Faut-il payer ses stagiaires ?

Publié le 07/02/2018 à 06:00

Faut-il payer ses stagiaires ?

Publié le 07/02/2018 à 06:00

En novembre dernier, Grenier aux emplois a annoncé officiellement que sa plateforme ne diffuserait plus d'offres de stages non rémunérés. « En tant qu'entrepreneur, je n'ai jamais approuvé cette pratique. Comme nous avons une certaine portée dans notre domaine, nous avons décidé de nous prononcer contre ce phénomène », explique Éric Chandonnet, président de cette entreprise spécialisée dans le domaine des communications.

Cette prise de position arrivait justement au moment où le débat sur la rémunération des stagiaires faisait rage. En effet, l'automne dernier, 15 000 étudiants sont descendus dans la rue, demandant que tout stage égale salaire. Ce n'est pas le cas automatiquement dans plusieurs programmes, comme ceux de l'éducation ou du travail social. « Nous avons décidé de nous prononcer publiquement, car les chercheurs d'emploi nous interpellaient à ce sujet et nous recevions plusieurs offres de stages non rémunérés par semaine », précise M. Chardonnet.

Les réactions à cette annonce ne se sont pas fait attendre. « Plusieurs nous ont contactés en privé parce qu'ils n'étaient pas contents de cette décision », raconte-t-il. Si plusieurs organismes à but non lucratif se sont manifestés, ces derniers étaient loin d'être les seuls à vouloir embaucher des jeunes pour une période d'essai gratuite. « Certaines entreprises privées publiaient aussi régulièrement des offres de stages non rémunérés », poursuit le président.

Un phénomène qui traduit bien la réalité dans le secteur des communications, alors qu'il y a beaucoup d'appelés et peu d'élus. « C'est un domaine très large, mais on voit qu'il existe un certain déséquilibre, dans la branche du graphisme, par exemple. Il y a trop d'offres pour la demande, si bien que les employeurs offrent parfois 30 000 $ par année, même pour des gens qui comptent entre 10 et 15 ans d'expérience. » Idem du côté de l'événementiel. Une réalité qui se reflète dans les possibilités de stages.

Grenier aux emplois ne fait pas classe à part dans ce débat. Par exemple, le service de placement de l'Université McGill ne publie pas les offres de stages non rémunérés provenant d'entreprises privées depuis plusieurs années déjà. À l'Université de Sherbrooke, qui gère plus de 4 800 stages par année, tous les étudiants inscrits aux programmes coopératifs reçoivent un salaire, indique Alain Tremblay, directeur général du Service des stages et du placement. Ainsi, dans les 48 formations offertes sous cette forme, comme le génie, les sciences ou l'administration, on priorise la formule travail-études. « Il faut bien comprendre que nos étudiants sont considérés comme des employés à part entière pendant leurs stages, ce qui inclut la paie », souligne-t-il.

Certes, il peut être plus difficile pour certains employeurs de débourser les sommes pour embaucher un étudiant, mais il existe plusieurs mesures de soutien pour les aider à intégrer cette relève, ajoute le directeur. Il cite en exemple le programme d'apprentissage intégré en milieu de travail pour étudiants. Mis sur pied récemment par le gouvernement canadien, ce programme reçoit une enveloppe qui permet aux entreprises spécialisées dans les domaines des sciences, de la technologie, du génie et des mathématiques d'obtenir des subventions variant de 5 000 $ à 7 000 $. « Pour obtenir ce soutien, il faut créer de nouveaux stages, ce qui peut donc aider de plus petites entreprises à accueillir des étudiants », précise M. Tremblay.

Vers un changement réglementaire ?

Devant la grogne étudiante, la ministre responsable de l'Enseignement supérieur, Hélène David, a annoncé qu'elle étudiait la possibilité de rendre obligatoire la rémunération des stages. Toutefois, vérification faite, aucune décision n'est encore prise à ce sujet. Le Ministère ne dispose pas d'informations précises à ce propos et est plutôt en train de dresser un portrait de la situation, nous indique le service des communications. Le gouvernement du Canada a également statué sur ce débat. Dans un projet de loi, on prévoit l'interdiction des stages non rémunérés. Cependant, ce changement touchera uniquement les employeurs de compétence fédérale, comme les banques ou les radiodiffuseurs. De plus, les stages effectués pendant un programme d'études seront aussi exclus.

Même si ce n'est pas obligatoire, l'Ordre des conseillers en ressources humaines agréés encourage les entreprises à offrir une paie à leurs stagiaires. « Nous sommes toutefois bien conscients que si les règles du jeu changeaient du jour au lendemain, cela aurait un impact sur certains employeurs », explique sa porte-parole, Chantal Lamoureux. Par exemple, les organismes sans but lucratif qui ouvrent souvent leurs portes aux étudiants pour gonfler leurs rangs pourraient être particulièrement touchés, ajoute-t-elle. « Ce serait dommage, puisqu'ils offrent des expériences très intéressantes pour les jeunes. » Idem pour tous les stages qui s'effectuent en dehors du cadre scolaire, pour les immigrants, les personnes vivant avec un handicap, etc.

Cependant, comme les stages sont un reflet du marché, ce n'est pas tellement un problème actuellement. « Avec la pénurie de la main-d'oeuvre, les entreprises rivalisent plutôt d'ingéniosité pour attirer les gens de talents », met en perspective Mme Lamoureux. Même son de cloche de la part de Michel Leblanc, président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. « Nous pensons que l'objectif premier du stage, c'est de permettre d'offrir aux jeunes une expérience sur le terrain. Nous estimons donc qu'il faut garder le plus de flexibilité possible et laisser le marché jouer son rôle. »

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