De la chenille au papillon

Offert par Les Affaires


Édition du 31 Mai 2014

De la chenille au papillon

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Édition du 31 Mai 2014

[Illustration : Katy Lemay]

À peine quatre entreprises sur dix réussissent complètement leur projet de transformation. La plupart de celles qui n'essaient pas d'évoluer, toutefois, finissent par disparaître. Comment surmonter ce dilemme ?

« À quel moment une entreprise a-t-elle atteint la limite de ce qu'elle peut obtenir sans changer de trajectoire ? » Voilà la question stratégique la plus importante en affaires, soutient Louis Hébert, professeur de stratégie à HEC Montréal. Y répondre clairement est loin d'être simple. « Aux cadres qui me posent cette question dans les cours du MBA, je ne peux que répondre : ça dépend », admet-il.

Selon lui, il n'y a pas de paramètres absolus pour guider les dirigeants dans la prise de cette décision. Il faut examiner à la fois des faits objectifs, comme des changements dans le marché ou une augmentation de la concurrence, et des éléments très subjectifs, comme l'arrivée d'une nouvelle génération dans l'équipe de direction ou le départ imminent d'un propriétaire de l'entreprise.

Trop bien dans ses pantoufles

Le confort est l'ennemi juré de la transformation.

« Quand les choses vont bien, on n'a pas nécessairement envie de tout bouleverser », note Caroline Ménard, associée à la firme de consultants Brio Conseils, spécialisée en gestion du changement.

Une attitude parfois catastrophique, comme l'a démontré le triste épisode de Nortel. Après avoir étudié ce cas pendant trois ans, une équipe de sept chercheurs de l'Université d'Ottawa a récemment conclu que la chute de ce qui était, à son apogée, la neuvième société commerciale la plus importante du monde, tenait en grande partie à une « culture d'arrogance ». Celle-ci l'a empêchée de prendre bonne note des changements dans le marché et des nouveaux besoins de sa clientèle, la rendant ainsi aveugle aux dangers qui la menaçaient. La suite, malheureusement, est passée à l'histoire.

Louis Hébert croit que ce confort tient en partie au phénomène de « l'aversion de la perte ». Les êtres humains tendraient naturellement à protéger leurs acquis, plutôt qu'à maximiser leurs gains. « Autrement dit, on accorde plus de valeur à ce qu'on a qu'à ce qu'on pourrait avoir », résume-t-il. Ajoutez à cela un attachement émotif à son secteur d'activité et la crainte de plonger dans un domaine exigeant des compétences différentes de celles qui font la force de l'entreprise, et vous avez tous les ingrédients pour que rien ne bouge !

Décider d'un grand changement est d'autant plus difficile pour un pdg qu'il risque d'y perdre son poste. Beverly Behan, consultante américaine spécialisée dans les conseils d'administration, soutient, en effet, que les chances sont grandes que des administrateurs se tournent vers un nouveau leader pour réussir une transformation. « Il est assez rare qu'un pdg soit la bonne personne pour effectuer une transformation profonde, dit-elle. Très souvent, le projet de changement doit s'incarner dans un nouveau leader. »

Elle juge même que certains conseils tardent trop à prendre cette décision. « Changer de pdg est risqué. Beaucoup d'administrateurs sont à l'aise avec leur direction, surtout si les résultats sont satisfaisants, et remettent à plus tard ce changement crucial. »

En marchant ou en courant

Parce qu'elles ont trop tergiversé lorsqu'elles étaient au sommet, plusieurs sociétés doivent se réinventer dans l'urgence lorsqu'elles rencontrent des problèmes majeurs. « Ce type de transformation est en fait un échec de la gestion du changement », fait remarquer Louis Hébert, déplorant que tant d'entreprises, à l'instar de GM, doivent avoir recours aux lois sur la faillite pour se transformer. « La rigidité les a menées au bord du gouffre, et elles doivent alors poser des gestes radicaux, plutôt que progressifs. »

Attendre d'être confronté à sa fin imminente n'est pourtant pas inévitable. Oona Stock, associée chez KPMG-Secor, soutient que les entreprises performantes ont une véritable culture de la transformation, et qu'elles savent changer au bon moment.

Elle cite l'exemple d'Intact Assurance. « Cette compagnie se spécialisait dans la fourniture de produits à des courtiers, puis elle a modifié son approche pour vendre directement aux assurés, dit-elle. Ce n'était pas obligatoire. Les dirigeants ont senti que le marché de l'assurance changeait, et que le moment était bien choisi pour prendre ce virage. »

Se transformer à l'aveugle

Bon. La décision est prise : il faut amorcer des changements importants dans l'entreprise. Par quoi commencer ? « Il faut d'abord connaître notre intention stratégique, explique Caroline Ménard. Est-ce que nous voulons augmenter la croissance ? La productivité ? Prendre une plus grande place dans un marché ou en pénétrer un nouveau ? »

Il faut ensuite se faire une idée précise de ce dont l'entreprise aura l'air une fois transformée. Cela peut sembler évident, mais c'est pourtant une des étapes les plus souvent escamotées, selon Caroline Ménard. Les dirigeants sont convaincus d'avoir la même vision ! « Une grave erreur, prévient la consultante. Il arrive très souvent qu'ils fassent une interprétation très différente d'une transformation, dont ils ont pourtant discuté entre eux. Il faut s'assurer de bien définir une vision commune, et que tout soit clair pour tous. » Cela évitera bien des mauvaises surprisespour la suite des choses !

