BLOGUE. Cela fait des années qu’on entend le même discours : les baby-boomers s’apprêtent à partir à la retraite tous en même temps, les entreprises font alors avoir un besoin criant de main-d’œuvre qualifiée, si bien qu’il est inéluctable d’ouvrir davantage nos portes à l’immigration. Cela est en train de se produire, ce qui a d'ores et déjà suscité quelques réactions épidermiques chez nombre de Québécois : on se souvient des débats houleux sur les fameux «accommodements raisonnables»… Mais un point a été peu évoqué depuis, me semble-t-il, à savoir la meilleure manière d’accueillir un immigrant dans son équipe ou dans son entreprise. Pas vrai?
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Il y a deux manières d’aborder le sujet. Certains considèrent que la bonne façon de s’y prendre, c’est d’immerger totalement le nouveau venu dans l’équipe, car plus il sera en contact avec la nouvelle culture dans laquelle il doit vivre et moins il le sera avec son ancienne culture, plus son intégration sera aisée. Le choc risque d’être dur au départ, mais si l’immigrant est motivé, il aura à cœur de surmonter les difficultés et de découvrir tous les bienfaits liés à son nouvel environnement de travail.
D’autres, par contre, estiment que l’idéal est de préserver le plus possible l’identité de l’immigrant, et donc d’inciter plutôt les membres actuels de l’équipe à s’ouvrir à la différence, et à s’en enrichir. Le nouveau venu n’est ainsi pas trop brusqué, il lui est laissé le temps de s’adapter et de découvrir les bienfaits de travailler autrement, avec des personnes qui lui sont étrangères, mais le moins possible (voire presque pas du tout, si déjà des membres de l’équipe sont de la même origine ethnique que lui).
Qui a raison? Il est vital de le savoir, puisque votre équipe actuelle, à n’en pas douter, va être très bientôt confronté au problème, si ce n’est déjà fait. Eh bien, la réponse, je l’ai. Ou plutôt, je l’ai trouvée dans une étude intitulée Bend it like Beckham : ethnic identity and integration, signée par trois économistes et une statisticienne : Alberto Bisin, de la New York University (Etats-Unis); Eleonora Patacchini, de l’Università di Roma «La Sapienza» (Italie); Thierry Verdier, de l’École d’économie de Paris (France); et Yves Zenou, de la Stockholm University (Suède). Cette étude regarde en effet ce qu’il vaut mieux pour l’intégration d’un immigrant dans une société : vivre isolé au milieu des autres, ou bien confiné dans la petite communauté des siens.
Voici comment les quatre chercheurs s’y sont pris… Ils ont mis la main sur le Fourth National Survey of Ethnic Minorities, qui a été menée en Grande-Bretagne en 1994 pour récolter une foule de données sur les minorités ethniques, et en particulier celles issues des Caraïbes, d’Inde, du Pakistan, d’Afrique, du Bangladesh et de la Chine. Et ils ont regardé deux données, à savoir le lieu de résidence et le mariage, histoire de mesurer le degré d’intégration des individus dans la société britannique. Ils partaient du principe – valable sur le plan statistique – que quelqu’un qui vit en-dehors du quartier où réside la communauté des siens et qui est marié avec une personne d’origine britannique est plus intégré qu’un autre qui a épousé un des siens et qui habite au beau milieu du quartier occupé par sa communauté.
Puis, ils ont appliqué à ces données de complexes calculs économétriques pour évaluer l’impact de deux politiques d’intégration des immigrants différentes, soit une politique de distinction culturelle (immersion en douceur) et une autre de conformité culturelle (immersion rapide et totale). Les résultats sont on ne peut plus intéressants…
Le résultat principal? «Contrairement à ce qu’on croit en général, la politique de conformité culturelle, c’est-à-dire les mesures prises pour favoriser le brassage des ethnies et pour freiner le réflexe des communautés de se replier sur elles-mêmes, ne favorise pas nécessairement l’intégration des immigrants», indiquent les chercheurs. Pourquoi? Parce que lorsqu’on se retrouve tout d’un coup plongé dans un nouvel environnement, nous découvrons brusquement ce qui nous différencie des autres, expérience qu’on ne peut imaginer tant qu’on n’a pas immigré. On apprend alors à se connaître soi, ce qui revient à se replier sur soi-même. Il s’agit là d’un réflexe, de quelque chose qui ne se décide pas, mais se fait tout seul.
De manière inverse, l’intégration se déroule mieux lorsque l’immigrant maintient des contacts avec la communauté des siens, par exemple lorsqu’il vit dans un quartier où sa minorité ethnique est présente en grand nombre ou lorsque son conjoint vient du même pays que lui. Cela permet d’éviter tout choc qui braquerait l’immigrant plus qu’autre chose contre la société dans laquelle il cherche à refaire sa vie.
Quelles implications en management? Elles tiennent en un mot, à mon avis : respect. Les membres d’une équipe qui accueillent un nouveau venu, et à plus forte raison un immigrant, doivent absolument lui donner des marques de respect. Celui-ci doit se sentir le bienvenu, et ainsi avoir le sentiment qu’il peut apporter beaucoup aux autres en étant lui-même. Si jamais il se sentait «en trop», ou bien «trop différent» pour être accepté des autres, disons comme un cheveu dans la soupe, alors l’intégration va être lente à se faire, si jamais elle se fait…
Un conseil aux nouveaux immigrants, si je peux me permettre, tiré du Lys dans la vallée d’Honoré de Balzac : «Ne soyez ni confiant, ni banal, ni empressé, trois écueils! La trop grande confiance diminue le respect, la banalité nous vaut le mépris, le zèle nous rend excellents à exploiter»… Qu’en pensez-vous?
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