Voiture électrique: un rare pari valeur


Édition du 10 Mars 2021

Voiture électrique: un rare pari valeur


Édition du 10 Mars 2021

Par Stéphane Rolland

(Photo: 123RF)

Les vétérans de l’automobile veulent leur revanche. Devancées par Tesla (TSLA, 653,20 $US), General Motors (GM, 53,74 $US) et Ford (F, 12,17 $US) pèsent sur l’accélérateur et investissent des milliards de dollars pour prendre le virage vert. Leurs stratégies commencent à attirer l’attention des experts.

Les constructeurs automobiles traditionnels veulent suivre la même route que Tesla. À la Bourse, toutefois, les titres de GM et de Ford se trouvent à des kilomètres de l’engouement — certains évoquent même une bulle — manifesté pour tout ce qui touche à la voiture électrique.

Malgré la correction récente des actions de croissance en raison de la hausse des taux d’intérêt, le titre de Tesla s’échange à 147 fois le ratio cours/bénéfice des 12 prochains mois. L’évaluation de plusieurs start-ups dont les projets ne sont qu’embryonnaires demeure également élevée. Pendant ce temps, les actions de GM et de Ford s’échangent à 9,6 fois et à 10,1 fois, respectivement.

Devant cet écart, des experts se demandent si ces entreprises centenaires ne sont pas un meilleur véhicule pour profiter de l’électrification des transports. Fai Lee, analyste chez Odlum Brown, à Vancouver, croit que c’est le cas pour GM. «Le prix du titre semble indiquer que le marché ne croit pas qu’ils vont réussir à faire la transition vers l’électrique, explique-t-il en entrevue. Si la direction atteint ses objectifs, je pense que GM pourrait demeurer rentable et le marché changera son opinion.»GM prévoit investir 27 milliards de dollars américains (G$US) dans le développement de la filière électrique d’ici 2025. À cette échéance, elle veut produire 30 modèles électriques différents. En 2035, elle espère ne vendre que des modèles électriques. L’objectif ultime est d’être carboneutre pour toute la chaîne de production en 2040. Ford, pour sa part, prévoit investir 15 G$US dans la voiture électrique et 5 $US dans la voiture autonome d’ici 2025.

Ces investissements semblent inévitables au moment où la voiture électrique gagne en traction. Deux freins à l’adoption de masse s’atténuent grâce aux avancés technologiques qui permettent d’envisager une augmentation de l’autonomie des batteries et une diminution des coûts de production (donc des véhicules). D’ailleurs, GM prévoit que les coûts de production d’un véhicule à essence ou d’un véhicule électrique arriveront à parité vers 2025. Au même moment, les gouvernements, en Chine et en Europe notamment, veulent encourager le développement de cette filière. Avec l’élection de Joe Biden, Washington devient aussi plus favorable à cette industrie.

La part des voitures vendues qui sont électriques est donc appelée à croître dans les prochaines années, croit Daniel Ives, de Wedbush. De 3 % des ventes mondiales, la part devrait monter à 5 % d’ici la fin de l’année et à 10 % en 2025, selon l’analyste.

Le segment des automobiles à essence, pour sa part, devrait prendre le chemin inverse dans les prochaines années, anticipe Adam Jonas, de Morgan Stanley. Il pense que les revenus tirés de la vente de voitures à essence de GM déclineront à un rythme annuel composé de 3,9 % jusqu’en 2030. Pour Ford, la baisse serait de 5,3 %.

 

Trop tard ?

Pour les critiques, les plans d’investissement des grands constructeurs arrivent sur le tard et restent une tentative de rattraper Tesla, qui domine largement le marché des voitures électriques. Aux États-Unis, 79 % des modèles vendus en 2020 étaient produits par Tesla, selon une recension de la firme Experian.

Fai Lee pense, au contraire, que GM a choisi le bon moment. «On l’a accusée d’être lente par rapport à Tesla, mais la technologie n’était pas encore assez avancée pour produire des véhicules électriques rentables et GM ne voulait pas produire à perte. Maintenant, le coût de la batterie diminue et je crois que la transition a plus de sens.»L’avance prise par Tesla est toutefois difficile à réduire, constate Benoit Charette, chroniqueur à l’Annuel de l’automobile. «Les constructeurs veulent aller vite, mais ils se rendent compte qu’ils ne pourront pas aller aussi vite qu’ils le souhaitent.»Le chroniqueur automobile donne en exemple le report d’un an de la production de la BMW iX annoncé en février. Jaguar, qui veut aussi être 100 % électrique entre 2025 et 2030, a annoncé que la berline XJ ne verra pas le jour, sans explications.

