Les deux problèmes fondamentaux des fonds communs de placement


Édition du 22 Septembre 2018

Les deux problèmes fondamentaux des fonds communs de placement


Édition du 22 Septembre 2018

Par Philippe Leblanc

À la base, les fonds communs sont un excellent instrument de placement. Le problème réside dans la façon dont ils sont exploités.

Je n'ai rien contre les fonds communs de placement. Au contraire : chez COTE 100, nous gérons cinq fonds communs depuis de nombreuses années. En général, je crois que les fonds sont un excellent instrument pour investir en Bourse, particulièrement lorsqu'on commence à investir et qu'on a des sommes relativement modestes à placer. Ils permettent d'obtenir un portefeuille diversifié de placements géré activement par des professionnels et aussi de se familiariser graduellement avec le monde de la Bourse et de l'investissement.

Si j'ai de grandes réserves (le mot est faible) à l'égard des fonds, ce n'est pas foncièrement en raison de leur structure et de leur mission d'origine, mais plutôt contre ce qu'en ont fait les grandes familles de fonds communs et les grandes banques canadiennes.

Pour moi, deux problèmes fondamentaux font des fonds communs de placement canadiens en général de bien mauvais placements pour les investisseurs. Premièrement, leur frais sont élevés. Deuxièmement, la façon dont la majorité des grands fonds sont gérés pose problème.

À la mi-juin, le Globe & Mail publiait une étude sur les 100 plus importants fonds communs de placement canadiens en matière d'actif sous gestion au 31 décembre 2017. Les chiffres proviennent de Fundata Canada. On y voit quelques données fort intéressantes.

Un exemple : le fonds Portefeuille équilibré sélect RBC est le fonds le plus important du tableau colligé par le quotidien. Son actif au 31 décembre était de plus de 28,2 milliards de dollars. Son rendement annuel composé des 10 dernières années a été de 4,6 % comparativement à un rendement de 7,1 % pour son indice de référence. C'est une sous-performance annuelle moyenne de 2,6 % (les chiffres de rendement sont arrondis, ce qui explique que leur différentiel n'est pas exact). En outre, le ratio des frais de gestion du fonds était de 1,94 % en 2013 et était toujours de 1,94 % en 2017.

Globalement, ces 100 fonds (du plus gros, cité plus haut, au 100e, le BMO Actions canadiennes série A, avec un peu plus de 2,4 G$ d'actifs sous gestion) comptaient quelque 566,7 G$ d'actifs sous gestion au 31 décembre 2017, soit 38,4 % de la totalité de l'actif sous gestion de tous les fonds communs canadiens. Pour ces 100 plus gros fonds canadiens, le chroniqueur Rob Carrick tire les deux conclusions suivantes :

1. Au cours des 10 dernières années, ils ont en moyenne sous-performé leur indice de référence de 0,85 % ;

2. Leur plus récent ratio de frais de gestion moyen a été de 1,9863 %, une baisse de 0,0528 % par rapport à 2,0391 % il y a cinq ans.

Les ratios de frais de gestion élevés

Avec des milliards de dollars sous gestion, comment se fait-il que la plupart des plus grands fonds canadiens aient encore des ratios de frais de gestion aussi élevés ?

L'idée derrière l'accumulation d'actifs n'est-elle pas d'obtenir des économies d'échelle et de permettre aux détenteurs de jouir de frais de gestion moindres ? Avec des frais approchant les 2 % annuellement, peut-on être surpris que, en moyenne, les fonds ne réussissent pas à battre leurs indices de référence ?

Un autre point à souligner est que plusieurs des 100 fonds de la liste sont des fonds équilibrés. C'est donc dire qu'ils investissent une partie importante de leur actif dans des obligations. Comment un tel fonds peut-il charger près de 2 % de frais de gestion à ses détenteurs alors que les taux des obligations 10 ans du gouvernement canadien ne sont que de 2,30 % présentement ?

À titre d'exemple, le fonds Fidelity Équilibre Canada (série A), dont l'actif est de 7,1 G$, selon M. Carrick, et dont le ratio de frais de gestion était de 2,27 % en 2017, a investi 48 % de son portefeuille dans des obligations, selon ce que j'ai pu trouver sur le site de Morningstar.

Laisser gonfler ses actifs

Comment une société qui gère des fonds communs de placement en actions canadiennes peut-elle laisser gonfler ses actifs à des milliards de dollars quand on sait que le marché canadien offre relativement peu de profondeur ? Par la force des choses, ces fonds ne peuvent pas réellement se démarquer des autres, car ils n'ont d'autre choix que de détenir la majorité des titres de sociétés de grande envergure au Canada. Au final, je serais prêt à parier que la plupart de ces fonds détiennent à peu près les mêmes titres et que leur portefeuille s'apparente beaucoup au marché canadien dans son ensemble. Pourquoi un investisseur les achèterait-il plutôt que d'acheter des indices ou des fonds indiciels dont les frais sont sensiblement moindres ?

À mon avis, la réponse aux deux points précédents est que la majorité des promoteurs de fonds communs canadiens place leur intérêt avant celui des détenteurs de parts.

Petite anecdote: je lisais récemment que la Banque Royale du Canada (dont nous sommes actionnaires chez COTE 100) avait écopé d'une pénalité (dérisoire) de 1,1 M$ parce que sa division de fonds, la Royal Mutual Funds, avait payé une commission de 10 points de base (0,1 %) supplémentaires à ses représentants lorsque ces derniers vendaient les fonds Solutions de portefeuille de la Banque au lieu de ceux de fonds de tiers (entre novembre 2011 et octobre 2016). Selon une estimation que j'ai lue, ce stratagème illégal aurait permis à la Royal Mutual Funds d'augmenter ses revenus de plus de 120 M$ pendant près de cinq ans. Devant une telle somme, une pénalité de 1,1 M$ me semble bien insignifiante.

À la base, les fonds communs sont un excellent instrument de placement. Le problème réside dans la façon dont ils sont exploités. Ils sont trop gros et maximisent leur rentabilité aux dépens des investisseurs.

S'il n'en tenait qu'à moi, je donnerais une note de A à l'industrie canadienne des fonds pour sa capacité de recueillir des actifs et un D pour sa performance et ses rendements.

EXPERT-INVITÉ
Philippe Le Blanc est gestionnaire de portefeuille chez COTE 100 et éditeur de la Lettre financière COTE 100. Plusieurs comptes sous la gestion de COTE 100 possèdent des actions de Berkshire Hathaway.

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