Le Québec compte sur une belle brochette d'entreprises performantes et sur d'autres, émergentes. Il arrive toutefois des périodes en Bourse où les investisseurs s'entichent un peu trop de tels titres, ce qui les amène à pousser leurs évaluations à des niveaux qui rendent de futurs gains plus difficiles à obtenir. Tout cela peut exercer une pression indue sur les entreprises et leurs dirigeants.
Le prolongement de faibles taux d'intérêt et l'espoir d'une réaccélération économique ont attisé la spéculation et la chasse aux rendements.
Combien de fois lit-on dans les rapports d'analystes que tel ou tel titre est encore attrayant par rapport à des entreprises comparables, sans un seul mot sur l'évaluation parfois soufflée de ces équivalents.
Résultat : nombre de secteurs et de titres se négocient à des multiples farfelus, bien qu'on soit encore très loin de la frénésie de 2000 ou de l'excès d'optimisme de 2007.
La chute récente d'environ 20 % de plusieurs titres américains des médias sociaux, de la biotechnologie et de sociétés à faible capitalisation dénote que les investisseurs commencent à reconnaître que les évaluations sont excessives ou, tout au moins, qu'elles constituent un obstacle à d'autres gains.
Plus près de nous, le premier appel public à l'épargne de Lumenpulse (Tor., LMP, 18,35 $) met en lumière l'appétit des investisseurs institutionnels pour des entreprises à fort potentiel.
Les courtiers nous disent que la société de Griffintown aurait pu émettre un milliard de dollars d'actions au lieu des 115 millions de dollars récoltés.
Le fabricant de systèmes d'éclairage architectural DEL a terminé sa première séance en Bourse le 15 avril à un cours de 18,35 $, soit 14,6 % de plus que le prix de l'émission. Cela lui donne une valeur boursière de 472 M$, soit 8 fois les revenus des 12 derniers mois. C'est beaucoup pour une entreprise jusqu'ici non rentable et dont les perspectives reposent sur une croissance supérieure à sa propre industrie, elle-même dominée par des géants comme Philips.
Un gestionnaire de Toronto donne presque l'impression d'avoir acheté des actions de Lumenpulse à reculons, pour meubler ses portefeuilles de titres à faible capitalisation, lorsque nous lui avons parlé au téléphone. «L'entreprise doit presque doubler ses revenus chaque année pour mériter l'évaluation avec laquelle elle entre en Bourse. Les attentes seront très élevées dès le départ», a-t-il confié sous le couvert de l'anonymat.
Un danger latent
Et c'est là le danger de la trop grande popularité en Bourse et de l'appât du gain des pros du placement. La marche à gravir est haute pour les entreprises qui doivent sans cesse répondre aux attentes élevées, de peur d'être punies en Bourse, au lieu de se concentrer entièrement sur leur stratégie.
Le constructeur de véhicules récréatifs BRP (Tor., DOO, 29,40 $) est aussi entré en Bourse en mai 2013 avec une évaluation élevée, de 10 fois son bénéfice d'exploitation.
Cela n'a pas empêché le titre de bondir de 35 % depuis, mais la moindre erreur de parcours ou tout signal de repli économique mondial risque de faire bien mal au titre de l'entreprise de Valcourt.
Lunetterie New Look (Tor., BCI, 20,45 $) a aussi grimpé très vite après avoir été découverte par les amateurs de titres à faible capitalisation en mal d'entreprises en croissance.
Son action a explosé de 121 % depuis juin 2013, traduisant les attentes élevées de ses nouveaux actionnaires qu'elle devra désormais satisfaire.
L'action de l'entreprise s'échange à un généreux multiple de 23,6 fois les bénéfices prévus en 2014.
Dollarama doit toujours plaire
Dollarama (Tor., DOL, 88,74 $) est aussi dans ce collimateur, après avoir explosé de 413 % depuis son entrée en Bourse, en 2009.
Le détaillant à bas prix est performant, même quand l'hiver est rude, mais il doit faire appel à des tactiques financières pour satisfaire les attentes, dont le rachat de 10 % de ses actions, à un moment où elles valent 21,5 fois les bénéfices de 4,18 $ prévus en 2015.
Le titre de Dollarama a d'ailleurs fléchi de 5,8 % depuis son record du 9 avril, après que la société eut prévenu que le recul du huard, la vive concurrence et la hausse du salaire minimum en Ontario feraient plafonner sa marge d'exploitation en 2015.
Pour établir son nouveau cours cible de 108 $, Patricia Baker, analyste de Banque Scotia, se projette déjà en 2016 et utilise un multiple de 21 fois.
Dollarama se dit disposée à racheter ses actions tant que le rendement que lui procurent ses bénéfices est supérieur à son coût d'emprunt. Vishal Shreedhar, analyste de la Financière Banque Nationale, s'attend donc à ce que la dette du détaillant passe de 2,5 à 3 fois son bénéfice d'exploitation, d'ici 2016.
Alimentation Couche-Tard et Stella-Jones sont deux autres exemples de sociétés québécoises à l'égard desquelles les attentes sont élevées.
Il serait bien plus sain pour leurs dirigeants et leurs actionnaires que ces entreprises puissent s'apprécier lentement en Bourse au fil de leurs réalisations, sans grand risque de tomber de leur piédestal.