Tesla, pendant ce temps, poursuit la course. Elle a annoncé le lancement de la Tesla 2 à 25 000 $US d’ici 2023 quand GM a annoncé qu’elle diminuerait les prix de certains de ses modèles. Elle vient d’ouvrir une usine en Chine. Elle prévoit en ouvrir une autre à Berlin et négocierait l’installation d’une autre usine en Inde. «Elon Musk connaît la musique, dit Benoit Charette. Ce n’est plus une entreprise chambranlante. C’est devenu un constructeur à part entière et ses modèles se vendent.»

 

GM la favorite

Malgré l’ampleur du défi, GM semble être le constructeur en meilleure posture pour le relever. La très grande majorité des analystes pensent que le désintérêt du marché est une erreur. Ils sont 17 sur 19 à émettre une recommandation d’achat pour le fabricant des marques Chevrolet, Pontiac et Cadillac. Pour le moment, la stratégie de GM est plus claire, juge Benoit Charette. La direction a bien communiqué ses objectifs et les moyens technologiques qu’elle allait employer pour les atteindre.

La flexibilité offerte par sa nouvelle batterie Ultium est un des atouts dans la manche de la société de Detroit, ajoute le passionné d’automobile. «C’est une batterie modulable. Ça veut dire qu’on peut ajuster l’autonomie de la batterie. On peut aussi ajuster sa taille selon le modèle du véhicule fabriqué. La beauté, c’est qu’on a un plan qui permet de fabriquer à peu près n’importe quel véhicule.»Cette particularité est unique dans le marché, selon le chroniqueur. Il note que l’allemande Volkswagen, moins suivie par les analystes nord-américains, a choisi, pour sa part, une plateforme modulable (le châssis) plutôt que la batterie. La structure des modèles ID s’ajuste ainsi à la batterie et non l’inverse. Dans les deux cas, cette flexibilité permet de réduire les coûts, note-t-il. Aussi moins suivie par les analystes américains, Toyota est «assez loin derrière», avec aucun véhicule 100% électrique, note Benoit Charette. Pour le moment, la société japonaise mise sur l’hydrogène. «C’est le géant qui dort, mais Toyota serait capable de présenter très rapidement son plan pour la voiture électrique et elle aurait tout ce qu’il faut pour le faire.»Bien que les plans de Ford soient plus explicites que ceux de Toyota, son titre ne suscite pas la même cote d’amour que sa rivale GM. Seulement 5 analystes sur 19 recommandent l’achat.

Le fait que GM ait adopté une approche plus intégrée pour produire les batteries de ses voitures électriques plaît à Adam Jonas, de Morgan Stanley. En comparaison, Ford mise sur la sous-traitance. L’entreprise a laissé entendre que cette stratégie pourrait être modifiée. Si rien ne change, Ford serait plus à risque de connaître une perturbation de la chaîne d’approvisionnement, dit l’analyste. Pour sa part, il croit qu’on ne discute pas assez de la question dans les médias et les milieux financiers.

L’exposition géographique des deux rivales offre aussi un contraste frappant, poursuit-il. GM est beaucoup plus présente en Chine, où ses parts de marché sont dans le bas de la fourchette, entre 10 % et 19 %. La part de Ford se trouve sous les 3 %. En contrepartie, GM a quitté l’Europe, où les deux constructeurs ont connu des ratés. Ford y est toujours et Adam Jonas attribue une valeur négative aux activités européennes.

