Rémunération globale: quelques initiatives à surveiller

Publié le 06/04/2022 à 10:00

Rémunération globale: quelques initiatives à surveiller

Publié le 06/04/2022 à 10:00

Le droit à la déconnexion prend de plus en plus d’ampleur au Québec. (Photo: 123RF)

RÉMUNÉRATION GLOBALE. Décryptage de quatre innovations en matière de rémunération globale au Québec.

 

La semaine de quatre jours

Travailler seulement quatre jours par semaine: voici l’un des concepts les plus en vogue en matière de ressources humaines (RH). « Il se peut que cela devienne une nouvelle norme », avance Claudio Gardonio, CRHA, associé-directeur du cabinet CGC Talent. 

Toutefois, sa mise en pratique peut différer selon les entreprises. Chez le fabricant de t-shirts montréalais Poches et fils, les employés sont passés en juillet dernier de 40 heures à 32 heures de travail par semaine, sans diminution de salaire. Pour sa part, Maisons usinées Côté, dans Lanaudière, a permis à ses employés à la production d’effectuer leurs 40 heures hebdomadaires entre le lundi et le jeudi, ce qui signifie l’augmentation du temps de travail quotidien.

« Cela a provoqué un wow ! chez les personnes en poste comme chez les candidats », affirme Kamie Richer, responsable de la culture au sein de la PME. L’entreprise d’une centaine d’employés a d’ailleurs accompagné ce changement d’horaire d’une vaste campagne de publipostage régionale, sous forme de cartes postales présentant différentes activités désormais possibles le vendredi pour ses employés : faire de la motoneige, de l’alpinisme, etc. L’initiative a permis d’embaucher quatre personnes.

« On a commencé par un projet pilote et on s’est rendu compte que cela n’avait pas d’influence négative sur la productivité », explique Kamie Richer. L’usine reste malgré tout ouverte le vendredi pour les deux employés qui souhaitaient conserver leur ancien horaire. Signe que la semaine de quatre jours n’est pas non plus une panacée.

 

Le droit à la déconnexion

Avec l’essor du télétravail, la question du droit à la déconnexion prend de plus en plus d’ampleur au Québec. Selon ce principe, un salarié a le droit de ne pas être connecté à ses outils numériques professionnels en dehors des heures de travail. Instaurée en France depuis 2017 et envisagée par le gouvernement ontarien depuis octobre, la mesure est défendue dans la province par Québec Solidaire, qui a déposé un projet de loi en ce sens en décembre.

Le studio de jeux vidéo Ubisoft n’a pas attendu un éventuel changement législatif pour mettre le concept en pratique, en fin d’année dernière. « Je sentais un signal faible de la part des gestionnaires qui, par exemple, ne savaient pas comment réagir s’ils recevaient un message à 19 h, témoigne Louis-François Poiré, son directeur de la rémunération globale. Désormais, c’est clair : pas d’obligation d’y répondre. Car la flexibilité des uns ne doit pas se faire au détriment de la liberté d’autres. »

 

La technologie au service des RH

L’innovation en rémunération globale se fait également par le biais technologique. La pandémie a par exemple donné un fantastique coup d’accélérateur aux applications de télémédecine, offertes comme de nouveaux avantages sociaux, à l’image des cliniques virtuelles Dialogue, Maple, Telus Santé et Olive.

L’entreprise montréalaise Gsoft, qui édite déjà la solution d’engagement salarié Officevibe, a pour sa part voulu répondre aux besoins du moment en lançant en novembre une nouvelle plateforme baptisée Softstart. L’objectif est de favoriser l’intégration de nouvelles recrues en mode virtuel. Une vingtaine de clients au Canada et aux États-Unis y ont déjà souscrit.

Notons également la création, l’an dernier, de Tedy, une plateforme québécoise d’avantages sociaux à la carte pour les employés. Le principe est simple : l’employeur alloue un montant, ponctuel ou mensuel, que l’employé peut utiliser à sa guise pour des dépenses liées à sa santé et à son bien-être, allant du matériel sportif à la nourriture pour ses animaux de compagnie.

 

La personnalisation

Finalement, la personnalisation est une des tendances majeures en matière de rémunération globale, selon les professionnels interrogés. Le concept de « rémunération à la carte » n’est certes pas nouveau, mais il se développe progressivement. Le Mouvement Desjardins propose ainsi un régime d’assurances collectives de type « cafétéria » pour ses 53 000 employés. « Cela comprend une couverture de base pour tout le monde, puis chacun peut choisir où mettre l’argent restant disponible, en fonction de ses besoins », détaille Marc-André Malboeuf, son vice-président au développement de solutions RH.

L’idée est de faire correspondre les avantages sociaux au cycle de vie des employés. « Une personne qui a trois enfants n’aura pas les mêmes besoins en soins orthodontiques qu’une jeune de 25 ans qui n’y va qu’une fois par an », prend pour exemple Marc Chartrand, CRHA, associé du cabinet PCI rémunération-conseil. Ce dernier utilise la métaphore du cellulaire : « En apparence, ils ont tous l’air pareils, mais quand on regarde les applications dessus, il n’y en a pas deux identiques. »

Kamie Richer, de Maisons Usinées Côté, pointe malgré tout deux défis qui freinent l’adoption de cette rémunération globale à la carte par les entreprises. « D’abord, la complexité de gestion de plusieurs programmes à la fois, surtout pour une PME. Et puis la question de l’équité : les différentes offres doivent être perçues à l’interne comme équivalentes en termes de valeur », rappelle-t-elle. Ce qui n’est pas une mince affaire.

