Il y a de plus en plus de célibataires, pour qui le coût de la vie dépasse souvent celui des couples. Résultat : moins de sécurité et le capital retraite fond plus vite ! Comment planifier quand on vit en solo ?
Par Antoine Palangié et Steve Proulx
En ce début de 21e siècle, vivre en solo devient la norme. Au pays, le nombre de ménages qui ne comptent qu'une seule personne est passé d'un maigre 4,5 % en 1951... à 30,7 % en 2006, selon Statistique Canada.
Si les veufs entrent aussi dans cette catégorie, on parle surtout de célibataires. Or, en moyenne, il en coûte plus cher de mener seul sa barque.
Pour se loger uniquement, une personne seule doit débourser annuellement 3 600 dollars de plus qu'une personne en couple (sans enfants), toujours selon Statistique Canada (2010).
Pour les familles monoparentales, c'est pire. Des célibataires avec un ou plusieurs enfants à charge, il y en a de plus en plus. Et la marmaille change tout dans le calcul des finances d'un ménage. C'est la vie à plusieurs, mais avec un seul revenu.
Comme Michel Lam Quang, un analyste-programmeur de 43 ans, séparé depuis huit ans et père de trois enfants de 10 à 14 ans. «J'ai les enfants une semaine sur deux, mais le cadre pour les recevoir est là en permanence. J'ai une voiture et un condo beaucoup plus grands et donc beaucoup plus chers que si je n'avais pas d'enfants, et je paie tout moi-même», raconte-t-il. «Et c'est la même chose pour leur mère : finalement, tout est en double !»
Bien sûr, les couples ont des dépenses que les célibataires n'ont pas. Ils paient plus d'impôt (700 $ de plus par personne, par an) et plus pour l'utilisation de l'auto (474 $). Sauf qu'à la fin de l'année, un célibataire sans enfant aura quand même dépensé 2 900 dollars de plus qu'une personne qui vit en couple.
De manière générale, un célibataire doit assumer seul de 75 à 80 % de ce que dépense un couple, selon la planificatrice financière Nathalie Bachand, du cabinet Bachand Lafleur Preston, groupe conseil. «Les coûts sont toujours plus élevés pour les personnes qui vivent seules», dit-elle.
Il y a bien tous ces comptes qu'on ne peut pas partager. Mais l'offre des magasins n'est manifestement pas destinée aux célibataires. Prenez seulement les rabais chez Costco. Qui en profite ? Les familles. L'épicerie est un casse-tête pour les gens seuls. Tout ce que l'industrie alimentaire a trouvé pour leur faciliter la vie, ce sont les plats préparés congelés trop salés et trop chers. En fait, seule l'industrie de l'habitation semble avoir saisi le phénomène, et érige des complexes de copropriétés adaptés pour la vie en solo.
Qui plus est, nos politiques natalistes font que les couples restent les chouchous de l'État. «La fiscalité est globalement défavorable aux célibataires pendant la vie active et encore davantage à la retraite, explique Kathleen Wolfe, planificatrice financière pour RBC Banque Royale. Quand vous êtes mariés ou conjoints de fait, vous pouvez obtenir des crédits d'impôt pour le conjoint à charge. Et grâce à la nouvelle législation en vigueur depuis quatre ans, les couples peuvent partager leurs revenus de retraite de manière à réduire l'impôt à payer.»
Dans un tel contexte, y a-t-il moyen de gérer ses finances en solo ? Les célibataires peuvent-ils espérer le même revenu à la retraite que les couples ? Y a-t-il des précautions financières à prendre quand on mène sa barque seul ?
Besoin de sécurité
Pour Nathalie Bachand, aucun doute, les célibataires doivent appliquer les préceptes des finances personnelles avec une rigueur redoublée. «Cela dépend toujours de la situation de chacun, dit-elle, mais de manière générale, le besoin d'épargne est plus grand pour les personnes seules», dit-elle.
