Pas juste une femme trans

Publié le 07/11/2022 à 10:08

Pas juste une femme trans

Publié le 07/11/2022 à 10:08

Par Ruby Irene Pratka

Béthanie Cloutier oeuvre dans le domaine de l'ingénierie depuis 1982. (Photo: courtoisie)

DIVERSITÉ AU TRAVAIL. Béthanie Cloutier ne veut pas nécessairement porter l’étiquette de femme trans – elle est femme, et ingénieure. Spécialisée en génie structurel, elle œuvre dans son domaine depuis 1982. Pour elle, il n’y a pas de « recette magique » pour une transition réussie au travail, si ce n’est qu’il faut chercher à bien s’entourer.

En entrevue avec Les Affaires, Béthanie Cloutier raconte avoir toujours vécu un inconfort dans un monde qui voyait sa féminité comme une maladie. Cependant, au fil des ans, elle a vu plus de personnes trans prendre la parole en public. « [Dans les témoignages] de ces personnes qui se disaient prisonnières dans leurs corps, je me reconnaissais, » se rappelle-t-elle. Elle commence à vivre son identité trans en 2017, vers la fin de la cinquantaine.

Pendant plusieurs mois, elle était « Béthanie la fin de semaine, et [son ancien prénom] le reste de la semaine. » Elle s’est d’abord confiée à une collègue qui avait une sœur trans avant de rencontrer ses autres associés. « Ils étaient renversés, » relate celle qui exerce aujourd’hui un emploi de mentorat. Elle a dû répondre à de nombreuses questions de personnes cherchant à comprendre. « On pense que si tu es préoccupé par ta transition, tu pourrais moins bien performer au travail. Cela pourrait être le cas au début, mais [à la longue] souvent ça va mieux », dit-elle.

Béthanie Cloutier a par la suite entamé un traitement d’hormones et adopté une apparence plus féminine. Elle a écrit un texte sur sa transition, qu’elle a lu à des collègues avec le soutien d’une amie relationniste. Ses clients étaient informés de sa transition par courriel, et elle a commencé à se présenter « en Béthanie » aux colloques professionnels. « J’étais terrorisée au début… mais finalement j’ai eu beaucoup de soutien ! » 

L’ancienne journaliste Chris Bergeron est vice-présidente, créativité inclusive à la firme de publicité Cossette. Elle a fait sa transition de genre en parallèle avec une transition professionnelle, et a magasiné les employeurs avant d’atterrir chez Cossette. Elle y a trouvé « une belle écoute » et des objectifs concrets qu’elle pouvait avancer.

Elle encourage les employeurs québécois à recruter davantage de personnes issues de la diversité, et de prendre en compte les inégalités systémiques qui freinent certaines d’entre elles ainsi que l’apport de leurs parcours. « Si on fait l’autruche par rapport à cela, on passe à côté de la richesse que ces personnes peuvent apporter. »

 

La valeur des alliés

Béthanie Cloutier souligne l’importance de chercher des alliés afin de s’épanouir. Or, il est possible de trouver des alliés en dehors du bureau. Des initiatives comme QueerTech (pour le secteur de la technologie), Indice F d’Inno-Centre (pour femmes entrepreneures, qu’elles soient cis ou trans) et le programme Matrices de Fierté au Travail visent à mettre les personnes avec des identités de genre marginalisées en contact avec des personnes — des conseillers, des mentors ou des pairs — qui vivent des défis similaires. 

« Il y a clairement un manque de représentation de femmes en général et de femmes trans en entrepreneuriat, » dit Katerine Dutil-Bruneau, directrice de communications et marketing à Inno-Centre. Elle considère que lorsque les femmes et les entrepreneurs issus de la diversité de genre sont suffisamment bien soutenus, ils et elles apportent des visions uniques et utiles, surtout en termes de développement durable, d’engagement social et d’équilibre travail-vie, qui leur seront avantageux dans les prochaines années. 

Matrices, piloté par Fierté au Travail, a commencé avec un déjeuner de réseautage entre des professionnels trans de Toronto en 2019. Avec la pandémie, le programme est passé au virtuel. Il l’est demeuré en raison du caractère « sans frontières » du format. « On a eu une participante du nord de la Saskatchewan, qui vivait à deux heures de route de la ville la plus proche. Les rencontres en virtuel sont la seule façon de la rejoindre, » relate la coordonnatrice du projet, Jade Pichette. 

Lors des rencontres, un conférencier invité issu de la communauté trans ou non binaire parle de son expérience professionnelle. Ensuite, des salles de discussion virtuelles sont ouvertes. Bien que les rencontres semi-annuelles se déroulent en anglais, Jade Pichette prévoit de créer une salle pour les discussions en français et de planifier davantage de rencontres.

