Décès de Patricia Pitcher, auteure du livre d'affaires du siècle

Publié le 11/08/2014 à 14:29

Décès de Patricia Pitcher, auteure du livre d'affaires du siècle

Publié le 11/08/2014 à 14:29

Patricia Pitcher est décédée à Montréal, le 27 juillet dernier à l'âge de 64 ans. En 1994, elle avait publié le livre Artistes, artisans et technocrates dans nos organisations : Rêves, réalités et illusions du leadership, qui a été traduit en plusieurs langues. Ce livre avait été choisi, en 2007, Livre d'affaires du siècle par le même jury qui décerne le Prix du livre d'affaires annuel de la Coop HEC Montréal.

Patricia Pitcher a été directrice du doctorat en management conjoint des universités Concordia, McGill, de l'UQAM et de HEC Montréal. Elle a aussi été économiste en chef de la Bourse de Toronto. Née en Ontario, elle était venue à Montréal en 1983 afin d'épouser Guy Lavigueur, alors président de la Banque fédérale de développement (devenue la Banque de développement du Canada).

Comme d'autres membres de sa famille, Mme Pitcher était atteinte de sclérodermie, une maladie auto-immune qui se caractérise par une production excessive de collagène qui entraîne un durcissement de la peau et des tissus. Lorsque nous l'avions rencontrée à son appartement du Sanctuaire du Mont-Royal, en 2007, ses médecins ne lui donnaient que trois ans à vivre.

Nous vous présentons ici l'article publié le 14 juillet 2007 dans Les Affaires pour souligner son prix du Livre d'affaires du siècle.

 

Leaders maniaco-dépressifs recherchés

Leur âme d'artiste en fait de bien meilleurs dirigeants que les technocrates, selon Patricia Pitcher

Dominique Froment

 

Patricia Pitcher distingue trois types de leaders : les artistes, visionnaires et géniaux, complètement éclatés et souvent dépressifs; les sympathiques artisans, seul type de personnes qu'on pourrait qualifier de " normales "; et enfin les technocrates, les plus nombreux, des êtres très brillants et malheureusement tout à fait insupportables.

En 1994, elle a publié le livre Artistes, artisans et technocrates dans nos organisations : Rêves, réalités et illusions du leadership, qui a été traduit en plusieurs langues. Ce livre vient d'être choisi Livre d'affaires du siècle par le même jury qui décerne le Prix du livre d'affaires annuel de la Coop HEC Montréal.

Nous avons rencontré Mme Pitcher à son appartement du Sanctuaire du Mont-Royal, qui offre une vue superbe sur les Laurentides.

Q: Si vous étiez une actionnaire importante d'une grande entreprise, qui nommeriez-vous pdg : l'artiste, l'artisan ou le technocrate ?

R: Tout dépend de l'entreprise et du contexte. Yahoo!, par exemple, a eu une croissance fulgurante parce que son fondateur [Jerry Yang] était un artiste visionnaire. Mais plus tard, il aurait fallu quelques artisans pour gérer le quotidien et apporter un peu de stabilité et de cohérence. Mais il n'y en a pas eu, du moins pas assez. Aujourd'hui, il faudrait à nouveau un artiste pour permettre à Yahoo! de trouver sa place parmi Google et Microsoft.

Q: Selon vous, les leaders visionnaires sont très enclins à la dépression. Ne trouvez-vous pas que ça tranche avec l'image de stabilité émotionnelle que nous envoient nos dirigeants ?

R: Être maniaco-dépressif aide à devenir leader. Pierre Péladeau, Ted Turner, Robert Campeau, Winston Churchill et Steve Jobs sont là pour le prouver. Et pour réussir comme il l'a fait avec le Cirque du Soleil, Guy Laliberté est sans doute maniaco-dépressif. Seuls les types " artiste " peuvent être maniaco-dépressifs, pas les artisans et surtout pas les technocrates. Plus on monte dans la hiérarchie des organisations, plus la proportion de maniaco-dépressifs est importante. Ils peuvent être de formidables leaders, mais il faut bien les entourer d'artisans.

 Q: Est-ce possible de trouver chez une même personne un mélange des caractéristiques de l'artiste, de l'artisan et du technocrate ?

 R: Non, sinon ce serait Dieu.

Q: Vous estimez que les technocrates sont les plus brillants des trois types de dirigeants, mais que la pire erreur est de leur confier le pouvoir. N'est-ce pas paradoxal ?

R: L'intelligence n'est qu'un outil, et non une fin en soi. Le technocrate au pouvoir n'est utile qu'à lui-même et à ses semblables. Il est dangereux parce qu'il cherche à éliminer ceux qui ne lui ressemblent pas mais qui peuvent être fort utiles à l'organisation.