En cas de perte d'emploi ou d'accident, celles-ci ne peuvent compter sur un conjoint pour les soutenir à moyen terme, payer les factures et rembourser l'hypothèque. Le fond d'urgence prend une tout autre importance pour les célibataires. On recommande en général l'équivalent de trois à six mois de dépenses. La personne seule devrait viser le haut de la fourchette.
L'assurance invalidité devient incontournable. «Quand nous avons affaire à un célibataire, nous insistons davantage sur les produits d'assurance, dit Kathleen Wolfe. Une invalidité dure en moyenne trois ans pendant la quarantaine. Cela peut grever une bonne partie d'un fonds de retraite.»
Fabien Major, conseiller et gestionnaire de portefeuille, rappelle que mieux on est couvert en assurance de personnes (invalidité, maladies graves, vie), moins le fonds d'urgence est important. «S'il y a un délai de carence à l'assurance invalidité, il faut au minimum les fonds pour tenir entre le début de l'invalidité et le versement des premières indemnités», précise-t-il. Cette attente peut durer jusqu'à 90 jours. Il est important de connaître les détails de sa police d'assurance.
Un comptable célibataire de 45 ans, non fumeur et qui gagne 75 000 dollars par an pourrait souscrire une assurance invalidité à un coût qui varie de 100 à 250 dollars par mois environ, selon l'étendue de la couverture. «En cas d'accident ou de maladie, il recevra une prestation non imposable mensuelle qui pourrait aller jusqu'à 4 850 dollars par mois», explique Éric Bernier Meunier, planificateur financier chez Votre Coach Financier.
Un célibataire devrait toujours privilégier l'assurance invalidité par rapport à l'assurance vie. «Un célibataire qui n'a pas de personnes à charge (enfants, parents, etc.) n'a pas vraiment besoin d'assurance vie», soutient Éric Bernier Meunier. Si son actif n'est pas suffisant (REER, maison), il pourra souscrire une assurance vie minimale de 20 000 à 25 000 dollars qui permettra de payer ses funérailles.
«Par contre, ajoute le planificateur financier, un jeune célibataire qui prévoit fonder un jour une famille pourra prendre une assurance vie plus importante à un coût raisonnable, payable en 20 ans, étant donné que l'assurance est contractée à un plus jeune âge.»
Et la retraite, alors
On ne peut pas présumer de l'avenir. La plupart des célibataires espèrent trouver un jour l'âme soeur. Mais pour bien des personnes seules, mieux vaut se préparer à une retraite en solitaire. «Chez de plus en plus de couples, je vois des gens qui planifient comme s'ils étaient seuls, car ils sont persuadés que leur vie de couple ne durera pas», dit la planificatrice Nathalie Bachand.
Lors de la dernière étude de Statistique Canada sur les célibataires en 2007, 43 % d'entre eux déclaraient qu'ils prendraient leur retraite plus tard parce qu'ils ont besoin d'un revenu ou d'une couverture d'assurance-maladie supplémentaire, notamment parce que, dans plusieurs cas, personne ne sera là pour prendre soin d'eux.
Sage décision. Nous avons demandé à l'actuaire Dany Provost, chroniqueur chez A+ et auteur du livre Arrêter de planifier votre retraite, planifiez votre plaisir, de produire une simulation sur l'accumulation et l'épuisement du capital retraite. Nous avons mis en scène une personne seule de 45 ans, qui gagne 75 000 dollars par an et qui détient 100 000 dollars dans son REER. Pour simplifier la démonstration, nous avons comparé sa situation à celle d'un couple dont les deux membres gagnent 75 000 dollars et sont assis sur 100 000 dollars de REER.
La personne seule dépense 2 900 dollars environ par an de plus que le membre d'un couple, selon Statistique Canada. Pour notre calcul, nous avons arrondi ce montant à 3 000 dollars. Supposons que le couple épargne les 6 000 dollars (2 x 3 000 $) de plus par an, et qu'il n'ait pas cette dépense supplémentaire à assumer durant la retraite, il épuisera son capital de retraite huit ans plus tard que le célibataire, soit à 90 ans, plutôt qu'à 82 ans pour le célibataire.
