Ça y est, les entreprises du Québec viennent d'acheter leurs premiers droits d'émission de CO2. La province atteindra-t-elle sa cible en 2020 ? Et peut-il être intéressant pour un investisseur de parier sur celle-ci ?
Depuis janvier 2013, les grands émetteurs sont sujets à la nouvelle réglementation qui vise à réduire l'émission de carbone dans l'atmosphère. Des entreprises comme Alcoa, Rio Tinto et ArcelorMittal participaient le 3 décembre au premier encan pour obtenir des droits d'émission. La mise minimale était à 10,75 $ la tonne. Au moment de mettre sous presse, nous n'avions pas encore le prix de la tonne déterminé par l'encan, mais la plupart des observateurs s'attendaient à ce qu'il ne soit pas loin du prix minimal.
D'ici 2020, ces grands émetteurs devront chaque année acheter des unités pour couvrir leurs émissions polluantes, mais le nombre d'unités offertes par le gouvernement ira sans cesse en diminuant. Le but est d'essayer de faire grimper les prix de manière à forcer les investissements qui réduisent les émissions.
À partir de 2015, les importateurs et distributeurs de carburants et combustibles comme Gaz Metro deviendront à leur tour assujettis à la réglementation.
Les initiés croient que c'est à ce moment qu'on s'attaquera aux automobilistes. Il serait en effet étonnant que les distributeurs de carburant absorbent les coûts liés aux droits d'émission à même leurs bénéfices. Ils refileront sans aucun doute la facture aux consommateurs.
Mauvaise nouvelle potentielle pour le consommateur, bonne nouvelle éventuelle pour le spéculateur et les verts. Si le consommateur et l'automobiliste paient cher, ce sera en effet parce que les droits d'émission du distributeur coûteront cher. Ce qui veut dire que celui qui aura acheté un droit aujourd'hui pourrait faire de l'argent à ce moment.
Devrait-on se positionner tout de suite en achetant des droits d'émission à la Bourse de l'IntercontinentalExchange (ICE) ? C'est là que se négocient les droits d'émission de la Californie. Ceux du Québec y seront éventuellement liés, de façon interchangeable et sans distinction de prix.
À première vue, ça semble tentant
À première vue, ça semble tentant
Le premier réflexe est de dire oui. La probabilité semble forte que les prix des droits montent au Québec.
La cible québécoise à atteindre pour 2020 est fort audacieuse. Il s'agit d'abaisser les émissions de 20 % par rapport à 1990 (sensiblement au même niveau aujourd'hui).
Dans une récente conférence sur le CO2, organisée par les Événements Les Affaires, le professeur Pierre-Olivier Pineau, de HEC Montréal, y allait de calculs intéressants.
Selon un de ses scénarios, pour obtenir une réduction des émissions de 20 % en transport, le prix de l'essence devrait grimper d'au moins 0,35 $ le litre sur l'horizon 2020. Cette hausse apparaît à première vue presque incontournable, puisque le secteur du transport représente 43 % des émissions.
Ce qui est surtout intéressant dans ce scénario, c'est qu'une hausse de 0,35 $ le litre voudrait en fait dire que le droit d'émission se négocierait à environ 148 $ la tonne sur le marché. On voit tout de suite le rendement pour un investisseur : de 11 $ US à 12 $ US la tonne, prix auquel se négocient actuellement les unités californiennes, à 148 $ la tonne.
Mieux vaut ne pas s'y laisser prendre
Tentant, n'est-ce pas ?
Il y a cependant un hic. Qui se trouve justement dans l'appariement du marché du Québec et de celui de la Californie. Le Québec vise à diminuer ses émissions de 15 millions de tonnes (Mt) sur un total de 82,5 Mt. Pendant ce temps, la Californie vise à les réduire de 449 Mt à 427 Mt. C'est dire que, pendant que le Québec s'efforce de réduire ses émissions de 20 %, les Californiens n'y vont que d'un effort de 5 %.
Le marché californien étant cinq fois plus important que celui du Québec, il y a un grand risque que l'effort du Québec ne soit complètement dilué dans celui de la Californie. Autrement dit, si l'objectif de la Californie est trop facilement atteignable, les prix des droits ne monteront pas là-bas. Et s'ils ne montent pas là-bas, ils ne monteront pas ici non plus, car c'est le même marché.
Qu'arrivera-t-il en Californie d'ici 2020 ?
Une récente analyse de la firme Point Carbon estime que les émissions de carbone resteront sous le plafond fixé au moins jusqu'en 2017 et que le marché demeurera en surplus de droits au moins jusqu'en 2020. À ce moment, le prix de la tonne de carbone devrait se négocier à 15 $ US.
Si tel est le cas, le Québec ratera assurément sa cible de réduction par une marge considérable (les automobilistes continuant de consommer et les entreprises investissant moins). L'acheteur d'un crédit, lui, aura fait peu d'argent, compte tenu du nombre d'années et de tous les risques associés. Rien ne garantit en outre que le marché se poursuivra au-delà de 2020. Autrement dit, l'argent ne tombera pas du ciel.