 

Et si le sentiment d’appartenance, l’attachement à la mission ou l’adhésion aux valeurs d’une entreprise faisaient partie de la rémunération globale ? À observer les nouvelles tendances en la matière, la question n’est pas si saugrenue. 
Maisons usinées Côté, une PME manufacturière de la région de Lanaudière, croit que oui, et cela lui a permis de remporter le Laurier d’or dans la catégorie « Pratiques RH gagnantes » de la part de la Chambre de commerce et d’industrie de la MRC de Montcalm en novembre dernier.
Parmi les initiatives récompensées, la création d’une « boutique Côté » comprenant différents items et outils aux couleurs de l’entreprise. Tous les ans, les salariés se voient doter de 100 points qu’ils peuvent utiliser pour y acheter les objets de leur choix. En cas de bon coup durant l’année, ils peuvent aussi obtenir des points supplémentaires. « On vient d’y ajouter des manteaux, à la demande des employés, qui aiment porter des vêtements à l’image de la compagnie », assure Kamie Richer, responsable de la culture au sein de la PME.
Le sentiment de fierté des salariés se manifeste également lors des « Campus Côté », des défis sportifs ou solidaires annuels lancés pour faire « vivre » les valeurs de l’entreprise. Il peut s’agir d’une course à pied de 24 heures en équipe ou encore d’une collecte de fonds pour offrir des sacs à dos remplis de fournitures scolaires à 120 enfants démunis. « Cette implication dans notre région donne aux employés la sensation de pouvoir faire une différence, renforce l’esprit d’équipe et allume des étoiles dans les yeux des candidats », confie Kamie Richer.
Aller au-delà des valeurs de façade
« Les valeurs d’une organisation doivent en effet se refléter dans sa politique de rémunération globale », confirme Anna Potvin, CRHA, conseillère principale et cheffe de la pratique rémunération chez Normandin Beaudry. 
De son côté, Stéphane Paré, directeur principal talent et rémunération au cabinet Willis Towers Watson, rappelle le principe des « 3 F » pour être heureux au travail : « le foin (la rémunération directe), le fun et la foi (la croyance dans le sens de la mission et des actions) ». Auquel il ajoute un élément supplémentaire : la clarté. 
Il arrive effectivement que les entreprises commettent l’erreur de définir des valeurs dénuées de toute réalité concrète pour les salariés. Qui, par conséquent, ne se les approprient pas. « J’entends certaines entreprises prôner la transparence. C’est bien, mais, au-delà de cette façade, on se rend compte que les employés ne connaissent par exemple ni leur échelle salariale ni leur positionnement au sein de celle-ci. Ce n’est pas cohérent », illustre Guylaine Béliveau, CRHA, directrice des services-conseil rémunération au cabinet Solutions Mieux-être Lifeworks.
« Le pire piège, c’est de prendre une politique de rémunération attrayante d’une autre entreprise et de l’appliquer chez soi. La base, c’est de se connaître avant », certifie Marc-André Malboeuf, vice-président développement de solutions de ressources humaines au Mouvement Desjardins. En tant que coopérative, celui-ci a par exemple opté pour un régime général d’intéressement collectif, illustre-t-il.
La montée de la responsabilité sociale
Aujourd’hui, si ce n’est pas l’entreprise qui prend les devants en matière de responsabilité sociale et d’engagement autour de valeurs fortes, les salariés s’en chargeront eux-mêmes. Soit en la quittant, soit en lui mettant la pression pour impulser le changement. « On le voit très nettement en termes d’équité, diversité et inclusion, notamment auprès des jeunes générations », témoigne Claudio Gardonio, CRHA, associé-directeur de CGC Talent. Marc-André Malboeuf abonde dans le même sens. « On se doit d’être le reflet de la diversité de notre communauté ; cela fait désormais partie des attentes de nos employés et, si on ne le fait pas, cela va jouer contre notre attractivité. »
La responsabilité sociale et la gouvernance des employeurs sont plus que jamais scrutées par leurs équipes. « La majorité du temps, la pression vient des questions des employés en assemblée annuelle ou des candidats lors des processus de recrutement », remarque Mélinda Bastien, ASA, conseillère principale en gestion d’actif et en régime d’épargne et experte de l’équipe d’investissement durable institutionnel chez Normandin Beaudry. 
Selon elle, contrairement aux idées reçues, les rendements des investissements ou des placements dans des fonds responsables sont équivalents, voire supérieurs à ceux des véhicules d’investissement plus traditionnels. « Il n’y a pas à faire de sacrifice pour se doter de bonnes pratiques », assure Mélinda Bastien. Une raison supplémentaire de se pencher sur la responsabilité sociale de son entreprise.

 

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