BLOGUE. De quoi dépend surtout le succès? D'un millier de facteurs, me direz-vous peut-être, et l'un d'eux ne compte pas vraiment plus que les autres a priori. Mais en êtes-vous si persuadé que ça?
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Et si le succès dépendait d'une poignée de facteurs seulement, et surtout de quelques-uns? Un exemple, comme ça : disons que le succès dépend beaucoup… des autres! Qu'en pensez-vous? Quant à moi, je songe à la communauté des scientifiques, dont les avancées découlent avant tout de l'échange de savoirs entre les uns et les autres. Un fait difficilement contestable, au regard du nombre impressionnant de sites Web où les scientifiques échangent gratuitement leurs white papers, c'est-à-dire leurs études, en se disant que le fait de donner aux autres le fruit de son travail est à moyen et long terme plus payant que l'autarcie.
Cet argument vous a-t-il convaincu? Je l'espère. Pourtant – et là, je vais me tirer une balle dans le pied devant vous –, ce n'est pas toujours vrai. En effet, il semble qu'il y ait une communauté de scientifiques que ne joue guère le jeu, celle des biologistes. Ceux-ci, moins que les autres, sont disposés à partager leurs trouvailles avec les autres.
C'est du moins ce qu'ont constaté deux d'entre eux, Vahan Simonyan, un bioinformaticien de la Food and Drug Administration (FDA) américaine, et Raja Mazumder, un professeur de biochimie et de biologie moléculaire de l'Université George-Washington (États-Unis). Les deux en ont parlé à Atin Basuchoudhary, un professeur d'économie de l'Institut militaire de Virginie (États-Unis), ce qui a déclenché leur envie de résoudre ensemble ce mystère.
Comment s'y sont-ils pris? Ils ont eu recours à ce qu'on appelle la théorie des jeux, qui consiste en une boîte à outils mathématiques permettant d'analyser des situations où une personne (ou un groupe de personnes) doit trouver une stratégie gagnante pour elle, ou à tout le moins la meilleure stratégie à suivre pour elle. L'objectif de cette théorie est de modéliser ces situations, d'identifier la stratégie optimale pour chacun des "joueurs", de prédire l'équilibre du jeu (c'est-à-dire la configuration où le jeu est nul, sans gagnant, ni perdant) et de trouver comment aboutir à la situation optimale pour chacun.
Ainsi, MM. Basuchoudhary, Simonyan et Mazumder ont concocté un modèle de calcul tenant compte d'un grand nombre de variables : la culture d'échange de savoirs des différents biologistes, leur degré d'innovation, leur degré de patience, leur degré d'ouverture à autrui, etc. Et une fois cela fait, ils ont rentré leur modèle de calcul dans un ordinateur et regardé ce qui se passait. Quelques surprises les attendaient…
Les trois chercheurs ont, de fait, découvert quatre choses passionnantes :
> La communauté des biologistes n'enregistre des progrès continus dans ses connaissances que si un certain nombre des biologistes sont des gens patients.
> Les laboratoires de biologistes (c'est-à-dire, pour le modèle de calcul, les groupes de biologistes qui travaillent en équipe dans un même laboratoire) qui prônent la patience, et donc brident l'impatience, dans le dévoilement de leurs white papers sont ceux qui contribuent le plus efficacement à la communauté des biologistes.
> Les laboratoires de biologistes "stables" – le nombre de membres demeure constant et les membres travaillent longtemps ensemble – sont ceux qui contribuent le plus à l'ensemble de la communauté.
> Moins les biologistes impatients se préoccupent du futur, plus les autres sont prompts à contribuer au progrès commun.
Bon. Tout ça peut paraître alambiqué au premier coup d'œil, mais je pense que ça va devenir plus clair en vous présentant ces trouvailles autrement. Grosso modo, les trois chercheurs ont mis au jour le fait que :
> Le facteur clé de la réussite d'une communauté de gens est la patience dont peuvent faire preuve ses membres. Plus chacun est patient, plus le succès global va croissant.
> Quel est l'atout de la patience? Les patients n'échangent leurs connaissances avec les autres qu'à partir du moment où leur savoir frais est véritablement mûr, ce qui facilite leur "consommation" par les autres. Inversement, ceux qui vont trop vite en partageant leur savoir frais encore vert déclenchent des difficultés d'"ingestion" chez les autres, ce qui freine globalement l'évolution de la communauté.
> L'idéal pour voir la patience croître au sein d'une équipe est que cette dernière soit stable, c'est-à-dire sans trop de mouvement de personnel au fil des mois et des années.
> Plus les impatients deviennent patients, plus ceux qui sont déjà patients se manifestent et contribuent à l'œuvre commune.
Voilà. La patience est indubitablement une vertu. Une vertu qu'il convient de cultiver au sein de votre équipe. Au plus vite!
C'est que la patience vous permettra de progresser d'un pas sûr, d'un pas que tout un chacun sera en mesure de suivre, d'un pas qui finira par faire l'admiration de tous ceux qui veulent toujours aller plus vite que la musique et se vautrent immanquablement au premier obstacle venu. Oui, elle vous donnera un pas de gagnant, pour ne pas dire de titan. C'est garanti.
En passant, l'écrivain auvergnat Jean Anglade a dit dans Le Temps et la paille : «Les meilleures choses ont besoin de patience».
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