La combinaison de tous ces éléments fait croire à l’analyste de Morgan Stanley que le bénéfice d’exploitation de GM pourrait progresser à un rythme annuel de 2,1 % d’ici 2030 tandis que ceux de Ford déclineraient de 1,3 % par année. Il émet donc une recommandation «surpondérer»pour GM et «sous-pondérer»pour Ford. Tout ne va pas mal pour Ford pour autant, même si la majorité des analystes lui préfèrent GM. La société semble faire des progrès sous la gouverne de Jim Farley, promu PDG en octobre dernier. La société a pris des déci- sions pour réduire ses coûts et être plus efficace, note Ryan Brinkman, de JP Morgan. Le lancement de nouveaux modèles est aussi un catalyseur, selon lui. Il donne en exemple le nouveau F-150, les trois modèles de la série Bronco et la voiture électrique Mustang Mach-E. L’analyste note qu’une mise à jour du F-150 a toujours été accompagnée d’une augmentation de la rentabilité en Amérique du Nord. Les nouveaux modèles de Ford tombent à point, car la société devrait profiter des conditions avantageuses dans lesquelles se trouvent les consommateurs, croit Bill Selsky, d’Argus. En raison de l’augmentation de l’épargne forcée par le confinement, des programmes d’aide gouvernementaux et des bas taux sur les prêts, il anticipe une augmentation du nombre de véhicules vendus, qui passerait de 14,6 millions en 2020 à 16 millions en 2021.

Même dans un contexte de reprise économique, la tendance n’est peut-être pas favorable à la fabrication automobile à plus long terme, nuance Pedro Antunes, économiste en chef du Conference Board du Canada. «Les véhicules ont une durée de vie plus longue. La place plus grande du télétravail pourrait aussi entraîner une demande plus faible pour les automobiles à l’avenir.» Mauvaise réputation Bien des investisseurs restent de glace devant les bonnes nouvelles en provenance de Detroit. Les géants automobiles traînent un historique de destruction de valeur sur de nombreuses années et le camp pessimiste ne voit pas comment les choses pourraient être différentes cette fois.

Le rendement sur le capital dans le secteur est très bas et s’est détérioré depuis 20 ans, souligne Steve Bélisle, gestionnaire de portefeuille à Gestion de placements Manuvie, à Montréal. Il juge que les entreprises sont des pièges à valeur. «C’est une activité qui demande d’importants investissements en capital. Concevoir un nouveau modèle coûte cher et prend du temps. Ces entreprises sont très vulnérables et peuvent faire des pertes gigantesques lorsqu’un modèle n’est pas populaire. C’est aussi une industrie très concurrentielle.»Depuis l’effondrement de l’industrie en 2008, GM et Ford ont déployé de grands efforts pour faire mentir ceux qui pensent qu’elles sont condamnées à une éternelle sousperformance.

David Whiston, de Morningstar, croit que les deux sociétés sont maintenant mieux gérées. Le seuil de production à partir duquel GM atteint l’équilibre budgétaire est radicalement plus bas que le «vieux GM». Sa main-d’oeuvre lui coûte environ 5 $US, comparativement à 16 $US en 2005. Ford, pour sa part, est en train d’évaluer les coûts et de prioriser les segments les plus rentables. Elle a aussi réduit le nombre des plateformes utilisées pour construire ses modèles afin de réaliser des économies d’échelle. De 27 plateformes en 2007, elle se dirige vers l’adoption de seulement 5 plateformes différentes.

Leur but est d’être plus résilientes pour parer au choc imprévu, ce qu’elles semblent avoir réussi à faire durant la pandémie. La pénurie des semiconducteurs pourrait être une autre occasion de démontrer leur résilience. Malgré ce revers, les deux sociétés prévoient enregistrer des flux de trésorerie positifs et maintiennent leur promesse d’investissement dans la voiture électrique.

Si les analystes semblent croire qu’il s’agit d’un problème à court terme, la pénurie rappelle cependant que la chaîne d’approvisionnement peut être perturbée. Les espoirs d’une baisse constante du prix de batteries des voitures électriques pourraient disparaître, prévient Pedro Antunes. «C’est inquiétant, dit l’économiste. Ça pourrait être difficile d’avoir une croissance rapide s’il y avait un stress sur la chaîne d’approvisionnement.»Steve Bélisle reconnaît que les constructeurs automobiles sont mieux gérés qu’avant, «mais ils font face à des défis beaucoup plus grands». «Ils doivent faire la transition vers les véhicules électriques, la demande diminue dans les pays industrialisés et les régimes de retraite et les avantages sociaux leur plombent l’aile.

Heureusement qu’ils sont mieux gérés, sinon ce serait pire.»Même plus forts, Ford et GM ne sont pas à l’abri d’une récession, admet David Whiston. «Dans les moments difficiles, même les meilleurs constructeurs ne peuvent pas éviter un recul des bénéfices et du rendement du capital investi. Les réductions de coûts atténuent les souffrances, mais ça ne peut pas ramener tous les profits en temps difficile.»

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