la distribution dans les activités de Rona, un secteur moins cyclique que le détail.

Pour financer sa croissance, Rona a invité des investisseurs externes. En 1997, le géant français ITM Entreprises SA est devenu actionnaire. Puis en 2001, la Société générale de financement et la Caisse de dépôt et placement sont entrées au capital. Une des conditions de ce dernier financement a été l'inscription en Bourse de Rona dans les cinq ans.

L'action de Rona a été échangée à la Bourse de Toronto dès novembre 2002. Émise à 6,75 $, l'action a atteint un sommet de 25,25 $ en mai 2005. De fait, de 2002 à 2007, Rona a bénéficié d'un marché porteur : nombreuses mises en chantier, forte croissance des ventes dans le secteur des magasins de matériaux de construction et de jardinage.

La traversée du désert

Mais le marché de la quincaillerie est cyclique.

On se souviendra de 2007 comme de l'année du début de la crise financière, suivie d'une dure récession. Les mises en chantier se sont contractées sensiblement ; et à partir de 2008, les ventes de tout le secteur se sont effondrées. Les résultats financiers ont été durement touchés, comme ceux de tout le secteur au Canada.

Rona a traversé cette période difficile dans une relative sérénité, grâce à un bilan solide, à la performance de ses activités de distribution, moins cycliques que le détail, et, dès 2008, à des mesures énergiques adaptées à la conjoncture.

Dans un premier temps, Rona a entrepris une série de rationalisations visant à protéger ses marges ; dans un deuxième temps, sachant que les ralentissements ne sont jamais éternels, elle a redéployé son développement, en misant sur les investissements de ses marchands affiliés.

À mon départ, l'action de Rona s'échangeait aux alentours de 9,85 $ : malgré les récentes vicissitudes, elle avait produit un rendement annuel de 3,8 % depuis son inscription en Bourse ; pas le pactole, mais mieux que son indice de référence, celui de la consommation discrétionnaire, qui avait généré 2,6 %.

Lowe's : le «non» de 2012

Depuis son arrivée au Canada en 2005, Lowe's y éprouvait des difficultés. Son président m'avait déjà offert en 2011 d'acheter le réseau de magasins à grande surface de Rona. Je lui avais plutôt offert de lui acheter les magasins de Lowe's au Canada, ce qui lui aurait fourni une sortie avantageuse d'un marché où je les savais déficitaires.

Lowe's a plutôt tenté en 2012 d'acquérir la totalité de Rona. L'offre a été faite au conseil, et non aux actionnaires. À 14,50 $ l'action, l'offre comportait une prime de 42 % sur le cours moyen des 20 jours de Bourse précédant l'annonce. La prime n'était pas insignifiante. Le conseil refusa quand même l'offre de Lowe's, parce que le prix était jugé insuffisant eu égard au potentiel de Rona.

En outre, les milieux d'affaires et politiques du Québec se sont mobilisés spontanément pour préserver l'important écosystème tissé autour de Rona : étaient en jeu des dizaines de milliers d'emplois canadiens en amont, Rona effectuant au Canada plus de 90 % de ses achats. Devant cette mobilisation, Lowe's ne s'est même pas donné la peine de surenchérir. Elle a retiré son offre.

Rigueur et continuité depuis 2012

Depuis 2013, Rona a vendu sa division du marché commercial et institutionnel, fermé 11 magasins non performants (et non pas 300, comme on l'a écrit), poursuivant la rationalisation du réseau amorcée en 2011 (elle a commencé depuis à en ouvrir de nouveaux), a acheté les 20 magasins franchisés pour en faire des magasins corporatifs et a poursuivi un programme de rachat d'actions entrepris en 2010.

Parallèlement, le marché est redevenu porteur. Les ventes de Rona ont bénéficié de cette conjoncture. Les résultats ont suivi.

Le rendement annuel de l'action Rona, de novembre 2012 jusqu'au 2 février 2016, veille de l'annonce de la nouvelle offre de Lowe's, a été de 7,3 %, par rapport à 16,3 % pour l'ensemble de la consommation discrétionnaire.

Depuis 2012, la reprise du marché aidant, la performance de Rona a été honnête, c'est incontestable. Mais elle ne justifie pas que Lowe's ait augmenté la prime offerte à 110 % aujourd'hui. Les «motifs stratégiques» évoqués par le président de Lowe's n'ont pas changé à ce point.

La chute de 30 % du dollar canadien donne à Lowe's les moyens de la surenchère ; pas les raisons. Sans rien enlever à la grande expérience des dirigeants actuels dans la vente d'entreprises, je vois deux raisons objectives.

D'abord, une urgence accrue. Onze ans après son arrivée au Canada, Lowe's n'y possède encore que 40 magasins, et aucun à l'est de l'Ontario. Home Depot en a 182, et le réseau Rona compte 496 magasins, dont 236 corporatifs. Ce qui intéresse Lowe's aujourd'hui, c'est, comme en 2012, le réseau de magasins corporatifs. Lowe's achète aujourd'hui ce qui a été construit de 1993 à 2012.

Ensuite, la «spécificité québécoise». De son échec de 2012, Lowe's a appris l'importance, ici plus qu'ailleurs, des engagements à l'égard de la communauté et de l'écosystème ; mais elle a sans doute appris qu'au nationalisme et au souci des écosystèmes, on peut opposer une réponse imparable : une prime de 110 % sur le cours de l'action.

Finalement, le fameux nationalisme québécois peut être payant pour les actionnaires.

Chroniqueur régulier dans Les Affaires depuis 2014, Robert Dutton répond ici à notre invitation de commenter la vente de Rona à l'américaine Lowe's. Robert Dutton a été président et chef de la direction de Rona pendant plus de 20 ans.

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