Le dossier de l'harmonisation des taxes fait la manchette depuis quelques mois. Tandis que Québec tente d'obtenir une compensation de 2,2 milliards de dollars (G$) du gouvernement fédéral, des entreprises se demandent quel serait l'impact de l'entrée en vigueur de la taxe de vente harmonisée (TVH) souhaitée par Ottawa. Question de comprendre les tenants et aboutissants de cet enjeu électoral, nous avons interrogé la fiscaliste et spécialiste des taxes à la consommation Natalie St-Pierre, de RSM Richter Chamberland.
LES AFFAIRES On entend beaucoup parler du dossier de l'harmonisation des taxes. De quoi s'agit-il, exactement ?
NATALIE ST-PIERRE Par définition, il faut deux éléments pour qu'il y ait harmonisation. C'est la base. Une harmonisation, c'est d'instaurer des règles similaires entre deux systèmes de taxation. Les négociations qui ont actuel lement lieu entre Québec et Ottawa, c'est de la " politicaillerie ", parce que, dans les faits, la taxe de vente du Québec (TVQ) a été harmonisée à la taxe sur les produits et services (TPS) en 1992. C'est-à-dire qu'on a introduit un système de taxe sur la valeur ajoutée, alors qu'avant cela, c'était un système de taxe au détail. Ce que le fédéral souhaite, c'est une taxe unifiée, autrement dit, qu'il y ait une seule taxe au Québec. Ottawa fait donc un mauvais choix de mots quand il dit " si vous harmonisez, vous aurez votre argent ", car c'est déjà harmonisé ! Quand le ministre des Finances Raymond Bachand écrit dans son budget qu'il réclame 2,2 G$ à Ottawa parce que notre taxe est harmonisée, il a raison.
L.A. - Si la TVQ est harmonisée depuis 1992, quel est le problème aujourd'hui ?
N.St-P. - Le Québec a été la première province à harmoniser sa taxe, mais il n'a pas obtenu de compensation financière. En 1997, les provinces maritimes ont adopté la taxe unifiée et elles ont reçu de l'argent, ce qui avait fait sourciller Québec, mais sans plus. Si on reparle de ce dossier, c'est en raison de la crise économique : les besoins pour financer les programmes sociaux sont criants. Mais surtout, l'Ontario et la Colombie-Britannique ont été compensées en 2010 pour l'harmonisation, ce qui a peut-être fait déborder le vase.
L.A. - Comment fonctionne le système de taxe sur la valeur ajoutée ?
N.St-P. - La taxe sur la valeur ajoutée est un système né en Europe et pratiquement adopté par tous les pays industrialisés. Dans ce système, la taxe est payable à tous les stades d'une transaction commerciale. Mais les entreprises de la chaîne de distribution ont le droit de demander un crédit pour les taxes payées, d'obtenir un remboursement. Bref, chaque maillon de la chaîne est responsable de payer la taxe, d'en exiger le remboursement et de la facturer au client. Avant 1992, il y avait une cascade de taxes qui s'additionnaient à tous les maillons de la chaîne et qui faisaient grimper les prix de vente pour les consommateurs. La taxe sur la valeur ajoutée est un système plus transparent.
L.A. - Pourquoi Ottawa doit-il compenser les provinces ?
N.St-P. - C'est le fédéral qui voulait un système de taxation qui favorise l'efficacité des entreprises en diminuant les cascades de taxes. La taxe sur la valeur ajoutée aide les exportateurs, car il n'y a plus de taxes cachées dans les prix. Par contre, en enlevant les cascades de taxes, le gouvernement provincial a perdu une source de revenus importante, soit les taxes payées par toutes les entreprises dans la chaîne. Parce qu'elles avaient ce pouvoir de taxation, les provinces ont réclamé une compensation à Ottawa.
L.A. - Pourquoi Ottawa souhaite-t-il que le Québec adopte la TVH ?
N.St-P. - Depuis plus de 20 ans, le gouvernement fédéral croit que les taxes au détail sont inefficaces, qu'elles imposent un fardeau fiscal aux nouveaux investissements (cascade fiscale non apparente pour les consommateurs) et qu'elles rendent les entreprises moins concurrentielles. Toutefois, depuis l'introduction en 2010 de la taxe de vente harmonisée en Ontario et en Colombie-Britannique, avec son lot d'exceptions dont certaines sont calquées sur la TVQ, le désir du fédéral semble de plus en plus obscur et inexplicable, car la TVQ a déjà permis d'atteindre l'objectif d'efficacité recherché.
L.A. - Québec prétend que l'entrée en vigueur de la TVH en Ontario et en Colombie-Britannique a eu " des effets importants sur les contribuables ". Les consommateurs québécois doivent-ils craindre l'adoption d'une taxe unifiée ?
N.St-P. - On s'attend à ce que Québec laisse tomber le principe de la taxe sur la taxe, selon lequel la TVQ est calculée sur le prix majoré de la TPS. Ainsi, pour les consommateurs, au lieu d'avoir un taux effectif de taxation de 14,975 % en janvier 2012 - compte tenu de la hausse annoncée du taux de TVQ à 9,5 % - on obtiendrait un taux de 15 % (5 % de TPS et 10 % de TVQ). Il y aurait donc une très légère augmentation de taxation pour les consommateurs.
L.A. - Qu'est-ce que le gouvernement du Québec gagne à laisser tomber la taxe sur la taxe ?
N.St-P. - Cette modification permettra peut-être à Ottawa de justifier aux contribuables canadiens un paiement de 2,2 G$ au Québec...