Les défis de rémunération des hauts dirigeants

Publié le 31/05/2022 à 14:00

Les défis de rémunération des hauts dirigeants

Publié le 31/05/2022 à 14:00

Par Louise Champoux-Paillé

Il est impératif de s’interroger sur les facteurs ESG les plus susceptibles de contribuer à la création de la valeur à long terme pour l’entreprise. (Photo: 123RF)

BLOGUE INVITÉ. La rémunération demeure toujours un atout stratégique important pour aligner les objectifs des hauts dirigeants avec ceux de l’entreprise. Avant de discuter des défis relatifs à la rémunération sous l’éclairage des facteurs environnementaux et sociaux ainsi que ceux liés à la gouvernance (ESG), j’aimerais faire un court rappel de la réflexion académique qui a conduit à établir ce lien.

Nous savons que la très grande majorité des sociétés cotées en bourse se sont développées selon le modèle de la primauté des actionnaires et de la maximisation de la valeur à court terme. La théorie de l’agence était son fondement. Selon cette conception, il existe donc un risque de spoliation des intérêts des actionnaires par les dirigeants (agent). Ce risque peut notamment prendre la forme d’une rémunération abusive prélevée par le dirigeant à l’encontre des intérêts des actionnaires.

L’émergence des facteurs ESG a provoqué plusieurs changements, tels que considérer l’entreprise avec une finalité autre que la seule maximisation des profits à court terme pour les actionnaires, tenir compte d’objectifs à long terme dans la prise de décision, ou encore inclure le bilan extra-financier dans l’évaluation de la performance globale de l’entreprise.

Une étude effectuée par le cabinet Norton Rose Fulbright a révélé que 70% des sociétés de l’indice S&P/TSX60 ont recours à des paramètres ESG pour évaluer la performance de leurs hauts dirigeants. Les indicateurs de performance les plus utilisés ont trait à l’environnement, la santé et la sécurité au travail, ainsi que le mieux-être des employés. Bien que cette étude ait été effectuée en 2019, il est permis de penser que ce critère de mieux-être de la main-d’œuvre puisse désormais occuper plus de place à l’ère pandémique et post pandémique.

Une autre enquête menée par Compensation Governance Partners en 2019 auprès 196 sociétés de l’indice S&P/TSX a conclu que 61% d’entre elles avaient recours aux paramètres d’évaluation ESG dans leurs incitatifs de rémunération, surtout toutefois pour des incitatifs axés sur la performance à court terme.

Sachant cela, quel devrait être le cadre de réflexion lorsqu’on aborde la question d’inclure ou pas certains indicateurs de performance ESG au sein d’un programme de rémunération?

Les membres de comités de ressources humaines et de CA consacrent beaucoup de temps et d’énergie à déterminer quels sont les éléments sur lesquels ils évalueront la performance de leurs hauts dirigeants et l’envergure de la rémunération qui leur sera octroyée. Ils tiennent aussi compte d’autres facteurs tels que les rémunérations versées à des dirigeants travaillant dans des entreprises comparables et la rémunération médiane ou moyenne versée aux employés, ce que l’on appelle le ratio d’équité.

La recherche d’une rémunération jugée acceptable par l’ensemble des parties prenantes est un sujet de préoccupation. Le spectre des vives critiques exprimées en 2008 — coïncidant avec la grande crise financière — en regard des rémunérations excessives et démesurément axées sur la prise de risque demeure toujours présent dans l’esprit des décideurs.

 

Matière à réflexion

Je me permettrai de soulever trois éléments qui me préoccupent particulièrement sur le sujet.

1. Il importe de s’assurer que les nouveaux indicateurs reflètent tout autant les objectifs à court terme qu’à long terme de l’entreprise et qu’il y ait une mixité d’objectifs financiers et extra-financiers qui traduisent la place accordée par l’entreprise à chacun de ces types d’objectifs.

On pourrait en outre se questionner sur l’équilibre à rechercher entre ces deux types d’objectifs et l’évaluation de la performance. À cet égard, il pourrait être pertinent de se poser certaines suivantes: qu’arriverait-il si un ou plusieurs dirigeants atteignent leurs objectifs extra-financiers tout en affichant une mauvaise performance sur le plan de leurs objectifs financiers? Dans un monde où la rémunération des hauts dirigeants est scrutée à la loupe, comment cette situation serait-elle expliquée aux diverses parties prenantes?

 

2. Il est impératif de s’interroger sur les facteurs ESG les plus susceptibles de contribuer à la création de la valeur à long terme pour l’entreprise. Quels sont les principaux facteurs pour l’atteinte de sa mission? Les indicateurs de performance véhiculent des messages quant à l’importance accordée au type de performance souhaitée pour l’entreprise. Il est donc nécessaire que ces nouveaux paramètres reflètent bien la mission de l’entreprise et s’imbriquent dans celle-ci.

De plus, il faut s’assurer que les nouveaux critères d’évaluation soient réalistes et s’appuient sur un système d’information qui permette de déterminer si ceux-ci sont atteints ou pas. Sans un tel système, il sera toujours difficile pour les dirigeants de suivre sa propre performance et aux personnes chargées de leur évaluation de procéder à ces évaluations de manière objective.

 

3. Retenons que l’intégration des facteurs ESG dans la rémunération des hauts dirigeants requiert à la fois temps et réflexion. Il faut aligner les intérêts des hauts dirigeants sur ceux les plus significatifs de l’ensemble des parties prenantes et ce, dans une perspective où le court terme et le long terme ont respectivement leur place.

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