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Comment vaincre les doutes des autres?

Par Olivier Schmouker

Publié le 03/04/2013 à 06:19, mis à jour le 08/04/2013 à 13:57

BLOGUE. Vous avez une idée géniale, ou un projet formidable, mais voilà, les autres ne vous prêtent jamais l'oreille attentive que vous désirez. Et votre beau rêve ne se concrétise pas, en dépit de vos efforts démesurés, faute d'appuis suffisants. Pourquoi? Oui, pourquoi ne parvenez-vous pas à vaincre les doutes des autres?


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La réponse est simple : parce que vous ne savez rien, ou presque, du doute. De ce qui fait qu'une personne ne croit pas à ce qu'on lui dit, même si on lui met sous le nez tous les arguments qui devraient logiquement la convaincre et lui faire changer d'idée. C'est ce que j'ai découvert dans une étude intitulée Are there really foxes: Where does the doubt emerge?, signée par Deborah Blackman, professeure de gestion des ressources humaines à l'Université de Canberra (Australie), assistée de son étudiante Amy Corcoran, et par Stephen Sarre, professeur de génétique des animaux sauvages à la même université.


Les trois chercheurs sont partis d'un constat particulier : malgré de nombreuses preuves scientifiques quant à l'arrivée récente de renards en Tasmanie – un animal jugé là-bas comme nuisible, car prédateur de différentes espèces rares, spécifiques à l'île – nombre de résidents refusent d'y croire, et dénoncent donc vivement les opérations d'éradication menées à l'égard du "fléau" à poils roux. L'opposition est si virulente que la lutte contre les renards est mise à mal, et pourrait être prochainement abandonnée. D'où l'intérêt de savoir comment on a pu en arriver à une telle situation.


En 1998, un renard a été aperçu en train de sortir précipitamment d'un traversier qui venait d'accoster en Tasmanie. L'alerte a aussitôt été donnée, mais en vain : on n'a pas pu lui mettre la main dessus. On aurait pu se dire que ce n'était pas trop grave, car tout seul de son espèce sur l'île, il ne représentait pas un grand danger pour l'équilibre de l'écosystème. Mais dans les années qui suivirent, les signalements de renards ont décuplé et des crottes – attribuées au renard par analyse de l'ADN – ont été retrouvées. Il y avait bel et bien péril en la demeure.


En 2001, une équipe d'experts a été mise sur pied, dénommée la Fox Free Tasmania Taskforce, pour évaluer le danger et proposer des solutions s'il fallait vraiment s'attaquer à celui-ci. Cinq années plus tard, un vaste programme d'éradication a été lancé dans des zones ciblées, qui consistait essentiellement à déployer dans la nature des boulettes de viande empoisonnées. Enfin, en 2009, un rapport a recommandé d'étendre le programme d'éradication à l'ensemble de l'île, sans aucune exception.


Le hic? La population s'est mise à gronder contre le programme gouvernemental, et ce, de plus en plus fort. Un exemple frappant : on trouve encore aujourd'hui des articles dans le Mercury, le principal quotidien de Tasmanie, sur des gens qui s'en plaignent ouvertement. «Tout ça, ce sont des balivernes. Ça fait des décennies que j'habite là et je n'ai jamais vu la moindre trace de renard», s'exclame Henry Daniels, un résidant d'East Ridon, non loin de la capitale Hobart, après avoir découvert un panneau prévenant de la distribution prochaine de pièges empoisonnés dans les environs, en fait là où il a l'habitude de promener son chien.


Mmes Blackman et Corcoran et M. Sarre ont, du coup, décidé de se plonger dans toutes les coupures de presse liées au programme d'éradication, histoire d'identifier toutes les critiques portées contre le celui-ci. Et dans un second temps, ils ont interrogé – toujours dans le même but – 42 personnes connaissant fort bien le programme, que ce soit pour le soutenir ou le critiquer.


Résultats? Les trois chercheurs ont identifié trois types de critiques :


> Exactitude. Ceux qui dénoncent le programme considèrent que les données scientifiques liées à la présence de renards en Tasmanie ne prouvent rien du tout, faute d'être incontestables. Grosso modo, comme aucune carcasse de renard empoisonné n'a encore été montrée au grand jour (il semble que les renards malades filent se réfugier dans leur terrier et y meurent), il manque la preuve ultime.


> Source. Ceux qui dénoncent le programme n'ont guère confiance dans le gouvernement et ses experts, estimant que les millions de dollars dépensés ne visent qu'à gaspiller les deniers publics, voire permettre à certains de s'en mettre plein les poches.


> Pertinence. Ceux qui dénoncent le programme pensent que distribuer des boulettes de viande empoisonnées n'est pas la bonne solution, vu que cela risque de surtout toucher les chiens. Ils déplorent le fait qu'il leur faut désormais mettre la laisse à leur compagnon en permanence, et même la muselière pour s'assurer qu'ils n'avalent pas une boulette laissée sur le bord d'un chemin.


Maintenant, que faudrait-il faire pour remédier au problème, c'est-à-dire pour contrecarrer les critiques des opposants au programme gouvernemental? Les trois chercheurs y ont réfléchi et suggèrent un plan en trois étapes :


1. Perception. Pour vaincre les doutes d'autrui, il faut commencer par changer la perception que celui-ci a de vous. Cela peut se faire aisément si l'on parvient à réunir trois conditions :


– Donner le sentiment que les experts sont compétents;


– Donner le sentiment que l'opération menée l'est pour le bien commun;


– Établir un lien de confiance entre les différentes parties prenantes.


2. Perturbation. Dans un deuxième temps, il faut provoquer un choc chez celui qui doute. Un choc tel qu'il se mettra à douter de ses propres doutes. Mais attention, pas n'importe quel choc, car cela risquerait d'aggraver la situation. En fait, il est nécessaire que ce choc permette de rétablir le dialogue entre les parties prenantes, un dialogue basé sur des idées neuves, seules en mesure de sortir celui qui doute de sa logique réductrice. Quel choc? Ça dépend des cas de figure, mais ça peut par exemple prendre la forme d'un changement de leadership à la tête du programme gouvernemental, l'arrivée d'une personne aimée de tous pouvant permettre de changer les discours des uns et des autres.


3. Collaboration. Enfin, il faut amener ceux qui doutent à s'impliquer activement dans le projet qu'ils décrient. Il convient d'aller plus loin que de simplement les écouter, il est crucial de les amener à collaborer, de leur faire comprendre qu'ils sont des rouages essentiels de la solution. Si cela est fait, alors le tour est joué.


Voilà. Votre équipe émet des doutes quant à votre nouvelle idée ou votre nouveau projet? Il vous suffit désormais d'appliquer la méthode de la chasse au renard en Tasmanie. C'est aussi bête que ça.


En passant, le philosophe français Alain a dit dans l'un de ses Propos : «Le doute est le sel de l'esprit».


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