Le conseil vaut aussi pour l'ensemble des employés. « Les dirigeants sous-estiment fréquemment la difficulté qu'il y a à changer la culture d'une entreprise », affirme Caroline Ménard. Pour surmonter cet écueil, elle suggère d'exprimer des attentes très claires et de tirer parti rapidement des premières réussites en démontrant les conséquences positives des changements aux membres du personnel.

Réparer son vélo... en roulant

Il reste que le plus grand défi des dirigeants est de réussir la transformation de l'entreprise tout en continuant de la gérer au quotidien. « Les dirigeants craignent que tout ralentisse pendant le projet de mutation », note Oona Stock. Selon elle, la transformation devrait plutôt être intégrée au plan d'affaires, avec des ressources consacrées entièrement à la concrétisation des changements.

Le défi, ensuite, sera de garder le cap. Certains placent leurs énergies dans une transformation, puis changent tout à coup de direction lorsque se présente une occasion de contrat ou la perspective d'un nouveau marché. « Ce projet doit devenir la priorité, met en garde Caroline Ménard. Si on n'est pas plus décidé que cela, on n'y arrivera jamais ! »

66 % des sociétés du Fortune100 de 1966 avaient carrément disparu en 2006. Parmi elles, 19 seulement figuraient encore au top 100.

Source : Business Exposed : The Naked Truth About What Really Goes on in the World of Business(2010)

On est si bien chez nous

Les entreprises québécoises n'ont pas à rougir de leurs efforts de transformation. Nombre d'entre elles, cependant, hésitent encore devant un changement majeur : se lancer à l'international.

« Non seulement les entreprises du Québec sont assez nombreuses à entreprendre des transformations, mais elles y parviennent en général assez bien, lance Caroline Ménard. Nous avons même de l'avance dans notre approche ! En France ou aux États-Unis, la gestion de la transformation est encore assez peu intégrée dans les organisations. »

Selon Louis Hébert, les turbulences économiques fréquentes des dernières décennies ont forcé les entreprises d'ici à être plus agiles. Il cite l'exemple de Cascades, qui a réussi sa transformation dans les pâtes et papiers, un secteur pourtant presque sinistré au Québec. « Cascades s'est non seulement transformée, mais elle a généré de la croissance et elle a toujours évité la faillite, alors qu'AbitibiBowater, dans le même secteur, a dû se mettre à l'abri de ses créanciers en 2009 et a connu une forte décroissance, faute de s'être suffisamment transformée. »

La diversité pour sortir de sa zone de confort

Oona Stock estime pour sa part que trop d'entreprises québécoises sont encore très casanières. Aller vers l'international est pourtant la transformation la plus importante qu'une entreprise puisse entreprendre. Une étude à laquelle 500 dirigeants d'entreprise ont participé lui a permis de distinguer différents groupes, avec des appétits très variables pour l'international.

Elle a notamment relevé que pour environ un tiers des entreprises, il est tout simplement hors de question de se risquer à l'extérieur du Québec. Il s'agit majoritairement de petites entreprises, dont le chiffre d'affaires est inférieur à 10 millions de dollars, qui comptent moins de 50 employés et qui existent depuis plus de cinq ans. Leur équipe de direction est très homogène, craint les dettes comme la peste et ne cherche pas à décupler la croissance.

À l'inverse, près de 15 % des entreprises sondées anticipent dès le départ une croissance à l'international. Sans surprise, il s'agit souvent de start-ups menées par des jeunes. Ces derniers ont étudié à l'international, voyagent beaucoup et ont une grande ouverture d'esprit. « Leur défi est de bien s'entourer, prévient Oona Stock. Ils ont de grandes compétences dans leur domaine, mais ils ont besoin de l'appui de gestionnaires chevronnés. »

Aux yeux de la consultante, l'essentiel est d'éviter une trop grande homogénéité chez les hauts dirigeants. « Les idées reçues doivent être remises en question ! » s'exclame-t-elle. Pour briser le statu quo, elle suggère de miser sur une plus grande diversité culturelle et d'embaucher des hommes et des femmes aux idées différentes. Puis, bien sûr, d'écouter ces nouvelles recrues... surtout si leurs idées dérangent. Après tout, qui sait à quoi pourrait ressembler l'entreprise si elle avait le courage de se transformer !

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