Terres rares : la reprise des prix ne stimule pas l'industrie d'ici


Édition du 21 Avril 2018

Terres rares : la reprise des prix ne stimule pas l'industrie d'ici


Édition du 21 Avril 2018

Par François Normand

Les prix des terres rares (17 métaux précieux présents dans les technologies de pointe) demeurent relativement faibles, malgré leur augmentation récente. La rentabilité des projets est donc très difficile à atteindre actuellement. Photo : Getty Images

Malgré la reprise des prix des terres rares (17 métaux précieux présents dans les technologies de pointe), les projets d'exploration au Québec sont soit abandonnés, soit sur la glace ou soit dans une phase de développement à très long terme, montre une enquête de Les Affaires.

« On constate la même chose que vous », laisse tomber Josée Méthot, PDG de l'Association minière du Québec (AMQ), qui représente les principales minières de la province.

Le Québec n'a jamais produit de terres rares. Avant 2012 (années où les prix de sont effondrés), on fondait beaucoup d'espoir, dans l'industrie et au gouvernement, dans le potentiel du sol québécois qui est riche en terres rares.

Les États-Unis ont dominé l'industrie jusqu'en 1982 environ. Depuis les années 1990, le marché est toutefois contrôlé par la Chine, qui produit près de 95 % de ces métaux (incluant la deuxième transformation en oxydes de terres rares), selon le quotidien français Les Échos.

En fait, le seul exploitant non chinois dans le monde est la minière australienne Lynas Corporation. Le minerai de terres rares est produit en Australie, mais il est transformé en oxydes de terres rares en Malaisie. Ces oxydes - qu'ils soient produits en Malaisie ou en Chine - sont ensuite vendus à des utilisateurs finaux, en Europe ou en Asie, afin de fabriquer, par exemple, des aimants permanents que l'on retrouve dans les moteurs des voitures électriques.

Pourquoi les projets ne décollent pas

Selon l'AMQ, la situation au Québec tient à deux facteurs. Premièrement, les coûts de production des terres rares en Chine sont très bas, notamment en raison de l'absence de normes environnementales. Cette concurrence chinoise rend très difficile l'entrée de nouveaux joueurs sur le marché mondial.

Deuxièmement, les prix de ces métaux précieux demeurent relativement faibles, malgré leur augmentation récente. La rentabilité des projets est donc très difficile à atteindre actuellement.

Par exemple, le prix de l'oxyde de néodyme (une terre rare stratégique dans la conception d'éoliennes et de voitures électriques) a augmenté de 20 % en 2017, à 46,50 $ US le kilogramme, selon Adamas Intelligence.

Le cours a même grimpé à 75 $ US à la mi-septembre, mais il est redescendu l'automne dernier. Depuis le début de 2018, le prix a bondi de 11 %, pour s'établir à 51,75 $. Adamas Intelligence prévoit que le néodyme continuera d'augmenter cette année.

La hausse des prix des terres rares depuis un an tient en grande partie à la demande accrue pour les voitures électriques et les énergies renouvelables, disent les spécialistes. On retrouve aussi ces métaux dans les téléphones intelligents et les équipements électroniques.

Que se passe-t-il sur le terrain ?

Malgré tout, l'industrie est déprimée au Québec et ailleurs dans le monde, à l'exception de la Chine et de rares pays comme l'Australie et la Malaisie.

Depuis janvier, la minière montréalaise Minéraux Rares Quest est en faillite technique. La société, qui souhaitait développer un projet de 1,3 milliard de dollars pour extraire des terres rares dans la fosse du Labrador et les transformer dans la région de Bécancour, a dû abandonner son projet.

Des investisseurs internationaux ont déjà jeté l'éponge depuis quelques années. En 2015, le géant japonais Jogmec (Japan Oil, Gas and Metals National Corporation) s'est retiré en douce d'un projet d'exploration de terres rares au nord-est de Schefferville, rapportait Les Affaires en décembre 2017.

En 2010, la société québécoise Exploration Midland (MD.V ; 0,85 $), notamment spécialisée dans la découverte de mines d'or, avait conclu un partenariat avec Jogmec pour son projet d'exploration de terres rares Ytterby. Le projet est sur la glace, mais la minière pourrait le relancer si les prix des terres rares remontaient de manière substantielle dans les prochaines années. Exploration Midland n'a pas voulu nous accorder d'entretien pour ce reportage.

En Abitibi-Témiscamingue, la minière Matamec Explorations (MAT.V ; 0,035 $) a aussi mis son projet de terres rares Kipawa sur la glace. La japonaise Toyota Tsusho a investi dans ce projet, dans lequel elle détient toujours une redevance de 10 %. La reprise des prix des terres rares est loin d'enthousiasmer Matamec Explorations. En fait, l'entreprise est en réflexion stratégique. À terme, elle pourrait même quitter ce secteur pour se concentrer sur celui de l'or, son autre domaine d'expertise, confie au bout du fil son président par intérim François Biron. « La stratégie va sûrement s'enligner sur l'or plutôt que sur les terres rares. Comment ça va s'articuler ? On ne le sait pas encore », précise-t-il.

Positionner le Québec comme une source non chinoise

C'est un tout autre son de cloche chez Commerce Resources (CCE.V ; 0,08 $), une société de Vancouver, qui a un projet de terres rares (Ashram) au Nunavik. Elle continue à développer son projet, dont la viabilité ne repose pas sur des cours élevés. « Le prix n'est pas la caractéristique essentielle qui nous incite à poursuivre notre projet et d'y produire un jour des terres rares », affirme le président Christopher Grove.

Selon lui, ce sont la technologie et l'intérêt d'utilisateurs finaux comme Samsung pour de nouvelles sources d'approvisionnement non chinoises qui rendent viable le projet Ashram au Québec.

Pour sa part, la société québécoise Géomega (GMA ; 0,08 $), qui a un projet d'exploration (Montviel) dans le Nord-du-Québec, a décidé de miser sur la deuxième transformation (en l'occurrence, la production d'oxydes de néodyme) pour exploiter un jour une mine au Québec.

« Même si les prix augmentent de manière significative, nous ne pourrons pas produire du minerai au Québec avec une bonne rentabilité », affirme le président et chef de l'exploitation, Kiril Mugerman.

C'est pourquoi la minière est en train de développer une technologie propre (sans rejets toxiques comme en Chine) afin de produire des oxydes de néodyme à partir du minerai qui serait tiré d'une éventuelle mine au Québec.

Si jamais sa technologie fonctionne parfaitement et que des producteurs d'aimants permanents s'engagent à acheter sa production d'oxydes de néodyme, Géomega pourrait alors mettre en service sa mine dans les années 2020, estime M. Mugerman.

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