Le portefeuille permanent ne constitue pas une stratégie tout terrain


Édition de Avril 2020

Le portefeuille permanent ne constitue pas une stratégie tout terrain


Édition de Avril 2020

Répartition d’actifs d’un portefeuille permanent

CLASSÉ D'ACTIFS. Détenir un portefeuille investi en parts égales dans l’or, les actions, les obligations 30 ans et les bons du ­Trésor. Une idée farfelue ? ­Pas tant que cela, si on est discipliné.

Le portefeuille permanent a été créé au début des années 1980 par l’Américain ­Harry ­Browne. Auteur d’une dizaine de livres, le conseiller en investissement décédé en 2006 prétend avoir trouvé une recette simple pour protéger le capital et même faire fructifier notre pécule dans n’importe quel contexte économique. Cette démarche passive suscite de nouveau l’intérêt, car elle est facile à mettre en œuvre grâce aux fonds négociés en ­Bourse (FNB).

Pour y parvenir, il suffit d’investir le quart de nos avoirs dans chacune de ces classes d’actif : l’or, les actions de croissance, les obligations à long terme et à très court terme. Quant au rééquilibrage du portefeuille, il se fait une fois l’an, ou dès qu’une catégorie d’actifs varie de plus de 10 % à la hausse ou à la baisse. On ramène alors la pondération de chacune d’elle à 25%.

Un peu de théorie s’impose afin de comprendre les fondements de cette stratégie somme toute simple. D’abord, ces quatre catégories d’actifs sont peu corrélées entre elles et peuvent donc mieux protéger l’investisseur dans divers scénarios. Ainsi, les actions de croissance vont généralement bien performer en période d’expansion économique, les obligations au cours d’une récession, l’or en période inflationniste et les bons du ­Trésor lorsqu’il y a déflation.

Plusieurs médias, universitaires et analystes comme Craig Rowland se sont intéressés, ces dernières années, à la philosophie de placement du portefeuille permanent qui a permis, malgré quelques années de ­sous-performance, de générer des rendements moins volatils que le marché boursier tout en traversant sans trop de dommages des crises financières comme celle de 2008. « ­Au fil des ans, beaucoup d’investisseurs ont semblé attirés par cette stratégie, mais je ne connais personne à l’exception de ­Craig ­Rowland, auteur d’un livre sur la question, qui l’a adopté pour ses placements », remarque ­Dan ­Bortolotti, gestionnaire de portefeuille chez ­PWL ­Capital, à Toronto, et auteur du blogue ­Canadian ­Couch ­Potato, consacré aux investisseurs indiciels. En d’autres mots, bien que simple et attirante en théorie, la stratégie est plus difficile à suivre qu’il n’y paraît. Il faut également souligner que les rendements mis de l’avant ces dernières années utilisent des données américaines. Qu’en ­serait-il pour un ­Canadien ? 

Des chiffres à l’appui

Optimum ­Gestion de placements a tenté d’évaluer les rendements générés par la stratégie du portefeuille permanent depuis 1980 (voir tableau). Le choix des indices dans ces calculs revêt une grande importance. « À l’époque, ­Harry ­Browne était très prescriptif dans la sélection de ses catégories d’actifs. Il s’adressait à un investisseur américain et préconisait un marché domestique et le choix d’actions volatiles, comme des fonds de croissances. Plusieurs des fonds suggérés n’existent plus », constate ­Pierre-Philippe ­Ste-Marie, chef des placements, revenu fixe de la firme. Il a donc fallu poser des hypothèses. Dans le cas des actions, par exemple, on a opté pour des indices génériques de croissance tant au ­Canada qu’aux ­États-Unis.

Il est également facile de faire dire aux chiffres ce qu’on veut en sélectionnant avec soin des points d’entrée et de sortie pour calculer les rendements d’une stratégie. « ­Pour cet exercice, nous avons simplement amorcé nos calculs en 1980, décennie où l’or n’était plus lié au dollar américain. Nos données des 20 dernières années sont plus fiables, car les rendements totaux de certains indices avant les années 2000 sont plus difficiles à obtenir et ont dû être reconstruits », ­précise-t-il.

Une fois que ces rendements sont établis, on a comparé la stratégie avec un portefeuille équilibré, le véhicule d’épargne privilégié par un grand nombre de ­Canadiens. Pensons à un portefeuille investi à 50 % en actions et à 50 % en obligations. «Rappelons que le portefeuille équilibré résulte de la théorie moderne de portefeuille développée par ­Harry ­Markowitz dans les années 50 et vise à maximiser le rendement espéré tout en minimisant le risque des investissements. Pour y parvenir, on veut se diversifier en détenant plusieurs catégories d’actifs et plusieurs titres dans chacune d’elle», explique Pierre-Philippe Ste-Marie. Or, le portefeuille permanent s’adresse à un investisseur américain et mise sur des titres essentiellement domestiques. Pourtant, la théorie moderne de portefeuille montre que les gains liés à la diversification internationale sont importants lorsqu’on détient des titres étrangers. C’est une question de corrélation, soit le degré de relation entre les titres financiers et entre les pays.

