Qui aurait dit que les obligations procureraient un rendement de cinq fois fois supérieur au S&P 500 américain, au début de 2014.
Personne, répond l’équipe de Bespoke Investment Group.
Au contraire, l’accélération prévue de l’économie américaine, la perspective d’une croissance mondiale mieux synchronisée et le retrait des liquidités par la Fed laissaient croire que les taux américains repères de 10 ans grimperaient à 3,38 %, à la fin de 2014.
C’était là le consensus au début de 2014.
Il reste encore sept mois à l’année, mais ce scénario s’envole en fumée avec un nouveau recul des taux américains de dix ans à 2,49 % jeudi matin, un plancher depuis six mois.
L’indice Bank of America Merrill des obligations américaines de 10 ans et plus a donc bondi de 10,9 % depuis le début de l’année, cinq fois plus que le rendement de 2,2 % du S&P 500 (au 14 mai) !
Si des faibles taux sont bons pour les emprunteurs, l’économie et la valeur des actifs financiers, il semble tout de même étrange que la Bourse et les obligations s’apprécient en même temps.
Si les actions s’apprécient de pair avec une accélération économique, les taux devraient remonter et non reculer, selon l’analyse classique. Or, le Dow Jones et le S&P 500 ont atteint de nouveaux sommets mardi.
Suspect numéro un : les caisses de retraite
Suspect numéro un : les caisses de retraite
Plusieurs économistes et stratèges ont été pris de court par la tournure des événements et cherchent une explication à ce mystère.
Celle qui revient le plus souvent est le fait que les caisses de retraite, les véritables poids lourds dans les marchés, rééquilibrent leurs portefeuilles, après les gains boursiers des dernières années et en particulier celui de 2013.
Les régimes de retraite encaissent des gains dans les actions et achètent des obligations à long terme pour retrouver leur répartition-cible.
« La hausse des actions les éloigne de leur cible. Les caisses veulent apparier l’échéance de leurs actifs avec celle de leurs engagements financiers envers leurs prestataires », explique Benoit Durocher, vice-président, directeur et chef de la stratégie économique chez Addenda Capital, en entrevue.
Aux États-Unis, les gains boursiers et la hausse des taux de 2013 ont fait en sorte d’éliminer les déficits actuariels de plusieurs caisses. Elles profitent donc de ce renflouement pour rééquilibrer « massivement » leur répartition d’actif afin d’allonger l’échéance de leurs actifs, indique aussi Kevin Ferry, fondateur de Cronus Futures.
Avec leurs 16 000 milliards de dollars américains d’actifs, les caisses ont beaucoup d’influence sur les marchés.
« Une fois que son déficit actuariel est éliminé, la caisse de retraite ne veut plus prendre le risque de revivre quelque chose comme 2008. Donc, elle achète des obligations de la même échéance que son passif actuariel, soit les prestations futures des employés. On appelle cela l'immunisation. On abandonne l'idée de générer des surplus pour ne plus jamais courir le risque de connaître des déficits comme ceux de l’après-crise de 2008 », explique Martin Roberge, stratège quantitatif de Canaccord Genuity, en entrevue.
Paradoxalement, plus la Bourse ramènera les caisses en surplus, plus elles vont acheter des obligations pour s’immuniser, ajoute-t-il.
« La Fed l’a compris. Puisque les caisses achètent, la Fed peut se permettre de réduire ses propres rachats d’obligations, sans trop craindre de montée des taux ».
L'optimisme baisse d'un cran
L'optimisme baisse d'un cran
Ce n’est pas la seule explication bien sûr. L’optimisme envers l’accélération économique et la croissance synchronisée se modère aussi.
Le nombre de pays de l’OCDE dont les indicateurs avancés s’améliorent recule depuis quatre mois, note aussi M. Roberge. En mars, seulement 58 % des membres de l'OCDE affichaient une hausse de leurs indicateurs avancés. Ces indicateurs devancent habituellement l'économie de six mois.
Le conflit ukrainien envoie évidemment les investisseurs les plus craintifs dans le refuge des obligations.
Les investisseurs écoutent aussi les banques centrales. Janet Yellen, de la Fed, juge que l’économie américaine a encore besoin de taux faibles pour stimuler l’emploi et l’habitation.
La Banque centrale européenne, avec l’assentiment de l’Allemagne, a prévenu qu’elle pourrait baisser ses taux ou racheter des titres au début de juin pour combattre la désinflation en Europe.
La baisse des taux en Europe rend aussi le rendement qu’offrent les obligations américaines plus intéressantes qu’avant.
Les fonds de couverture et les investisseurs actifs, amplifient aussi les fluctuations à court terme. Ces investisseurs avaient misé sur une remontée des taux, en vendant des obligations à découvert. Pour éviter d’autres pertes, ils rachètent des obligations en catastrophe, ce qui fait monter leurs cours et descendre leur rendement à l’échéance.
Les experts en devises de Bank of America Merrill Lynch, croient aussi que la Chine achète des obligations américaines pour déprécier le yuan.
Réalignement typique
M. Durocher ne voit rien de menaçant dans le récent recul des taux à long terme. Le marché des obligations n’envoie pas le signal que l’économie se détériore.
Il y voit plutôt l’un des nombreux réalignements conjoncturels du marché auquel on assiste si souvent.
« Les investisseurs revoient leurs attentes, mais ne remettent pas en question la tendance de l’économie ou des taux », fait valoir l’économiste.
L’été dernier, les taux avaient grimpé trop rapidement après que la Fed ait laissé entendre qu’elle songeait à réduire ses rachats d’obligations.
« À court terme, ce genre de mouvement semble spectaculaire, mais lorsqu’on le répartit sur une plus longue période, il n’apparaît plus du tout hors norme », ajoute M. Durocher.
Chez Addenda, on prévoit que l’économie continuera de s’améliorer et que les taux à long terme continueront leur remontée, et ce, lentement.