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Connaissez-vous l'effet cobra?

Par Olivier Schmouker

Publié le 25/10/2012 à 06:09, mis à jour le 25/10/2012 à 06:08

BLOGUE. Je suis, peut-être comme vous, un fan du site Web Freakonomics. Chaque article ou billet de blogue pétille d'intelligence et nous fait voir le monde dans lequel nous évoluons d'un œil neuf. C'est pourquoi je ne résiste pas au plaisir de partager avec vous, aujourd'hui, l'un de leurs derniers podcasts, qui traitait de l'effet cobra. En voici un résumé...


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Pour commencer, le journaliste Stephen Dubner, le coauteur des livres Freakonomics avec l'économiste Steve Levitt, est en communication avec Vikas Mehrotra, un professeur de finance à l'Université d'Alberta (Canada) qui se trouve à Bogota, en Colombie, à l'occasion d'un séminaire. Le professeur raconte avoir été surpris par un détail a priori insignifiant : le professeur colombien qui l'emmène chaque matin à l'université où se déroule le séminaire arrive à chaque fois avec une voiture différente.


Curieux, n'est-ce pas? Les professeurs roulent-ils sur l'or en Colombie? M. Mehrotra a voulu en avoir le cœur net, et a fini par poser la question qui le taraudait. La réponse l'a soufflé : le professeur avait deux voitures, et sa femme aussi. Quatre voitures pour un couple.


La raison? Le centre-ville de Bogota est si congestionné et pollué par les voitures que la Ville a mis en place une politique de restriction de la circulation : certains jours, seules les automobiles dont la plaque d'immatriculation finissant par 1, 2, 3, 4, 5 peuvent rouler; d'autres jours, seules celles se terminant par 6, 7, 8, 9, 0 le peuvent. Du coup, les gens ont eu le réflexe de s'acheter deux véhicules, afin de pouvoir circuler tous les jours de la semaine. Et bien souvent, la seconde voiture est un vieux modèle d'occasion, qui roule tant bien que mal, et qui pollue beaucoup plus qu'une voiture neuve.


Voilà un exemple lumineux d'effet cobra : en économie, il caractérise toute solution à un problème qui n'a pour effet que d'aggraver la situation, alors que l'intention de départ était bonne. Cet effet tire son nom d'une anecdote survenue lors de la colonisation de l'Inde par la Grande-Bretagne.


Ainsi, le gouverneur britannique de Delhi trouvait qu'il y avait trop de cobras dans les rues de la ville et a décidé d'éradiquer ce fléau. Et il a déclaré qu'une prime serait attribuée à toute personne lui apportant un cobra mort. Les cobras morts se sont mis à affluer, pour le plus grand contentement des Britanniques. Mais voilà, on en trouvait toujours autant dans les rues de Delhi. Comment expliquer ce mystère? Très simplement : les Indiens s'étaient mis à faire l'élevage de cobras.


Quand le gouverneur a réalisé cela, il a aussitôt arrêté d'offrir une prime pour les cobras morts. Et qu'ont alors fait les éleveurs de leurs serpents désormais dénués de toute valeur financière? Ils les ont relâché dans la nature, si bien que le fléau s'est aggravé.


Les anecdotes semblables sont nombreuses. L'une d'elles est survenue au début du 20e siècle, au Vietnam, lors de la colonisation, cette fois-ci, des Français. Ces derniers ont entrepris la refonte du plan d'urbanisme d'Hanoï, et ont mené à bien l'installation d'un vaste réseau d'égouts. Le hic? C'est que ces égouts modernes ont fait des heureux inattendus : les rats, qui pouvaient ainsi circuler tranquillement d'un point à l'autre de la ville, quand bon leur semblait.


Quand les Français qui habitaient les belles maisons des quartiers huppés d'Hanoï ont commencé à voir des rats un peu partout chez eux, comme sortis de nulle part, ils se sont inquiétés. Et quand une épidémie de peste a éclos, ils se sont mis à paniquer. Il a vite été décrété une prime pour toute queue de rat apportée aux autorités françaises.


Que s'est-il passé? D'après les travaux de Michael Vann, un professeur d'histoire de l'Université d'État de Sacramento (États-Unis), des centaines de queues ont été apportées durant la première semaine. Puis, le nombre s'est mis à grimper de manière phénoménale, pour culminer à – tenez-vous bien! – 20 000 par jour, quelques semaines plus tard. Oui, 20 000 queues de rats par jour, le record étant très exactement de 20 114 queues, le 12 juin 1902.


Le problème a-t-il été de la sorte résolu? Pas du tout. Le temps passait, et les rats semblaient tout aussi nombreux dans les égouts d'Hanoï. Détail curieux : des rats sans queue ont été aperçus, un jour, par des Français en périphérie de la ville. Une enquête a été lancée, menant à la découverte de fermes d'élevage de rats en banlieue, lesquels, une fois la queue coupée, étaient relâchés dans l'espoir de voir les animaux se multiplier le plus possible.


