Prévenir l'ubérisation de l'assurance

Offert par Les Affaires


Édition du 12 Mai 2018

Prévenir l'ubérisation de l'assurance

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Édition du 12 Mai 2018

Par Richard Cloutier

Plusieurs acteurs de l’industrie ont choisi d’investir dans l’innovation technologique. Cette démarche est destinée à réduire les coûts, à transformer les produits, ainsi qu’à améliorer les interfaces entre les agents et courtiers et la clientèle. [Photo:123 RF]

Les progrès technologiques permettent au secteur de l'assurance d'évoluer. Toutefois, les acteurs traditionnels de l'industrie, sous l'impulsion des nouvelles habitudes de consommation, de la révision des exigences réglementaires et de l'émergence de nouveaux acteurs, tantôt disruptifs, tantôt facilitateurs, n'ont d'autres choix que de se réinventer.

À l'instar de ce qui a été observé dans les secteurs de l'hôtellerie, de la télédiffusion et des transports avec Airbnb, Netflix et Uber, l'évolution des habitudes de consommation, supportés par la technologie, oblige les acteurs de l'industrie de l'assurance à se réinventer.

« Les attentes des consommateurs évoluent. En plus d'un bon prix, ils attendent de plus en plus la simplicité, la rapidité, la transparence et la personnalisation », constate le Conference Board du Canada dans son rapport Canadian Industrial Outlook : Banking, publié en avril 2018, en évoquant les changements qu'entraîne la technologie pour l'industrie de l'assurance.

Ce secteur pourrait-il bientôt voir son modèle d'affaires traditionnel être menacé ou influencé par l'économie de partage ?

Tout est possible, répond Stéphane Dodier, vice-président, Technologies de l'information chez Promutuel Assurance. S'il convient que le milieu de l'assurance est beaucoup plus complexe et très réglementé, que les barrières à l'entrée sont plus élevées que dans d'autres industries, notamment parce que d'importants investissements en technologie sont nécessaires pour y accéder, il affirme que la « blockchain pourrait être un élément qui transformerait l'industrie par sa capacité à gérer des contrats entre individus ».

M. Dodier rappelle qu'à la base, « les mutuelles d'assurance générale étaient un regroupement de personnes qui désiraient protéger leurs biens, et que pour le faire, elles constituaient un fonds de prévoyance qui servait en cas de besoin ». Un modèle qui a certainement inspiré celui de l'assurance « pair-à-pair », qui réunit une communauté d'utilisateurs autour d'une plateforme de partage de risques. Au Canada, si Besure, de Calgary, a commencé discrètement ses activités d'assurance pair-à-pair en 2016, en misant notamment sur Facebook, ailleurs dans le monde, différentes plateformes font parler d'elles. C'est le cas, par exemple, de l'américaine Lemonade, lancée à l'automne 2016. Spécialisée dans l'assurance habitation, Lemonade offrait ses produits dans 25 États américains et réunissait 90 000 assurés à la fin de 2017.

Au Canada, certaines formes d'assurance pair-à-pair, aussi appelée « union réciproque », sont encadrées. Au Québec, toutefois, l'Autorité des marchés financiers (AMF) continue d'étudier le phénomène tout en mettant le public en garde et en rappelant que l'offre de services ou de produits d'assurance est une activité réglementée.

Naissance de nouveaux modèles d'affaires

Au Québec, si la réglementation a permis jusqu'ici aux joueurs traditionnels d'évoluer dans un environnement relativement cloisonné, les choses pourraient bientôt changer. Le ministre des Finances Carlos Leitão a déposé, en octobre 2017, le projet de loi 141 afin de réformer l'encadrement du secteur financer. Le projet, dont l'adoption est attendue avant la fin de session parlementaire, à la mi-juin, ouvre la porte à la distribution d'assurance de personnes en ligne sans l'intervention obligatoire d'un représentant.

Lyne Duhaime, présidente de l'Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes (ACCAP-Québec), est d'avis que ce projet de loi « est un grand pas dans la bonne direction pour prévenir l'ubérisation de l'assurance », puisqu'il offre justement un cadre pour la vente par Internet.

