Prendre sa retraite à 40 ans: objectif réaliste ou utopique?

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Édition de Mars 2021

Prendre sa retraite à 40 ans: objectif réaliste ou utopique?

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Édition de Mars 2021

Par Andrea Lubeck
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(Photo: Muhammadh Saamy pour Unsplash)

On connaît tous la fameuse liberté 55, un but déjà hors de portée pour plusieurs épargnants. Ça n’empêche pas plusieurs jeunes professionnels de rêver de la liberté 40, et ce mouvement prend de plus en plus d’ampleur au Québec. 

Pour plusieurs, l’idée de prendre sa retraite à 40 ans revient tout simplement à rêver en couleur. C’est pourtant ce qu’a réalisé Jean-Sébastien Pilotte, alias le Jeune Retraité, qui témoigne de son expérience sur son blogue. À l’âge de seulement 39 ans, il a accroché ses patins de professionnel en marketing, le 1er mai 2017.

Cette idée n’aurait probablement jamais fait son bout de chemin s’il n’avait pas rencontré sa conjointe, Van-Anh Hoang, à l’âge de 19 ans. « Elle possédait déjà [une bonne culture de l’épargne], en plus de vivre un mode de vie frugal. C’est elle qui m’a inculqué les notions d’épargne », raconte Jean-Sébastien Pilotte. Exit alors l’objectif d’acheter une maison et une voiture de luxe : il opte plutôt pour la frugalité et l’atteinte de l’indépendance financière.

À ce moment-là, le but de Jean-Sébastien Pilotte n’était pas de prendre sa retraite, car, à son avis, le mot a une connotation péjorative, comme peuvent en témoigner les réactions de son entourage à l’égard de sa nouvelle occupation. Il faut dire que ce choix de vie est loin de la réalité de l’épargnant moyen. Si la majorité des ménages est sur la bonne voie pour s’assurer un niveau de vie acceptable à la retraite, le quart des Canadiens ne sont pas bien préparés à l’arrivée de cette étape charnière, selon une analyse de la firme de recherche McKinsey & Company.

« Il y a eu beaucoup d’incompréhension au début. Mes parents, par exemple, voyaient le fait que je prenne ma retraite comme une perte d’identité. Beaucoup se définissent par leur emploi, alors ils avaient l’impression que je ne contribuerais plus à la société à la même mesure », relate le blogueur. Par chance, ils comprennent désormais que c’est tout le contraire ; le couple s’implique autrement, en faisant notamment du bénévolat.

Mario Lavallée, professeur agrégé à l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke, confirme que la popularité grandissante de cette tendance témoigne d’un changement de paradigme relativement au travail chez les jeunes professionnels. Ceux-ci se définiraient moins par leur emploi que leurs prédécesseurs et se concentrent plutôt sur leurs intérêts et leurs loisirs. « Le travail n’est plus la source de leur bonheur et de leur satisfaction, ce qui, en soi, n’est pas une mauvaise chose. Les jeunes ne vivent plus pour travailler ; ils travaillent pour vivre », résume-t-il.

André Lacasse, planificateur financier chez Lacasse services financiers, ajoute que le niveau de connaissances financières des jeunes professionnels d’aujourd’hui est beaucoup plus élevé que celui des générations précédentes, ce qui peut expliquer leur propension à économiser davantage. « Ils ont vu leurs parents vivre de paie en paie —  comme c’est le cas pour près de la moitié des Canadiens  — et veulent à tout prix éviter cela. »

 

La méthode forte

Derrière l’atteinte de cet objectif noble se cache un mouvement qui gagne en popularité aux États-Unis et au Canada anglais, mais au Québec aussi. Depuis quelques années, blogues, livres et autres forums de discussion se multiplient et le nombre d’adeptes grandit. Ces derniers ont tous un point commun : ils utilisent la méthode FIRE, qui signifie « Financial Independance, Retire Early » (indépendance financière, retraite anticipée). Sur papier, les principes de base du mouvement, apparu au début des années 1990 chez nos voisins du Sud, sont ambitieux, mais simples : il suffit d’adopter un mode de vie frugal, d’épargner entre 50 % et 75 % de ses revenus et d’investir ce pécule.

Ce sont ces mêmes principes qui ont guidé le blogueur vers la retraite à 39 ans. Au cours des 15 années durant lesquelles il a travaillé, il estime avoir gagné des revenus annuels moyens de 55 000 $. Les dépenses de Jean-Sébastien Pilotte et de sa conjointe totalisaient —  et totalisent encore aujourd’hui  — 30 000 $ par année pour vivre à deux, si bien qu’il lui était possible de mettre 50 % de ses revenus nets de côté. Il a investi cette somme dans des fonds négociés en Bourse (FNB).