Depuis 1980, le portefeuille permanent américain s’est bien comporté, mais la performance du portefeuille équilibré demeure nettement supérieure (9,8 % contre 7,6 %). La situation est différente et même inversée au ­Canada, où le portefeuille permanent a généré 6,7 % et le portefeuille 50/50, seulement 6,6 %. « ­Ce sont les actions canadiennes qui n’ont pas aussi bien performé qu’aux ­États-Unis alors que l’or s’en est très bien tiré », constate ­Pierre-Philippe ­Ste-Marie. Par contre, le portefeuille mondial 50/50 surpasse le portefeuille 50/50 canadien et les portefeuilles permanents. « ­Le portefeuille équilibré aux ­États-Unis se démarque sur cette période de 40 ans en raison de la performance spectaculaire des indices boursiers américains », ­précise-t-il.

Qu’en ­est-il de la portion à revenu fixe des portefeuilles ? ­Dans le cas d’un portefeuille équilibré, la part obligataire est généralement constituée d’un indice universel contenant du crédit d’entreprise ­BBB ou mieux, comme le ­FTSE ­TMX au Canada. Pour les calculs du rendement du portefeuille permanent, on est restreint aux obligations fédérales à courte et à longue échéance. Pour simplifier les calculs, Optimum Gestion de placements a choisi une obligation fédérale générique 2 ans et 30 ans. Rappelons que le taux directeur de la ­Banque du ­Canada se situe à 0,25 % (début mars 2020), alors que le taux des obligations fédérales 30 ans oscille autour de 1,2 %. La courbe des taux d’intérêt est en ce moment très plate. Si une crise inflationniste survient, les taux longs pourraient augmenter et ­sous-performer un indice univers dont la durée moyenne des titres dans l’indice se situe à près de 8 ans », affirme ­Pierre-Philippe ­Ste-Marie. Dans un environnement de bas taux d’intérêt comme actuellement, ce dernier préfère détenir un indice de type univers contenant du crédit d’entreprise ­BBB en gestion active qu’un portefeuille obligataire composé entièrement de titres du gouvernement fédéral à très long et à court terme. 

L’or, une valeur refuge ?

Soyons francs, le pourcentage élevé d’or dans le portefeuille permanent fait sourciller. Dans les années 1980, ­Harry ­Browne propose d’en détenir 25 % tandis que, au cours de la décennie précédente, le métal jaune connaissait des rendements exceptionnels, particulièrement vers la fin des années 1970 et à un moment où l’inflation devenait galopante. Les deux décennies suivantes se sont révélées très décevantes pour l’or, faut-il le rappeler. « ­Beaucoup d’investisseurs misent sur les revenus de dividendes et d’intérêt pour vivre une fois à la retraite. Mais l’or ne rapporte aucun revenu », remarque Dan Hallett, ­vice-président, analyste et directeur de la recherche à HighView Financial Group.

Ce dernier doute que l’or joue pleinement son rôle de valeur refuge. Bien que faiblement corrélé avec les autres catégories d’actifs, le métal jaune a connu sur certaines périodes une forte volatilité de ses rendements. « ­Entre la ­mi-juillet et la ­mi-novembre 2008, au moment de la crise financière, le prix de l’or a dégringolé de plus de 25 % alors que les investisseurs subissaient des pertes importantes sur les actions. L’or a vite récupéré ses pertes en 2009, mais il fallait avoir des nerfs d’acier pour ne pas vendre, note M. Hallett. On pourrait aussi débattre que le marché obligataire a mieux protégé les portefeuilles en étant moins volatil par rapport au marché des actions. »

Par ailleurs, si les rendements du portefeuille permanent semblent en apparence moins volatils qu’un portefeuille équilibré, il ne faut pas ­sous-estimer le comportement des investisseurs. « ­Même si le portefeuille connaît de bons rendements sur une très longue période, la discipline qu’elle exige de la part des investisseurs demeure un défi de taille », croit ­Dan ­Hallet. On a ainsi tendance à s’attarder à la catégorie d’actifs qui ne performe pas bien dans notre portefeuille. On voudra réduire celle qui déçoit pour augmenter celle qui performe bien, ce qui serait dommageable et en contradiction totale avec la démarche passive du portefeuille permanent.

Tout compte fait, si on remplace la composante métal précieux du portefeuille permanent par des actions, on se retrouve avec un portefeuille équilibré 50/50. « ­La décision peut donc se résumer à : ­croyez-vous que ce sont les actions ou l’or qui va générer le rendement le plus élevé sur la durée de vie de votre portefeuille de placement ? ­Depuis presque 100 ans, les actions ont procuré les rendements réels les plus élevés, observe Dan Bortolotti. Malgré la volatilité, cette catégorie d’actifs a historiquement récompensé les investisseurs à long terme d’une façon que l’or et les obligations gouvernementales n’ont pas pu faire. »

 

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