Conclusion ? À moins qu'il n'espère une vie moins longue, le célibataire a trois options. Travailler plus longtemps, réduire son train de vie pour épargner plus ou réduire son train de vie à la retraite. «Plus il attendra pour réduire son train de vie, plus ce sera dur. Il vaut mieux le faire le plus tôt possible pour qu'il ne se ressente pas, ou peu, du changement dans son train de vie à la retraite», dit Dany Provost.
Mais dans quoi épargner ? Il n'existe pas de produits financiers conçus spécifiquement pour les célibataires. Ces derniers ont accès, comme tout le monde, aux marchés boursier et obligataire, aux fonds communs et aux fonds négociés en Bourse, aux certificats de placement et à un éventail de produits hybrides qu'ils peuvent investir dans des comptes enregistrés comme le CELI et le REER ou dans un compte non enregistré.
Comment manoeuvrer dans tout ça ? Cela dépendra beaucoup des aspirations et de la tolérance au risque. «Une personne qui a l'intention de rester seule, peut prendre plus de risques, dit Fabien Major. Par exemple, investir dans les petites capitalisations ou dans les marchés émergents, à condition que ce soit conforme à son profil d'investisseur.» Il recommande un peu d'audace aux célibataires endurcis car ils n'ont pas de personnes à charge. Leur horizon de placement est plus long. C'est pourquoi il leur recommande de privilégier le REER.
Pour ceux qui cherchent activement l'âme soeur sur les sites de rencontres, il prescrit plus de prudence. «Leur vie peut changer du jour au lendemain. S'ils forment un couple le mois prochain, ils voudront sans doute acheter une maison et peut-être avoir des enfants. C'est mieux d'investir dans des placements plus sûrs qui pourront financer ces nouveaux projets», explique-t-il. Pour ces mêmes raisons, il préconise le CELI, plus flexible. Par contre, le REER est à envisager pour financer l'achat d'une première maison, en raison du Régime d'accès à la propriété (RAP).
La vie en solo requiert plus de discipline, ce qui ne veut pas dire qu'on soit contraint à l'austérité financière. Sans doute pas plus que les couples, finalement. Car si l'on considère le taux de divorce actuel, rien n'est garanti. Surtout qu'une rupture peut coûter très cher et mettre à mal la meilleure planification financière du monde.
Au moment de préparer notre avenir financier, il serait donc plus sage de nous considérer tous comme des célibataires potentiels.
Sans héritier connu
Lorsqu'on vit en couple ou qu'on est parent, le choix des légataires s'impose un peu de lui-même. En revanche, qu'en est-il pour les personnes seules ?
Sylvain Bleau, célibataire endurci qui oeuvre dans le monde des arts de la scène, a déjà rédigé son testament : à sa mort, «tout ira à des artistes que j'aime», dit-il.
Personne ne pourra l'en empêcher. En droit canadien, il existe un principe qui place célibataires, couples et parents sur un pied d'égalité en ce qui concerne les dernières volontés : la liberté de disposer de nos biens comme bon nous semble.
À condition, bien sûr, d'avoir fait un testament dans lequel on désigne sans ambiguïté les membres de la succession. Pour ce faire, il faut être reconnu pleinement apte et autonome au moment de sa rédaction.
En l'absence de testament, en revanche, «l'héritage sera distribué parmi les gens ayant un lien de parenté avec la personne», dit Me Alain Lecours, avocat chez Lecours, Hébert Avocats.
Un célibataire sans enfant dont les parents sont décédés, qui s'est brouillé avec son seul frère et qui ne souhaite pas tout laisser à ses petits cousins a donc tout intérêt à en rédiger un !
