BLOGUE. Je ne suis pas un spécialiste de la finance. Je l’ai déjà démontré à plus d’une reprise, cette science m’échappe. Mes compétences et mes intérêts touchent le marketing, la consommation et le commerce de détail. C’est donc à partir de cet angle que j’aimerais vous parler du « départ » de Robert Dutton qui, jusqu’à la semaine dernière, assurait la présidence et la direction générale de RONA.
Au cours des vingt dernières années, j’ai eu le plaisir de travailler à quelques reprises avec lui. Aussi, j’aimerais partager avec vous une petite anecdote. Cela restera entre nous. Au tout début de son mandat comme PDG du groupe, M. Dutton m’avait demandé de faire une présentation lors d’une assemblée de marchands affiliés au groupe. À cette époque, le réseau se limitait pour l’essentiel au Québec. Ma conférence devait porter sur les défis du commerce de détail qui, à cette époque comme aujourd’hui, étaient particulièrement nombreux. Quelques minutes avant ma conférence, Robert Dutton vint me voir pour me dire « regarde bien dans la salle, chaque marchand est important mais ce matin j’aimerais que ton message s’adresse en particulier aux plus jeunes, à la relève, parce que c’est sur eux que repose le futur du groupe ». Je sentais bien que derrière ce message se profilait un amour manifeste pour RONA et ses marchands mais surtout une fierté et une ambition à peine contenues. De toute évidence, ce jeune PDG s’apprêtait à faire passer RONA du statut de groupe régional à celui d’un des géants canadiens du commerce de détail. Dans les vingt années qui ont suivi, les ventes du groupe sont passées de 450 millions par année à près de 5 milliards de dollars, soit un multiple de 10. En moyenne, 50% par année! Quant au nombre de magasins, il est passé de 500 à plus de 800. Fusions, acquisitions, développements de nouvelles enseignes, développement de nouveaux marchés et implantation pionnière du commerce électronique, tel fut le quotidien de ce groupe de 1992 à 2012.
Je connais très peu de détaillants qui, dans l’histoire du Québec, aient accompli un tel exploit, notamment par une implantation pan Canadienne. Comme si un tel exploit n’était pas suffisant il faut mentionner que cette croissance fut atteinte de concert avec un réseau en grande partie composé d’affiliés et de franchisés. Autrement dit avec l’immense plaisir de présider, à l’occasion, aux destinés d’un village Gaulois.
Or si l’on compare les états financiers du groupe Rona à ses deux principaux concurrents, on constatera que, jusqu’à la fin de la dernière année, les marges brutes tournaient autour de 30% alors que les marges nettes se situaient à plus de 5,5%. Pas de quoi rougir bien au contraire. Par contre, il faut le dire, les résultats, depuis quelques trimestres, étaient décevants. Et puis, coïncidence, il y a eu cette offre non sollicitée de Lowe’s. Offre qui a été refusée. Conséquence, le titre a chuté et un coupable devait être trouvé!
C’est là où je vais faire étalage de toute mon ignorance du monde complexe de la finance. Une fois le départ de M. Dutton annoncé, le titre est reparti en hausse gagnant en quelques jours près de 20% et ce sans que les ventes, les marges brutes, les marges nettes, le BAIIA ou tout autre indicateur de la performance réelle aient changés. Je sais, je sais, la finance se base sur les attentes et non sur les résultats. Mais qu’attends t’on au juste? Et qui attend quoi? Je laisse la réponse aux experts de la finance. Déjà certains actionnaires importants du groupe semblent nous souffler la réponse.
Pour ma part, l’esprit simple que je suis demeure impressionné d’avoir connu, de mon vivant, une entreprise de chez nous qui ait su s’implanter dans tout le Canada et ce en multipliant par 10 son volume de vente tout en maintenant des marges bénéficiaires comparables à celles de l’industrie.
Puisque ni Rolland et ni Napoléon ne sont parmi nous pour vous le faire, permettez-moi, monsieur Dutton, de vous dire merci. Vous avez été et vous continuerez d’être une source d’inspiration pour beaucoup d’entre nous.
Jacques Nantel est professeur titulaire de marketing à HEC Montréal. Il y enseigne depuis plus de 30 ans. Il y a également occupé les fonctions de Directeur des programmes et de Secrétaire Général en plus d’y avoir fondé la Chaire de Marketing Électronique RBC Groupe financier et d’y avoir dirigé la Chaire de commerce de détail Omer DeSerres. Il a publié plus centaine d’articles scientifiques en plus d’intervenir fréquemment dans les média au Québec, dans le reste du Canada ainsi qu’en Europe.
Il est membre ou a été membre de plusieurs conseils d'administration d’entreprises et d’organismes dont : Le Groupe Germain, Centraide du grand Montéréal, Totalmédia, Groupe Vidéotron, PLB International, Groupe Renaud-Bray, Pierre Belvédère Inc. ProMusica et l’OACIQ.