Q: Toutes les entreprises cherchent de jeunes artistes, mais la plupart finissent par embaucher un technocrate brillant. Comment peuvent-elles éviter ce piège ?

R: Les technocrates flattent les grands et écrasent les petits. Si vous voulez savoir si un dirigeant est un technocrate, demandez à sa secrétaire ou à ses subalternes comment il les traite. Le taux de roulement est généralement élevé parmi les employés qui sont dirigés par un technocrate.

Q: Exagère-t-on l'importance du charisme chez un leader ?

R: Oui. Il y a de bons leaders sans charisme. À moins de vouloir jouer la carte médiatique, ce n'est pas essentiel. Bill Gates [Microsoft] n'a aucun charisme.

 Q: En tentant à tout prix de trouver la recette du leadership, les sciences de la gestion font-elles fausse route ?

R: Oui, parce qu'il n'y a pas de recette. Mais je comprends très bien le désir d'essayer de comprendre.

Q: Naît-on leader ou le devient-on ?

R: On naît artiste, artisan ou technocrate, mais on ne naît pas leader. Le leadership s'apprend, comme on peut apprendre à nager... Mais on ne peut pas apprendre à devenir champion nageur !

Q: Y a-t-il la même proportion d'artistes, d'artisans et de technocrates chez les hommes et les femmes ?

R: Mon espoir de paix ne repose pas sur les femmes ! Golda Meir, Eva Perón, Margaret Thatcher et Indira Gandhi n'étaient pas particulièrement des mamans gâteaux. Il y a autant de technocrates chez les femmes que chez les hommes. Par ailleurs, il y a probablement moins de maniaco-dépressifs chez les femmes que chez les hommes. Ce qui explique peut-être en partie que la plupart des grands créateurs de l'histoire ont été des hommes.

Q: Diriez-vous que c'est un trait commun des technocrates de cesser d'investir pour augmenter les profits à court terme ?

R: Oui, pour bien paraître dans l'immédiat, ils sont prêts à sacrifier l'avenir de leur organisation. De toute façon, quand le désastre surviendra, ils seront déjà partis ailleurs.

Q: Vous faites un lien curieux entre technocrate et psychopathe. En quoi se ressemblent-ils ?

R: Tous les deux peuvent être dangereux. Ce sont des cas de développement interrompu. Ils n'apprennent pas de leurs erreurs parce qu'ils sont convaincus qu'ils n'en font jamais. Ils ne tolèrent aucun autre style. Et on ne peut pas les changer parce que ce n'est pas un logiciel qui est défectueux, mais le disque dur !

Q: Guichet unique, synergie, qualité totale, réingénierie, alliances stratégiques, décentralisation, etc. Vous ne semblez pas porter les consultants dans votre coeur ?

R: Le métier de consultant est un terrain de prédilection pour les technocrates. Ils ont plein de beaux concepts à vendre mais ce ne sont pas eux qui les implantent, et ce n'est pas avec leur argent non plus qu'ils sont implantés.

Q: Vous dites que la planification stratégique élimine la pensée stratégique. Qu'est-ce que cela signifie ?

R: Une fois que vous vous êtes commis sur papier, le plan vous aveugle et vous ne voyez plus qu'autour de vous, le monde change.

 

Qui est Patricia Pitcher ?

Dominique Froment

 Avant de prendre sa retraite pour cause de maladie, Patricia Pitcher était directrice du doctorat en management conjoint des universités Concordia, McGill, de l'UQAM et de HEC Montréal. Elle a aussi été économiste en chef de la Bourse de Toronto.

 Âgée de 57 ans, elle est atteinte, comme d'autres membres de sa famille, de la sclérodermie, qui se caractérise par une production excessive de collagène. Celle-ci entraîne un durcissement de la peau et des tissus. Il y a deux ans, son médecin lui a dit qu'il lui restait au plus cinq ans à vivre.

 Née en Ontario, Mme Pitcher est venue à Montréal en 1983 afin d'épouser Guy Lavigueur, alors président de la Banque fédérale de développement (devenue la Banque de développement du Canada).

 Les trois meilleurs livres de gestion qu'elle ait lus

 

1 - Leadership in Administration, de Philip Selznick

 2 - The Managerial Mystique, d'Abraham Zaleznik

 3 - L'erreur de Descartes, d'Antonio R. Damasio

 

Neuf leaders vus par Patricia Pitcher

 

Laurent Beaudoin : artisan créatif

 Robert Bourassa : artisan

 Jean Coutu : artiste

 Paul Desmarais : artiste

 Guy Laliberté : artiste

 Bernard Lemaire : artiste

 René Lévesque : pur artiste

 Guy Saint-Pierre : artisan

 Pierre Elliott Trudeau : technocrate pur et dur

 

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