Par ailleurs, l'artiste qui recevra un chèque après le décès de Sylvain Bleau n'aura pas à payer d'impôt sur cette somme, à moins que la somme ne vienne de la vente d'une résidence secondaire (50 % du gain en capital), de celle de placements non enregistrés (50 % du gain en capital) ou d'un REER (100 %).
Le capital s'épuise plus vite
S'il conserve le même train de vie qu'une personne faisant partie d'un couple, un célibataire épuise son bas de laine huit ans plus tôt. Le célibataire viendra à bout de ses ressources à 82 ans alors que le membre d'un couple épuisera son capital à 90 ans. (Le célibataire et les deux membres du couple gagnent 75 000 $ par an et ont 100 000 $ en REER. Dans cette simulation, tous ont 45 ans.)
QUAND ON VIT SEUL...
On peut vivre seul dans diverses situations :
1. Célibataire endurci ;
2. Veuf ou veuve ;
3. À la suite d'une séparation (famille monoparentale) ;
4. Quand on est le seul soutien financier de personnes à charge.
Quand on vit seul, de toute évidence, pas question de fractionner ses revenus ! Toutefois, le fait de n'avoir qu'un revenu peut nous permettre de nous qualifier pour recevoir des prestations socio-fiscales (tels que le Supplément de revenu garanti, le remboursement TPS/TVH, le Crédit d'impôt pour solidarité [Québec], le Supplément de la prestation nationale pour enfants [SPNE], etc.)
Ce lien mène à un site intéressant où vous pourrez calculer les prestations gouvernementales selon votre revenu et votre situation.
Quand on vit seul toute l'année, il est possible de demander le crédit provincial pour personne vivant seule.
Quand on vit seul toute l'année avec des enfants mineurs ou des enfants majeurs aux études (famille monoparentale), un montant supplémentaire de 1 545 dollars peut être demandé à certaines conditions.
Un montant de base de 2 855 dollars pour chacune des personnes à charge peut être alloué à certaines conditions, pour les personnes dont on est le soutien familial.
Si un REEE est ouvert au nom d'enfants qui sont sous la responsabilité d'un soutien monoparental, les contributions pourraient faire l'objet de subventions bonifiées et un Bon d'études canadien (BEC) pourrait être versé au régime (les subventions et le BEC dans les REEE dépendent du revenu familial net).
Si l'on vit seul à la suite d'une séparation ou d'un divorce, la pension alimentaire pour enfants est un revenu non imposable pour la personne qui la reçoit, par conséquent non déductible pour la personne qui la paie. (Annie Boivin)
SEUL OU EN COUPLE, QUI PAIE QUOI ET COMBIEN ?
Selon Statistique Canada, les dépenses annuelles globales d'un célibataire sont supérieures de 8 % à celles d'un des conjoints dans un couple sans enfant. Si l'on considère uniquement les biens de consommation courante, cet écart atteint jusqu'à 14 %.
À l'inverse des couples, le mode de vie des célibataires est manifestement plus axé vers l'extérieur. Leurs dépenses en communications (téléphone, câble, Internet) sont supérieures d'un tiers. Autre différence notable : le poste budgétaire du tabac et de l'alcool (20 % de plus que les couples). Parallèlement, ils prennent grand soin d'eux-mêmes : 10 % de plus pour la santé et 20 % de plus pour les soins personnels d'hygiène et de beauté.
Est-ce l'effet Saint-Valentin ? Toujours est-il que les couples consacrent 150 % de plus chaque année à l'achat de bijoux et de montres. Ceux qui vivent en couple dépensent également 10 % de plus en transports, et se déplacent essentiellement en voiture. Ils sont de piètres utilisateurs des transports en commun : les célibataires dépensent 50 % de plus qu'eux en billets de métro et d'autobus.
En revanche, couples et célibataires se trouvent coude à coude pour ce qui est des dépenses culturelles. Plus étonnant encore, les couples économisent très peu par rapport à ceux qui font leur épicerie en solo.