« Cette mesure était nécessaire, car si nous ne permettons pas aux assureurs et aux acteurs traditionnels de l'industrie de s'adapter à Internet et de répondre aux désirs des consommateurs qui veulent acheter en ligne, il y a un risque que d'autres acteurs non réglementés essaient d'attirer les consommateurs les plus vulnérables », ajoute-t-elle.

Chez SSQ Assurance, on croit que de nouveaux modèles d'affaires naîtront dans les prochaines années dans l'industrie de l'assurance, en réponse aux besoins des clients. « Il est vrai que les consommateurs ont de plus en plus tendance à prendre leurs renseignements sur le Web, mais nous croyons que le conseil continuera d'être un élément crucial dans le cycle de vente d'un produit d'assurance. Toutefois, c'est la manière dont ce conseil sera fourni qui évoluera », estime Michel Loranger, premier vice-président, Technologies de l'information chez SSQ Assurance.

Investir en innovation numérique

À cet égard, plusieurs joueurs de l'industrie ont choisi d'investir dans l'innovation technologique. Une démarche destinée à réduire les coûts, à transformer les produits, de même qu'à « recruter de nouveaux clients, à leur vendre encore plus de produits et services, et à améliorer les interfaces entre les agents/courtiers et la clientèle », indique EY dans ses rapports portant sur les perspectives dans le secteur de l'assurance vie et de l'assurance de dommages publiés en mai 2017.

Ainsi, en 2016, iA Groupe financier a créé La Zone, un incubateur et un accélérateur de produits, de services et d'outils numériques. La même année, Financière Sun Life a inauguré, à Montréal, un laboratoire technologique réunissant près de 150 personnes. Quant à Manuvie, qui exploite différents centres d'innovation (Hub) partout dans le monde, elle vient d'inaugurer celui de Montréal, où plus de 150 personnes chercheront notamment à développer des solutions d'assurance.

Du côté de Desjardins, après l'ouverture d'un premier laboratoire d'innovation à Montréal, en 2015, elle a inauguré un deuxième Desjardins Lab à Lévis en décembre dernier, dont les travaux concernent plus spécifiquement le secteur de l'assurance. Un programme pour start-up en résidence y sera bientôt offert, indique Annie Josiane Bujold, conseillère en relations publiques pour le Mouvement Desjardins.

D'autres organisations adoptent graduellement un modèle d'affaires qui privilégie la commercialisation de produits et de solutions d'assurance totalement numériques. C'est le cas d'Humania Assurance, de Saint-Hyacinthe qui, en 2017, a réalisé 58 % de ses ventes en assurance individuelle en ligne, par le biais de conseillers indépendants. Il s'agit d'une augmentation de 18 % en comparaison avec l'année précédente. Son plan stratégique prévoit maintenant l'accélération de la migration du portefeuille de produits d'assurance individuelle sur des plateformes numériques.

Bien que dans le secteur des services financiers, une ubérisation soit constatée dans de petits segments comme celui du paiement, pour l'instant, la désintermédiation n'est pas encore une tendance très présente au sein du secteur de l'assurance, affirme Patrick Raimondi, directeur général, Services financiers chez Accenture Canada.

Selon lui, « les entreprises du secteur de l'assurance sont surtout en train de redéfinir de façon générale la manière dont elles interagissent avec leurs clientèles ». L'apparition d'entreprises comme Lemonade qui influencent invariablement le modèle d'affaires, et de joueurs non traditionnels comme Audi, « qui a annoncé la prise en charge de la responsabilité de l'assurance pour les fonctions de conduite autonome pour leur modèle de Audi A8 à compter de 2019 », sont des illustrations de cette évolution que permet la technologie.

Mais c'est le rôle même de l'assureur traditionnel qui est voué à changer, analyse Patrick Raimondi. « On commence surtout à entrer dans des modèles où l'entreprise cherche à faire davantage partie du quotidien des individus et donc, d'interagir dans un contexte de vie plutôt que transactionnel », selon lui. Suivant ce modèle, des assurances vie sont aujourd'hui construites autour d'incitatifs liés à la mise en forme, au bien-être ou au retour de bénéfices à la collectivité. Le programme Vitalité, de Manuvie, en est un exemple.

Dans ce contexte, adopter de nouvelles technologies, particulièrement l'intelligence artificielle, permettra aux acteurs de l'industrie de l'assurance d'atteindre une hyperpersonnalisation en matière d'offre de services, estime Patrick Raimondi.

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