Les quelque 35 ans de philanthropie culturelle de Maurice Forget se résument à deux choses : une passion sans borne pour les arts et l'incapacité à dire non à une demande formulée gentiment.
À preuve, quand l'avocat-conseil et ancien président de Fasken Martineau DuMoulin a été nommé Personnalité Arts-Affaires par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain et le Conseil des arts de Montréal en 2009, sa candidature était appuyée par 23 organismes, dont les Grands Ballets Canadiens, Pointe-à-Callière, Les Impatients, Metropolis Bleu et la Fondation Guido Molinari.
Dans ce dernier cas, refuser de s'engager aurait été impensable. C'est Molinari en personne, un ami de longue date, qui lui a demandé d'être fiduciaire de sa fondation lorsqu'il s'est su mourant. «Je connaissais Guido depuis les années 1960, et je l'avais aidé quelquefois à titre d'avocat pour des oeuvres de sa collection personnelle», mentionne celui qui a agi comme conseiller juridique bénévole pour plusieurs organismes culturels. Depuis le décès du peintre minimaliste en 2004, neuf de ses proches perpétuent sa mémoire tout en documentant l'art québécois postérieur aux années 1950 et en aidant de jeunes artistes.
En plus d'une somme de 35 000 $ et de sa collection personnelle d'oeuvres - utilisée comme capital de lancement -, Molinari leur a légué l'ancienne banque, située dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, dont il avait fait son atelier. La Fondation, que Maurice Forget préside depuis 2011, a déjà investi entre 500 000 et 750 000 $ dans la restauration de l'édifice de la rue Sainte-Catherine Est. L'organisme possède des actifs de «plusieurs millions de dollars», qui comprennent 600 tableaux de l'artiste - chacun valant de 25 000 $ à des centaines de milliers de dollars -, 800 dessins et des milliers d'estampes.
Sauvegarde du patrimoine architectural
«C'est un très beau bâtiment qui perpétue une époque où Hochelaga et Maisonneuve étaient des municipalités d'une grande vitalité et où les banques construisaient de véritables monuments», rappelle l'ancien président d'Héritage Montréal, très engagé dans la sauvegarde du patrimoine bâti, entre autres le Horse Palace et la Fonderie Darling. Il a également présidé aux destinées du Conseil des arts de Montréal, de 1999 à 2006, dans l'ancienne École des beaux-arts.
Si certaines de ses activités ne nécessitent qu'une réunion trimestrielle, son engagement auprès de la Fondation Molinari est quasi quotidien. «En tant que permanent bénévole, je discute avec le directeur et son adjointe d'une foule de dossiers concernant la gestion de la Fondation, dont l'administration, la comptabilité, la préparation d'expositions et les relations avec les institutions muséales, résume-t-il. Comme la Fondation vise à être perpétuelle, on se donne un horizon de développement très long, mais on doit commencer rapidement, parce qu'il y a beaucoup de choses à faire.»
Pourquoi s'y consacrer autant ? «Ça me procure une joie intense de mettre sur pied quelque chose d'entièrement nouveau, résume l'avocat émérite. C'est une convergence de trois de mes plus grandes amours : les arts visuels, le patrimoine bâti et l'écrit.»
La Fondation travaille à développer un important programme de publication d'ouvrages savants sur l'art, par exemple une grande monographie sur Molinari, dont la sortie est prévue pour la fin de 2015. «Quand la Fondation aura acquis une réputation de centre de connaissances, nous pourrons approcher des mécènes privés pour leur offrir de s'associer à notre succès», fait-il valoir.
Une rencontre décisive
Maurice Forget cultive son goût pour les arts «depuis le berceau». Son père a déjà travaillé comme administrateur pour l'UNESCO à Paris et s'est impliqué de diverses manières auprès de l'Orchestre symphonique de Montréal et des Grands Ballets Canadiens. Sa famille exposait «de vrais tableaux à l'huile» à la maison. Mais c'est surtout vers la fin de son adolescence, alors qu'il fréquente le Collège Saint-Laurent, que Maurice Forget s'initie aux arts grâce à la galerie Nova et Vetera, fondée par le père Gérard Lavallée, et devenue depuis le Musée des maîtres et artisans du Québec.
C'est là qu'il rencontre Molinari pour la première fois, au milieu des années 1960, à titre de responsable des affiches d'exposition. «J'avais proposé que, sur celle de son exposition, il y ait des motifs de diamants, pour rappeler les meubles à pointes. Guido est venu à l'atelier, il a trouvé que c'était une bonne idée, et a commencé à faire des oeuvres diamantées», dont Triangulaire ocre-jaune et Triangulaire vert-rouge en 1974.
Après des études à la Faculté de droit de l'Université McGill, le jeune avocat entre au cabinet Martineau Walker en 1970, où il se spécialise en restructurations d'entreprises et en valeurs mobilières. En 1983, à la faveur d'un réaménagement du bureau, il crée la Collection Fasken Martineau : plus de 400 oeuvres d'art d'époques variées, disséminées sur huit étages, dont la valeur marchande atteint «plusieurs millions».
«C'était une dictature !» se souvient-il en souriant. «Je choisissais chaque oeuvre seul. Le budget, qui n'a jamais dépassé 25 000 $ par an, était la seule contrainte.» Dans cette quête, il a tout de même pu bénéficier de l'expertise d'autres collectionneurs passionnés de chez Pratt & Whitney, Power Corporation et la Banque Nationale, grâce à l'Association des collections d'entreprises (ACE), qu'il a cofondée dans les années 1980 avec Louis Pelletier, conservateur de la Collection Loto-Québec. L'ACE, dont il a été président jusqu'en 2005, compte aujourd'hui une vingtaine de membres.
Parallèlement, il enrichit sa collection personnelle, une démarche «presque pédagogique» qui vise à faire un recensement de l'art au Québec de 1950 à 1990, «avec un accent sur les années 1950, 1960 et 1970». En 1995, il fait don de ses 400 tableaux, estampes et photos au Musée d'art de Joliette, dont il préside alors le conseil d'administration. Il préfère ne pas révéler la valeur de ce don considérable.
Depuis 1995, il a offert 50 oeuvres supplémentaires au Musée. Aujourd'hui, sa collection compte environ 200 pièces - surtout des tableaux - qui atterriront également à Joliette à son décès. «Nous avons tous l'obligation de contribuer à notre vitalité culturelle, conclut-il. Dans ma vie, j'ai donné beaucoup plus de temps que d'argent, sauf que j'ai donné assez d'argent pour ne pas être riche. Si j'ai eu le potentiel de l'être, je l'ai perdu !»