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En mars de cette année, une entrevue effectuée par Morgan Housel attira particulièrement notre attention. M. Housel interrogea l'ancien chef de la direction de AIG, Hank Greenberg. Ce dernier affirma avoir beaucoup souffert de la déconfiture de la société, alors que ses actions avaient fondu drastiquement. Il déclara avoir perdu 90% de sa valeur nette.
Ouf! Nous devons en conclure qu'il avait conservé une part importante de ses avoirs dans les actions d'AIG, même s'il n'était plus à la tête de la compagnie. En effet, il s'est retiré en 2005, et céda sa place à Martin Sullivan.
M. Housel demanda à M. Greenberg si un investisseur aurait pu estimer les risques qu'AIG assumait, avec le recul? Il répliqua en ces termes : ''Non, je ne pense pas.'' ''Je ne suis pas sûr que leurs rapports annuels étaient complets.''
Il ne fait nul doute que les sociétés de finances présentent des défis importants lorsque vient le temps d'analyser leurs risques. Les différents contrats de produits dérivés souscrits ou acquis par la firme ne sont pas expliqués en détails. Aussi, dans bien des cas, il faudrait connaître la solidité financière de chaque contrepartie afin d'évaluer les chances d'être repayé pour les cas où ces produits aboutissent à un profit.
Par exemple, vous pourriez parier 100 000$ avec votre beau-frère que votre équipe d'hockey préférée gagnera les séries. Vous pourriez avoir raison, mais si votre beau-frère est sans le sou au moment de réclamer votre dû, votre joie se transformera vite en colère.
La situation s'aggravera davantage si vous aviez convenu de lui verser 10 000$ avant les séries. S'il s'avérait que vous aviez tort, il conservait simplement les 10 000$. Ainsi, votre beau-frère bénéficiait d'un montant d'argent immédiat, mais vous saviez que vous récupèreriez 10 fois cette somme si vous aviez raison. Toutefois, le cas échéant, vous auriez perdu 10 000$ s'il n'était pas capable de vous repayer un seul sou!
Allons encore plus loin, et imaginez que vous ayez emprunté les 10 000$ afin de les verser à votre beau-frère, puisque vous n'aviez pas d'argent. Au bout du compte, vous vous retrouveriez avec une dette, alors que vous aviez raison.
Quant à votre créancier, celui-ci ne sera pas remboursé, puisque vous n'aviez pas l'argent. Peut-être que ce créancier comptait sur cet argent pour effectuer lui-même un paiement important. Voilà pourquoi une cascade de problèmes financiers peut être créée simplement avec un événement qui tourne mal. Il suffit simplement qu'un ensemble de personnes prennent trop de risques, sans en être conscientes.
Est-ce que la direction d'AIG semblait consciente des risques en 2007, avant l'arrivée imminente du coup fatidique? L'investisseur aurait-il pu sentir un semblant de nervosité dans sa lettre aux actionnaires?
Voici quelques passages intéressants. Dans cette lettre de 2007 d'AIG, on pouvait lire :
''Nous sommes confiants d'avoir la bonne stratégie et les ressources pour réussir. La solidité financière d'AIG est formidable à tout point de vue.''
En gros caractères mis en évidence, nous lisons :
''Générer un rendement constant pour nos actionnaires ne s'avère point suffisant ; nous voulons vous offrir des rendements supérieur et faire en sorte que vous soyez fiers d'avoir investi dans AIG.''
Avec de tels messages de confiance, comment douter du risque qui était présent? C'est probablement le genre de conclusion à laquelle parviennent bien des investisseurs, et certains hauts dirigeants comme Hank Greenberg. De toute évidence, la lettre aux actionnaires nous permet de déceler des indices, mais en aucun moment celle-ci doit être considérée comme étant un compte rendu objectif des perspectives et de la solidité financière de la société!
M. Greenberg affirma indirectement que le rapport annuel ne permettait pas de prévoir les risques importants auxquels faisait face la société. Qu'en est-il?
Nous retenons deux éléments importants nous permettant de faire naître en nous un ''doute raisonnable''. Il s'agit de l'effet levier et de la complexité des états financiers.
Un simple coup d'oeil à ces derniers nous révèle un message important. Tout d'abord, la marge de manoeuvre de la compagnie s'avérait bien mince. Nous aimons comparer le portefeuille d'investissement par rapport à l'équité, afin de connaître le degré d'effet levier utilisé.
Au 31 décembre 2007, ce ratio atteignait 10. Le portefeuille d'investissement comprend tout ce qui génère des revenus. Dans le cas d'AIG, les actifs de transport aérien servant à la location y étaient présents, ce qui gonfla quelque peu le ratio. Toutefois, nous jugeons que ce genre d'actif s'avère risqué. Il n'est pas étonnant que les compagnies aériennes soient régulièrement affligées financièrement. Certes, elles oeuvrent dans un domaine cyclique, mais tout comme dans bien des domaines où on doit effectuer de gros débours pour croître les opérations, ces compagnies empruntent beaucoup pour acquérir des nouveaux appareils. Ces emprunts les rendent vulnérables au moindre revirement négatif.
Le ratio de levier d'AIG atteignait donc 10, mais il n'était que de 7,5 quelques années plus tôt. Aujourd'hui, il s'élève à 4,6.
Un autre indice aurait dû semer des doutes : la complexité du bilan. Au 31 décembre 2007, on y retrouvait 28 postes différents du côté des actifs, contre 17 aujourd'hui. Or, on pourrait penser que la société jouissait d'une belle diversification. Nous voyons les choses autrement : elle révèle plutôt la complexité des opérations, ce qui augmente les risques globaux.
Étant donné l'environnement macroéconomique dans lequel étaient plongés les États-Unis à l'époque, il fallait faire preuve de prudence. Autrement dit, en tant qu'investisseur, on devait exiger un ratio de levier ''plus bas'' qu'en temps normal. Or, celui-ci affichait des niveaux record.
Jamais un rapport annuel n'indiquera noir sur blanc que la société prend trop de risques. Dans le cas des financières, la tâche présente de bons défis, car on peut difficilement analyser les ententes de contrats émis entre la société et ses contreparties. On doit donc user de son jugement, et tenter de déceler tout indice afin d'obtenir un doute raisonnable. Dans le cas d'AIG, nous sommes convaincus qu'il existait assez d'éléments pour exprimer ce doute.
Au sujet des auteurs du blogue : Patrick Thénière et Rémy Morel sont propriétaires de Barrage investissement privé, une firme montréalaise de gestion d'actifs. www.barragecapital.com