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Facebook est-il un bon outil pour recruter?

Par Olivier Schmouker

Publié le 11/11/2013 à 06:09, mis à jour le 02/12/2013 à 14:52

BLOGUE. Ce n'est aujourd'hui un secret pour personne : les candidats à un poste ont la fâcheuse tendance d'embellir leur CV et se montrent de plus en plus habiles à se comporter comme on attend qu'ils se comportent en entretien. Du coup, les personnes chargées du recrutement ne savent plus trop quoi penser de tout ça. Et que font-elles? Elles se ruent sur la page Facebook des candidats les plus intéressants, histoire d'avoir l'heure juste à leur sujet.


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La question saute aux yeux : peut-on véritablement se fier à ce qu'on trouve sur la page Facebook d'une personne pour porter un jugement sur celle-ci? Certains diront «oui», d'autres «non». Bref, impossible à trancher, me direz-vous.


Et pourtant, la réponse à cette interrogation existe. Elle est même sans appel. Et elle devrait en surprendre plus d'un, je pense.


Je l'ai dénichée dans une étude intitulée Big Five personality traits reflected in job applicants' social media postings. Celle-ci est signée par deux professeurs de psychologie à l'Université d'État de la Caroline du Nord à Raleigh (États-Unis) – Lori Foster Thompson et Adam Meade –, assistés de leur étudiant William Stoughton.


Les trois chercheurs s'y sont pris le plus simplement du monde pour le savoir. Ils ont fait circuler auprès des étudiants de l'université l'information selon laquelle une entreprise cherchait à recruter certains d'entre eux pour travailler sur un projet de recherche. Il s'agissait, leur avaient-ils dit, d'un travail qui ne leur prendrait pas trop de temps, qui serait bien rémunéré et, bien entendu, qui leur procurerait une expérience professionnelle digne de mention dans un CV.


Sans surprise, 175 étudiants ont exprimé leur intérêt. Là, il leur a fallu remplir des formulaires de candidature détaillés (nom, adresse de courriel, niveau d'étude, etc.) et des questionnaires liés à leur vie virtuelle (heures habituellement passées chaque semaine sur le Web, médias sociaux utilisés, etc.). Mais surtout, ils ont dû répondre à de nombreuses questions visant à dresser leur Big Five.


Le Big Five (ou «modèle Océan», en français)? Ça correspond aux cinq traits de notre personnalité empiriquement mis en évidence par la recherche en psychologie. On peut les résumer comme suit :


> Ouverture à l'expérience : curiosité, imagination, originalité, etc.


> Contrôle : autodiscipline, sens de l'organisation, etc.


> Extraversion : altruisme, caractère fonceur, énergie, etc.


> Agréabilité : coopération, compassion, etc.


> Névrotisme : vulnérabilité, fragilité psychique, tendance à la dépression, etc.


Ainsi, il est possible de faire le tour de notre personnalité rien qu'avec ces cinq critères. Et ce, de manière assez précise (le Big Five fait autorité, de nos jours, en psychologie).


Enfin, les étudiants ont dû indiquer, au détour de différentes questions, s'il leur arrivait de dire du mal d'autrui via Facebook (ex.: à propos d'un prof ou d'un étudiant de l'université), et s'il leur arrivait aussi de publier des photos d'eux en train de faire la fête, et donc de prendre de l'alcool (voire de la drogue).


Pourquoi toutes ces questions? Tout bonnement pour voir s'il y avait des corrélations, ou pas, entre certains contenus de la page Facebook du candidat et certains de leurs traits de personnalité.


En effet, des études montrent que la plupart des recruteurs réagissent vivement – et négativement – aux posts sur Facebook où le candidat se met à dire du mal d'une personne qu'il connaît ainsi qu'à ceux où on le voit en train de prendre de l'alcool. Car ils se disent en leur for intérieur qu'un tel candidat risque de créer du désordre au sein de l'équipe en place. Oui, ils sautent vite à ce genre de conclusion, sans savoir si celle-ci est la bonne, ou pas.


Or, que dit l'étude? Ceci :


> L'alcool lié à l'Extraversion. Ceux qui s'affichent sur Facebook en prenant de l'alcool (ou de la drogue) sont ceux qui sont les plus extravertis. Cela signifie que le fait de mettre en ligne une photo de soi en train de fêter en grand n'est corrélé à aucun autre trait de personnalité que celui de l'Extraversion.


> La médisance inversement liée à l'Agréabilité. Ceux qui disent du mal d'autrui sur Facebook sont ceux qui ont une faible Agréabilité. Et c'est tout. Aucun autre trait de personnalité n'est corrélé à ce comportement.


Autrement dit :


> Une lourde erreur. La plupart des recruteurs se trompent lourdement en se fiant à ce qu'ils voient sur Facebook. Pourquoi? Parce qu'ils associent inconsciemment la prise d'alcool et la médisance à un faible Contrôle, alors qu'aucun de ces deux comportements ne lui est corrélé.


De fait, ils vont se dire, par exemple, que le candidat en question, qu'ils voient torse nu au bord d'une piscine, un soir de fête, en train de rire et de brandir une pinte de bière est quelqu'un qui manque sérieusement de Contrôle, c'est-à-dire d'autodiscipline et autre sens de l'organisation, alors qu'en vérité cela trahit juste une personnalité extravertie. Rien de plus.


Que retenir de tout cela? Deux choses :


> Pour les recruteurs. Ne sautez pas trop vite à une conclusion, en parcourant la page Facebook d'un candidat qui vous paraît intéressant.


> Pour les candidats. Faites attention à ce que vous mettez en ligne sur votre page Facebook, car vous courez dès lors le risque d'induire en erreur un futur recruteur (qui n'aurait pas lu ce billet de blogue).


En passant, William Shakespeare a dit dans Macbeth : «Pour tromper le monde, ressemblez au monde».


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