 

Angles morts

Si Fabien Major, planificateur financier chez Major Gestion privée, reconnaît que la théorie à la base du mouvement FIRE est louable, il émet toutefois des réserves à son égard. Il souligne que cette approche comporte plusieurs angles morts non négligeables. « Avec la méthode FIRE, la vraie vie nous rattrape assez vite : que ce soit la maladie, le décès, un handicap ou une pandémie, beaucoup de choses peuvent chambouler nos plans », dit-il d’emblée. Selon Statistique Canada, la probabilité qu’une personne vive une période d’invalidité de 90 jours ou plus avant l’âge de 65 ans est de une sur trois. Bien souvent, des médicaments et des soins sont nécessaires lors de ces périodes, ce qui peut se révéler onéreux, surtout lorsqu’ils ne sont pas entièrement couverts par les assurances.

De nombreux risques financiers planent également au-dessus de ceux qui passent de la période d’accumulation à la période de décaissement. Fabien Major mentionne notamment l’inflation, dont il faut impérativement tenir compte. Oublier l’inflation dans ses calculs peut gruger quelques milliers de dollars de plus que prévu chaque année.

N’oublions pas les crises économiques potentielles, parfois difficiles à prévoir. Une mauvaise séquence économique qui mène à deux ou trois ans de rendements négatifs, comme on a pu le voir lors de l’éclatement de la bulle techno au début des années 2000 ou lors de la crise financière de 2008, fera fondre la valeur de votre portefeuille à un moment où vous devez effectuer des retraits pour subsister.

Jean-Sébastien Pilotte avoue avoir eu un instant de panique lorsque les marchés ont chuté au tout début de la pandémie de COVID-19, en février et en mars dernier. Pour lui, tout est rentré dans l’ordre. Or, ce ne sont pas tous les secteurs qui ont repris de la vigueur, fait remarquer Fabien Major. « C’est un peu illusoire de croire que la Bourse s’est complètement remise de ce crash-là. »

Un autre aspect de la méthode qui le chicote est la tendance à tout couper, même dans les services offerts par des professionnels, comme les comptables ou les planificateurs financiers. « À mon avis, ce sont des économies de bouts de chandelle. En coupant dans les frais de gestion, c’est oublier les avantages d’une bonne planification financière et fiscale, malgré les frais qui y sont rattachés. Faire affaire avec un professionnel permet de s’assurer, par exemple, de ne payer que sa juste part d’impôts, d’avoir un budget bien équilibré, d’avoir en main toutes les protections nécessaires de sorte qu’on ne vide pas nos économies si un pépin survient », plaide Fabien Major.

Jean-Sébastien Pilotte pense, pour sa part, qu’on peut bien se tirer d’affaire sans recourir à un professionnel. Il dit avoir fait appel aux services d’un conseiller les premières années, mais qu’il n’en voyait pas la valeur ajoutée, que ce soit pour le rendement de ses placements ou pour l’éducation financière. Il a donc pris les choses en main après avoir lu de nombreux livres et blogues sur l’investissement autonome. « Je ne peux pas dire que j’ai réalisé de bons coups ; j’ai suivi le rendement moyen du marché. C’est tout de même ce qui m’a mené à l’indépendance financière en 15 ans », ajoute-t-il.

Faire cavalier seul, surtout si les connaissances en finances personnelles et en placements sont limitées, peut comporter certains risques. Ainsi, il est peut-être préférable de commencer à investir à l’aide d’un robot-conseiller plutôt que de se lancer directement dans le courtage en ligne, suggère Jean-Sébastien Pilotte. Sur son blogue, il compare la première méthode au fait d’être un passager dans une voiture sur le pilote automatique. Avec le courtage en ligne, l’investisseur est seul au volant et doit lui-même manœuvrer « quand la route devient cahoteuse ». Selon lui, apprendre à gérer ses placements soi-même est néanmoins la route à prendre pour atteindre l’indépendance financière.

 

Des solutions plus accessibles

Heureusement, ceux pour qui le mode de vie frugal ne convient pas, les propriétaires ou les parents dont le budget ne permet pas d’adopter la méthode FIRE peuvent tout de même aspirer à atteindre la liberté financière. Fabien Major conseille d’abord et avant tout de sortir la calculatrice. « Il faut répondre aux questions “De combien ai-je besoin pour payer mes obligations financières ?” et “Quel est le niveau de vie que je souhaite avoir ?” » explique-t-il.

C’est à ce moment qu’il est possible d’évaluer ses dépenses et de décider où couper. L’important, dit-il, c’est de ne pas aller dans la compression extrême afin d’éviter de trop se priver.

Puis, après avoir sabré les dépenses superflues, on peut déterminer la cible d’épargne à atteindre pour parvenir à la liberté financière.

Enfin, il suffit de suivre « un plan très détaillé », idéalement établi à l’aide d’un planificateur financier. « Il faut bien s’entourer et réviser régulièrement ses attentes, car la vie n’est pas un long fleuve tranquille. Elle est parsemée d’épreuves qui risquent de changer les plans », prévient-il.

Il y a toutefois un aspect sur lequel tous s’entendent : peu importe l’objectif que l’on se fixe, que ce soit la retraite à 40 ans ou l’atteinte de l’indépendance financière, l’important est d’épargner, mais surtout de commencer tôt pour profiter des intérêts composés. +

 

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