Pourquoi les mégadonnées bouleverseront l'immobilier


Édition du 21 Mai 2016

Pourquoi les mégadonnées bouleverseront l'immobilier


Édition du 21 Mai 2016

Par Matthieu Charest

Le phénomène des mégadonnées est sur le point de bouleverser le secteur de l'immobilier, du marché des transactions à la gestion de risque. Un tout nouveau marché s'ouvre aux entrepreneurs qui sauront saisir cette occasion d'affaires, tandis que les acteurs établis pourraient se doter d'un net avantage concurrentiel.

«[Les mégadonnées sont] là, c'est déjà arrivé, affirme Andrée De Serres, titulaire de la Chaire Ivanhoé Cambridge d'immobilier ESG UQAM. Si les entreprises veulent rester compétitives, elles doivent s'approprier les données et leur donner un sens.»

Le phénomène dépasse largement toutes les banques de données disponibles : Statistique Canada, Centris, le Registre foncier et autres. «Il faut le voir en trois axes, explique Ramy Sedra, leader information de gestion et solutions analytiques chez PwC. C'est un phénomène qui englobe la vélocité, soit la vitesse avec laquelle on peut maintenant capter les données, le volume d'informations disponibles et leur diversité [vidéos, textes, statistiques, capteurs, etc.]. L'immobilier, qui fourmille de données, est un secteur très propice à l'utilisation du big data.»

Régénérer l'expérience client

Pourtant, l'utilisation des données dans le marché québécois des transactions résidentielles reste timide.

«Les gens tiennent encore à connaître leur courtier, pense Yury Shupilov, courtier chez Groupe Élite Canada depuis six ans. Le bouche à oreille reste encore la meilleure façon de faire son travail. Certaines entreprises m'ont déjà joint pour me vendre la liste des contrats [de courtage] expirés, mais je ne pense vraiment pas que ce soit la meilleure façon d'aborder un client. Dans 10 ans, ça aura sûrement changé.»

Martin Rouleau, courtier immobilier chez Groupe Sutton Centre-Ouest à Montréal, tient un discours semblable. Si le professionnel qui pratique depuis une quinzaine d'années est un usager prolifique du réseau social Instagram, il mise sur la relation client avant tout.

«Instagram, c'est très visuel, très rapide. Je publie [des propriétés] une à deux fois par jour et j'ai plus de 16 000 abonnés ! Ça marche très bien : je reçois des demandes de visite et je vois des partages. Par ailleurs, des conseillers m'ont parlé de certaines start-ups qui fournissent des données aux États-Unis, mais je ne crois pas que ça s'applique au haut de gamme.»

Mis à part les bases de données, le phénomène des mégadonnées serait tout à fait indiqué pour améliorer l'expérience client, juge M. Sedra.

«Aujourd'hui, un courtier devrait faire plus que s'asseoir avec moi et me montrer des propriétés comparables pour évaluer un prix, par exemple. Qu'est-ce qui se dit sur les réseaux sociaux à propos du quartier ? Quelle est la situation sociodémographique du secteur ? Pourquoi ne pas imaginer des lunettes de réalité virtuelle, avec lesquelles un client pourrait effectuer des visites et qui lui permettraient de voir des données apparaître ? Un peu à la "Robocop" ! (Rires.) Avec autant d'informations disponibles, nul doute que le rôle du courtier devra évoluer.»

Optimiser la gestion du risque

Outre l'aspect transactionnel et résidentiel, les mégadonnées ont aussi la capacité de bousculer le financement hypothécaire et d'optimiser la prise de décision des investisseurs.

Un prêteur pourrait très bien visiter une propriété de façon virtuelle afin d'évaluer le risque, par exemple. Une banque ou un courtier aurait donc la possibilité d'examiner toute détérioration visuelle ainsi que les permis accordés pour des rénovations, tout en analysant l'historique de crédit du propriétaire.

Il s'agit donc d'une démarche beaucoup plus «holistique» de l'actif. «Ça peut être un heureux mélange de données et de "pif"», croit Jean-Philippe Meloche, professeur agrégé à l'École d'urbanisme et d'architecture de paysage de l'Université de Montréal.

Par ailleurs, les investisseurs immobiliers ont aussi tout à gagner à se laisser séduire par le phénomène des mégadonnées, selon les experts consultés. «De grandes firmes ou institutions, comme Cadillac Fairview ou Ivanhoé Cambridge, ont certainement des analystes spécialisés pour jouer avec les données, poursuit M. Meloche. Toutefois, tempère-t-il, je ne suis pas sûr de l'usage qu'un courtier ou un client privé pourrait faire d'une banque de données.»

L'exemple du centre commercial

En croisant toutes les données existantes, pense Ramy Sedra, un investisseur peut prendre une décision beaucoup plus éclairée sur une acquisition, un centre commercial, par exemple. Ou encore décider où investir, comment diversifier son portefeuille.

«Au-delà des états financiers du propriétaire actuel, on peut tirer des conclusions sur l'avenir. En analysant les tendances sociodémographiques du secteur, on peut imaginer que certains locataires, des boutiques, perdront des clients à terme, car ils ne s'adressent pas à une catégorie d'âge en croissance. En prime, avec les capteurs, on peut savoir quels endroits sont les plus achalandés, et ajuster les loyers en conséquence.»

Pour l'expert, les possibilités qu'offre le phénomène des mégadonnées en immobilier sont infinies. «La seule limite, c'est l'imagination de nos entrepreneurs.» Le marché existe, les outils aussi. Il ne reste plus qu'à saisir les occasions, semble-t-il.

Quelques entreprises d'ici et d'ailleurs qui font usage des mégadonnées en immobilier

> Zillow.com : À mi-chemin entre le moteur de recherche et l'évaluateur foncier, cette entreprise américaine est connue pour ses Zestimates, un outil qui permet d'évaluer la valeur d'une propriété en temps réel.

> Ubios.co : Une start-up bien de chez nous qui propose des applications pour transformer les résidences en maisons intelligentes.

> Navut.com : Cette entreprise montréalaise offre un outil afin de trouver des propriétés selon les quartiers et le style de vie.

> Potloc.com : L'entreprise québécoise aide les commerçants à trouver l'emplacement géographique idéal en recueillant les avis des consommateurs.

> RealStarter.co : Une société d'Austin, au Texas, qui permet d'investir dans l'immobilier par l'intermédiaire du sociofinancement.

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