Pour elle, le réseautage entre personnes trans et non-binaires n’a pas de prix. « Voir des gens comme toi qui réussissent, et le faire dans un espace ou tu n’as pas à t’inquiéter de comment on perçoit ton identité — c’est une expérience très puissante. »

 

Quand Bradley Campbell cherchait un emploi en développement des logiciels, il ne visait pas seulement un emploi bien rémunéré avec des projets stimulants — il désirait un emploi où il pouvait être lui-même. Il l’a trouvé à Montréal, chez Osedea. 
Montréalais d’adoption originaire de l’île du Prince-Édouard, Bradley Campbell a suivi une formation en développement de logiciels après la vente au détail et l’enseignement. Il aimait le travail, mais redoutait le boys’ club du monde de la technologie. Il s’identifie comme fluide de genre et a déjà subi de l’intimidation à l’école en raison de sa non-conformité aux normes de genre. Pour lui, trouver un environnement de travail où il pouvait parler librement de sa vie et de son identité, sans craindre d’être ridiculisé ou de subir des conséquences professionnelles, était très important. Aujourd’hui, il fait partie d’une équipe diversifiée, qui compte plusieurs autres personnes issues de la communauté LGBTQ+. À la question, « As-tu l’impression que tu peux être toi-même au travail ? » il répond « Oui », visiblement un peu ému. 
Bradley Campbell relate que lorsque plus de femmes et de personnes LGBTQ+ sont impliquées dans la prise de décisions dans une entreprise, celle-ci est plus accueillante pour les employés LGBTQ+. « Je me sens plus à l’aise dans cet environnement, et si je suis à l’aise comme personne, je peux être plus à l’aise dans ma carrière. » 
Une politique interne 
Après des discussions avec leurs équipes, Osedea s’est doté d’une politique « Un + pour la famille » ce printemps. Le plan couvre à 80 % les frais liés à un traitement de fertilité ou à une adoption, et offre 12 semaines de congé payées à tous les nouveaux parents, sans égard au genre. La compagnie s’est aussi engagée à regarder tous ses programmes à travers le prisme de la diversité, selon Ivana Markovic, responsable de ressources humaines à la petite multinationale basée à Montréal. Pour elle, la diversité « ne peut pas être la responsabilité d’une personne ; ça doit être valorisé par tout le monde et [incorporé] dans tous nos gestes. » Pour Ivana Markovic, cela s’étend des politiques de congé jusqu’à la culture au bureau, qui met l’emphase sur la rétroaction. Elle considère que le chantier de l’inclusion ne sera jamais vraiment achevé. « On apprend tout le temps. Quand quelqu’un dit, “Ce serait mieux si on faisait telle chose,” c’est un bon signe, parce que ça veut dire qu’elle est à l’aise à nous en parler. » 
La compagnie collabore aussi avec Queertech, un OSBL fondé par et pour des personnes LGBTQ+ dans le monde de la haute technologie montréalaise. 
Il y a plusieurs années, Ivana Markovic a assisté à une conférence avec trois panélistes trans. « Je n’avais jamais côtoyé des personnes trans, donc je ne connaissais pas leurs réalités — ça m’a vraiment ouvert les yeux, » se souvient-elle. À présent, Queertech collabore avec Osedea pour organiser plusieurs formations et évènements de recrutement.
Naoufel Testaouni est le cofondateur et PDG de Queertech, qui a été lancé en 2016 comme un simple groupe de réseautage avant d’élargir ses activités à la sensibilisation, l’entraide et les foires d’emploi virtuelles. L’ancien de Microsoft, qui est gai, a trouvé que les personnes LGBTQ+ manquaient de visibilité dans le milieu. Il a démarré un groupe sur le réseau social MeetUp ; après un an, le groupe comptait un millier de membres. « Beaucoup de personnes queer et trans ne se sentent pas toujours soutenues par leurs gestionnaires, elles manquent de modèles et de réseaux [et] elles se retrouvent à éduquer tout le monde, » explique-t-il. « Donc, elles ont tendance à quitter l’industrie et aller où elles se sentent plus soutenues. » Dans les prochaines années, il espère voir plus d’entrepreneurs et de leaders LGBTQ+ dans l’espace techno montréalais : « Une fois qu’on a notre place à la table, on peut transformer les choses. »
Naoufel Testaouni rappelle aux employeurs l’importance d’une stratégie de diversité et d’inclusion à long terme qui inclut la sensibilisation des recruteurs et l’écriture inclusive dans les appels aux candidatures et d’autres documents publics. Il souligne l’apport potentiel de groupes comme Queertech et la Fondation Émergence qui soutiennent la création des lieux de travail inclusifs. « Il ne faut pas attendre le Mois de la Fierté, » lance-t-il, souriant et sérieux à la fois. « C’est un travail de toute l’année. » 

 

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