L'annonce récente d'un programme d'assouplissement quantitatif de 1 140 milliards d'euros par la Banque centrale européenne (BCE) est une initiative majeure. C'est aussi la dernière mesure concrète qu'elle puisse prendre, mais celle-ci n'aura aucun impact sur l'économie, à moins qu'elle ne soit simultanément accompagnée d'un programme fiscal en Allemagne et de réformes structurelles en France et en Italie, selon Eric Bushell, directeur des placements de Signature Gestion mondiale d'actifs et gestionnaire principal du Fonds mondial de croissance et de revenu Signature, de Placements CI. Eric Bushell a été nommé gestionnaire de la décennie par Morningstar Canada en 2010.
«Une question pour les marchés est de savoir si les décideurs européens, qu'ils soient des dirigeants politiques ou des dirigeants de la BCE, peuvent conclure une entente qui assure plus de stabilité et fait gagner du temps au processus de guérison. Les signaux que je reçois indiquent qu'il y a beaucoup de méfiance, d'opposition, d'incoordination, de différences philosophiques et culturelles prévenant l'adoption d'une politique judicieuse et concertée. Pourtant, les attentes sont immenses pour que les décisions soient prises rondement, qu'elles soient coordonnées et qu'elles soient favorables au marché. Je crois que ces attentes sont détachées des mentalités en présence et de la fermeté avec laquelle les participants sont campés sur leurs positions», explique-t-il.
Cette initiative de la BCE est une autre preuve que plus de six ans après la crise financière de 2008, la direction des marchés dépend toujours des mesures des banques centrales. «Les banques centrales ont travaillé sans relâche pour éviter une implosion déflationniste, avec le chômage massif et les autres conséquences néfastes qui en résultent ; en cela, elles ont réussi. Malgré ces actions, le monde est encore fragile et nous évoluons dans un contexte de faible croissance. À l'avenir, les dirigeants adopteront de plus en plus de mesures extraordinaires, comme des taux d'intérêt négatifs, des taxes sur les liquidités et d'autres politiques de dernier recours, au fur et à mesure qu'ils seront à court d'options classiques», pense Eric Bushell.
Une dissension croissante
Toutefois, ce qui effraie M. Bushell est que l'on s'aperçoive qu'au fil du temps ces politiques exceptionnelles, comme l'assouplissement quantitatif, ne sont pas efficaces pour stimuler l'investissement et augmenter la consommation dans des économies dont la démographie est en déclin ou qui sont politiquement instables. «Il y a une dissension croissante au sein des élites à la Banque du Japon et à la Banque centrale européenne quant au bien-fondé d'aller de l'avant avec ces politiques. Et voilà que Mervin King, l'ancien gouverneur de la Banque d'Angleterre, et Alan Greenspan, l'ancien président de la Réserve fédérale (Fed), prononcent des discours partout dans le monde dans lesquels ils affirment que ces politiques sont inefficaces. Ce sont des commentateurs de grande envergure», rappelle-t-il.
Eric Bushell estime que nous sommes donc encore dans un cycle où les risques déflationnistes émergeront de temps à autre. Dans un tel cas, les investisseurs seront moins disposés à acheter des actions et se réfugieront dans les obligations. Lorsque la volatilité baissera et que des mesures seront avancées par les banques centrales, les investisseurs recommenceront à acheter des actions.
«Nous restons dans un environnement de faible croissance et d'endettement élevé, un cocktail d'instabilité qui ne se mélange pas bien du tout avec des taux d'intérêt élevés. C'est pourquoi nous pensons qu'il est improbable que les taux augmentent beaucoup et rapidement. Bienvenue au monde du ZIRP (zero interest rate policy), et profitez de votre séjour, qui risque d'être long. Car, de façon générale, la politique monétaire entre dans une phase où elle est quasi impuissante : elle ne se définit plus par des taux "plus bas pour plus longtemps", mais par des taux "plus bas à jamais", selon le pays observé», ironise Eric Bushell.
En conséquence, les distorsions financières s'amplifieront, comme c'est arrivé dans le passé. Eric Bushell rappelle que les bas taux pratiqués en Allemagne sont responsables de la bulle immobilière espagnole. Aux États-Unis, les bas taux ont poussé les investisseurs à chercher de meilleurs rendements dans les prêts hypothécaires à risque (subprimes).
«La Réserve fédérale comprend ce phénomène et s'outille pour essayer de résister à la montée naturelle du risque financier associé à un environnement de taux bas. Une sorte de "police du levier financier", intervenant dans les divers marchés, comme les hypothèques, les obligations à rendement élevé ou les prêts à effet de levier, afin de prévenir l'accumulation de risques importants, qui se produit naturellement dans le monde du ZIRP. En d'autres termes, la Fed a peur de créer une autre bombe de dettes en tentant de protéger le monde de celle qui a explosé en 2008», résume-t-il.
En ce qui a trait à l'économie mondiale, Eric Bushell juge que la question pour 2015 est de savoir si l'économie américaine peut continuer de se renforcer, alors que la plupart des autres régions ralentissent. L'impact de la chute de 50 % du prix du pétrole sur l'économie américaine deviendra plus manifeste au cours de l'année, alors que les avantages pour les consommateurs et l'industrie se mesureront contre les pertes d'emploi et la baisse de production dans le secteur de l'énergie.
Une posture défensive
Eu égard au ralentissement ailleurs dans le monde, Eric Bushell adopte une posture qu'il qualifie de défensive, favorisant les titres plus liquides. Ainsi, à la fin de septembre dernier, il a ramené la pondération en actions du fonds de 70 % à 60 %, sa pondération neutre, pour graduellement la faire passer à 50 % en décembre. Le produit s'est retrouvé principalement en encaisse, mais aussi en obligations gouvernementales. De sorte que l'encaisse était de 15 % au 31 décembre dernier. Les obligations à rendement élevé comptaient pour 14 %. Les obligations de première qualité (investment grade) correspondaient au reste, soit 21 %. Les actions américaines, européennes et asiatiques représentaient respectivement 20,4 %, 14,1 % et 6,6 % de l'actif du fonds au 31 décembre. Les actions canadiennes comptaient pour 0,5 %.
Yves Bourget a fait carrière dans l’industrie des valeurs mobilières pendant une vingtaine d’années, notamment à titre de vice-président pour le Québec de Placements Altamira, de 1990 à 1997. Il collabore depuis 2001 à la publication Finance et Investissement, notamment en matière de fonds communs.