Les sociétés de chemin de fer en Amérique du Nord vivent une impressionnante renaissance depuis maintenant plus de 10 ans. Et tout laisse croire que c'est loin d'être terminé.
Ce phénomène est d'abord visible en Bourse, les titres de ce secteur ayant généreusement enrichi leurs actionnaires. Le Canadien National (Tor., CNR, 61,23 $) a vu son titre passer de 20 $ en 2009 à un sommet récent de 63 $ ; le titre a pratiquement sextuplé depuis 2004.
Le titre du Canadien Pacifique (Tor., CP, 161 $) a quintuplé en cinq ans, entre autres en raison de l'arrivée d'un nouveau président, le vétéran de l'industrie Hunter Harrison, en juin 2012.
Union Pacific (NY, UNP, 185 $ US), chemin de fer actif dans 23 États américains, principalement dans l'Ouest, a vu son titre bondir, passant de 33 $ US en 2009 à 185 $ US récemment.
Le titre de Kansas City Southern (NY, KSU, 99,50 $ US), un transporteur ferroviaire desservant surtout le sud et le centre des États-Unis, a été multiplié par sept depuis le creux du marché baissier de 2009.
Rentabilité exceptionnelle
Cette performance éclatante en Bourse repose sur les réalisations de ces sociétés, qui réussissent toutes sans exception à propulser leur rentabilité à des niveaux inimaginables. Qui aurait pensé qu'un chemin de fer pouvait réaliser des marges bénéficiaires nettes de 24,4 % ?
C'est pourtant ce qu'a livré l'an dernier le CN à ses actionnaires, la meilleure performance du genre dans le domaine. Une tendance suivie par ses concurrents. Par exemple, Union Pacific a réalisé des marges nettes de 20 % l'an dernier, par rapport à 6,2 % en 2004.
CSX (NY, CSX, 28,35 $ US) et Norfolk Southern (NY, NSC, 95,75 $ US) ont les marges les plus faibles de leur secteur. Mais à environ 16 %, elles sèment l'envie d'à peu près n'importe quelle société industrielle.
«Après des décennies de baisses de prix, une renaissance a commencé vers 2004 lorsque la réglementation est devenue moins hostile et que les prix élevés du carburant ont permis aux chemins de fer de concurrencer le transport routier», explique la société de recherche indépendante Morningstar.
En fait, il y a eu une consolidation de l'industrie qui s'est structurée autour de sept principaux acteurs qui ne se livrent plus à des guerres de prix irrationnelles. On en comptait une quarantaine en 1980. En plus des six mentionnés, il y a Burlington Northern Santa Fe (BNSF), qui a été achetée en 2009 par le conglomérat dirigé par Warren Buffett, Berkshire Hathaway.
La technologie a aussi aidé. Elle a permis d'accroître significativement la compétitivité du chemin de fer. Par exemple, le train peut déplacer une tonne de marchandises sur 500 milles avec un seul gallon de carburant. Ce qui fait en sorte que plus le prix du diesel augmente, moins le transport par camion peut concurrencer le rail.
Les transporteurs jouissent tous d'un réseau pratiquement impossible à dupliquer, ce qui constitue une importante barrière à l'entrée.
Les chemins de fer profitent également du boom pétrolier américain, compensant les faiblesses de l'industrie du charbon. BNSF transporte maintenant 600 000 barils de pétrole par jour par rapport à 54 000 barils en 2010. «Nous nous dirigeons vers un million de barils par jour, a déclaré à Forbes Matt Rose, le président et chef de l'exploitation de BNSF. Je n'ai jamais vu une telle croissance dans ma carrière.»
Depuis 2009, les revenus du secteur ferroviaire ont augmenté de 19 %, passant de 67,7 milliards de dollars américains à 80,6 G$ US, ce qui a permis de créer 10 000 emplois directs. Selon la Federal Railroad Administration, l'industrie devrait livrer 22 % plus de marchandises d'ici 2035, sa meilleure performance en 50 ans.
Cette prospérité nourrit également une renaissance des investissements en R-D et en immobilisations afin de répondre à cette future demande. Les chemins de fer dépensent 20 G$ US par année en infrastructures, une somme entièrement financée par le secteur privé.
Industrie cyclique
Malgré ce contexte réjouissant, les investisseurs ne doivent pas oublier les défis propres à ce secteur. D'abord, le chemin de fer demeure sensible à la croissance économique. Par exemple, ses revenus ont fondu de 20 % en 2009 en raison de la récession.
De plus, les sociétés doivent améliorer la sécurité, comme l'illustre de façon dramatique le désastre du 6 juillet dernier à Lac-Mégantic. Ottawa et Washington imposeront des règlements plus sévères pour le transport de pétrole. L'industrie est d'accord.
Ce qui ouvre la porte à l'arrivée d'une nouvelle génération de locomotives plus performantes et plus sécuritaires, augmentant les avantages concurrentiels des chemins de fer par rapport au transport routier.
Par exemple, General Electric commercialise une nouvelle gamme de locomotives propulsées par le gaz naturel liquéfié et qui permettent d'économiser jusqu'à 50 % par rapport au diesel. BNSF et le CN testent des trains convertis pouvant rouler au gaz naturel. Si cette conversion donne les résultats escomptés, les experts prétendent que cela pourrait être la plus importante transformation de l'industrie du chemin de fer depuis le passage de la vapeur au diesel !