Vous ne deviendrez probablement pas champion olympique au sprint, même si vous vous entraînez pendant des années. Mais vous allez notablement augmenter votre vitesse.
Même chose pour la créativité. Le prix à payer ? 10 000 heures d'«entraînement», à dessiner, peindre, écrire, jouer de la musique, concevoir des maquettes, etc.
Cette théorie des «10 000 heures pour devenir excellent dans n'importe quoi» a été élaborée par K. Anders Ericsson, psychologue et professeur à l'université d'État de Floride. Et le designer Luc Mayrand y adhère totalement.
En passant, 10 000 heures, c'est une heure par jour, sept jours sur sept, pendant... 27 ans !
Selon le Dr Ericsson, nous avons tous des talents innés, mais ceux-ci jouent un rôle négligeable : si Tiger Woods est si bon au golf, c'est d'abord et avant tout parce qu'il s'est beaucoup, beaucoup exercé.
«Ça fait plus de 10 000 heures que je m'exerce au karaté, j'ai ma ceinture noire depuis 25 ans et je commence seulement à découvrir cette discipline», affirme M. Mayrand, directeur exécutif de la création de Walt Disney Imagineering, la société responsable du design et de la production des parcs d'attractions du groupe Disney, ses quatre paquebots et ses hôtels.
Nous l'avons rencontré à nos bureaux lors de son passage à Montréal l'été dernier, alors qu'il participait à l'École d'été en management de la création dans la société de l'innovation. Il s'agit du produit phare de MosaiC, le pôle de formation et de recherche de HEC Montréal spécialisé en management de l'innovation et de la créativité.
Walt Disney Imagineering emploie 2 000 personnes, dont la moitié sont affectées au futur Shanghai Disney Resort, qui doit ouvrir ses portes en 2016. La société travaille sur le contenu créatif de ce projet depuis six ans.
Avec environ 150 personnes sous sa direction, M. Mayrand, 50 ans, est responsable du parc des Pirates des Caraïbes qui couvre le cinquième du Shanghai Disney.
Le processus de création
«Il faut que beaucoup d'idées circulent pour que l'une d'elles finisse par se réaliser, explique M. Mayrand quand on l'interroge sur le processus de création. Les idées géniales arrivent rarement comme une illumination.»
Le designer préfère travailler en petites équipes plutôt qu'en comité où «on n'invente rien, [où] on ne fait que brasser des idées existantes».
Au cours du processus, trois règles doivent être respectées : 1) il n'y a pas de mauvaises idées ; 2) les idées n'appartiennent à personne ; 3) il faut faire le tri des idées. «Je ne veux pas me faire dire que ce serait amusant si les visiteurs dans nos parcs pouvaient marcher sur les murs ; je veux qu'on m'explique comment on pourrait les faire marcher sur les murs.»
Le designer entreprend toujours un projet avec une petite équipe multidisciplinaire - designer, ingénieur, architecte, etc. «Quand vous commencez avec trop de gens autour de la table, ça coûte cher et souvent ça part dans toutes les directions.»
En outre, le climat de confiance est très important : «On ne conçoit pas l'iPhone sans commettre des dizaines d'erreurs. Ed Catmull, cofondateur de Pixar, disait qu'après deux ans de conception, ses films étaient les pires qu'il n'ait jamais vus.»
À l'ombre du Stade olympique
Luc Mayrand a grandi à l'ombre du Stade olympique dont il a suivi, ébahi, la construction. Avec sa curiosité insatiable, à 10 ans seulement, le système de classification Dewey de la bibliothèque de son quartier n'avait plus de secret pour lui, tant il l'avait fréquentée. «C'était une façon économique de découvrir le monde», précise-t-il.
Une passion qu'il a conservée, puisque sa bibliothèque personnelle compte 20 000 livres, qu'il a tous lus. Il possède une riche collection de B.D., presque toutes en français. Chaque année d'ailleurs, lorsqu'il revient à Montréal pour visiter sa famille, M. Mayrand ne manque jamais de faire un détour à la boutique Débédé de la rue Saint-Denis.
«La magie de la B.D., c'est quand tu essaies d'imaginer ce qui s'est passé entre deux cases», explique-t-il, ajoutant qu'il a particulièrement été influencé par la série de science-fiction Valérian et Laureline. «Ils nous font visiter plein d'univers et découvrir plusieurs civilisations.»
D'aussi loin qu'il s'en souvienne, le jeune Mayrand fabriquait des maquettes de cathédrales, d'immeubles, d'avions et autres avec n'importe quel matériau qui lui tombait sous la main.
Architecte ? Ingénieur ? Designer ?
Après ses études collégiales, Luc Mayrand songe à entreprendre des études d'architecture. Mais après s'être renseigné, il trouve que la profession est trop axée sur les normes et pas assez sur la créativité. Il réfléchit aussi à l'idée de devenir ingénieur en aéronautique. Mais l'ère spatiale tire à sa fin et les Américains ont commencé à réduire leurs activités dans le domaine de l'exploration. «Ce n'était pas très prometteur !»
Il opte finalement pour le design industriel à l'Université de Montréal : «En lisant une brochure sur cette profession, je me suis rendu compte que c'était exactement ce que je faisais depuis que j'étais tout petit.»
Après l'Université de Montréal, M. Mayrand part pour la Californie y parfaire sa formation au Art Center College of Design, à Pasadena.
En sortant de l'école, il décroche de petits contrats d'effets spéciaux dans des films. Il est ensuite recruté par la firme Landmark, pour laquelle il réalise notamment un parc d'attractions au Japon pour le fabricant de jouets Sanrio. C'est au Japon, où il a vécu pendant deux ans, en 1988 et 1989, qu'il a rencontré sa femme, une Québécoise.
Les gens de Disney, qui le voyaient aller depuis quelques années, lui ont fait une offre en 1998 pour le projet Mission Space d'Epcot, qui simule l'entraînement des astronautes. Maintenant, le Shanghai Disney Resort. Et après ? «On verra ce qui se présentera.»
Enseigner en Californie
Luc Mayrand, un designer industriel, enseigne au département Entertainment Design du Art Center College of Design, au département Interactive Cinema de la University of Southern California et au Département Business of Art and Design du Ringling College of Art and Design. Il a notamment conçu l'attraction thématique Star Trek : The Experience, qui a totalisé 130 000 représentations au Hilton Las Vegas jusqu'en septembre 2008.