Une autre anecdote, découverte par l'équipe de Freakonomics, est survenue il y a peu de temps de cela. En 2007, au Fort Benning, chez nos voisins du Sud. Cette base militaire établie à proximité de la ville de Columbus (Géorgie) occupe une superficie grande comme deux fois Atlanta et est couverte de vastes zones de nature, qui servent aux entraînements des soldats. Sa particularité : la présence de cochons sauvages, de beaucoup de cochons sauvages, qui font des ravages dans les plantations et les jardinets des maisons.


Un programme de limitation de la population de cochons sauvages a été instauré, consistant en une prime de 40 dollars par queue de cochon rapportée. Chaque chasseur pouvait faire ce qu'il voulait des corps des bêtes, l'emmener avec lui pour sa consommation personnelle de viande ou les laisser sur place. L'idée, c'était que cela représenterait une occupation distrayante pour les soldats durant leurs journées de congé.


Une estimation préalable avait été faite par des chercheurs de l'Université Auburn : un millier de bêtes devait vivre au sein de la base militaire. Pourtant, après une année et demie de chasse, quelque 1 500 queues de cochons ont été apportées par les soldats. Et surtout, les cochons sauvages faisaient visiblement toujours autant de dégâts.


Vous l'avez deviné, l'explication résidait dans l'effet cobra : des petits malins se sont mis à faire le tour des éleveurs de porcs du coin pour leur acheter, 10 dollars pièce, la queue des cochons tués.


Bon, toutes ces histoires prêtent à sourire. Pourtant, elles témoignent d'un danger réel pour nos sociétés. Stephen Dubner a pris un exemple dans son émission de radio diffusée sur le Web : les marchés du carbone.


Il s'agit d'un outil de politique publique qui vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre dans l'atmosphère, des gaz responsables du réchauffement climatique de la planète. Le principe est simple : faire payer les pollueurs, soit les émetteurs de ces gaz en fonction de la gravité de leur nuisance.


Sur un marché du carbone, une entité publique, comme les Nations unies, fixe aux émetteurs de gaz à effet de serre un plafond d'émission plus bas que leur niveau d'émission actuel et leur distribue des quotas d'émission correspondant à ce plafond. Au bout d'un certain temps, les pollueurs doivent apporter la preuve qu'ils respectent le plafond imposé, sans quoi ils se doivent d'acheter les quotas qui leurs manquent à d'autres, ou se résoudre à payer une amende salée. Acheter à qui? Eh bien, à ceux qui, eux, ont émis moins de gaz que leur quantité allouée de quotas. L'unité d'échange est ainsi le quota, qui représente l'équivalent d'une tonne de dioxine de carbone (CO2).


Le hic, selon M. Dubner? Le cercle n'est pas si vertueux qu'il en a l'air, à l'image de ce qui se produit pour un gaz en particulier, le trifluorométhane, qui sert souvent de réfrigérant. Il faut savoir que le méthane possède 21 fois plus de propriétés d'effet de serre que le CO2, ce qui en fait une sorte de gaz "précieux" sur les marchés du carbone. Ce que n'ont pas manqué de remarquer les producteurs de trifluorométhane, qui se sont soudain mis à devenir de plus en plus nombreux sur la planète, leur objectif étant de marchander leurs quotas à ceux qui en avaient besoin. «On voulait réduire les émissions de gaz à effet de serre, et voilà que l'on assiste au contraire, avec l'apparition intéressée de plus en plus de pollueurs», a résumé le journaliste de Freakonomics.


Maintenant, que retenir de tout cela pour qui se pique de management et de leadership? C'est évident, il faut se méfier de l'effet cobra comme de la peste. Prenons un exemple : vous ouvrez un poste au sein de votre équipe, un poste intéressant et bien rémunéré, et fixez par conséquent des exigences élevées dans le profil des candidats. Autrement dit, vous voulez bien faire. Mais voilà, l'effet cobra voudra qu'il faudra vous attendre à voir quantité de CV "bidonnés" vous parvenir, en ce sens que certaines informations auront été "gonflées" pour satisfaire à vos demandes.


Idem, supposons que le PDG d'une grande entreprise fasse entrer en vigueur un programme de récompense pour ses équipes les plus performantes et fixe, par la même occasion, des cibles de ventes minimales – mais assez élevées tout de même – à atteindre par tous. Que croyez-vous qu'il se produira? Certains seront portés à tricher, à truquer leurs chiffres, surtout si chacun sent que la procédure de vérification sera, disons, "légère". Immanquablement. C'est l'effet cobra.


Je vous invite par conséquent à vous souvenir que :


> L'enfer est toujours pavé de bonnes intentions.


En passant, Henry de Montherlant a dit dans ses Carnets : «La naïveté est un élément trop capital du bonheur humain pour qu'on ne lui doive pas de l'indulgence».


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