Il faut un second port de conteneurs au Québec

Publié le 14/08/2020 à 18:36

Il faut un second port de conteneurs au Québec

Publié le 14/08/2020 à 18:36

Le port de Montréal est le seul port de conteneurs au Québec, et l'un des deux seuls sur la côte Est du Canada avec celui d'Halifax.(source: courtoisie)

ANALYSE ÉCONOMIQUE – De la Bourse au commerce international, les investisseurs et les entrepreneurs avisés ne mettent jamais tous leurs œufs dans le même panier, et ce, afin de diversifier et de réduire leurs risques. Le transport de conteneurs n’échappe pas à cette logique. C’est pourquoi une économie et un territoire de la taille du Québec a besoin d’un second port de conteneurs pour offrir une alternative à ses entreprises.

C’est LA grande leçon à tirer de la grève actuelle au port de Montréal, le seul port de conteneurs au Québec, et l’un des deux sur la côte Est du Canada avec Halifax. Bien entendu, les travailleurs syndiqués ont le droit de faire la grève, tout comme les employeurs peuvent déclencher un lock-out. C’est prévu par la loi. Syndiqués et patrons ont donc le droit légitime de l’exercer, car nous vivons en démocratie et dans un État de droit.

Pour autant, il est tout aussi légitime de vouloir réduire l’impact des conflits de travail sur l’économie et les entreprises du Québec (sans recourir toutefois à des moyens illégaux comme des briseurs de grève), car cette grève au port de Montréal fait mal à des centaines de sociétés, voire des milliers.

On l'oublie parfois, mais un port de conteneurs est un service essentiel pour une économie, surtout pour une économie ouverte sur le monde le Québec.

«La grève actuellement en cours fragilise grandement la capacité d’exportation et les chaînes d’approvisionnement des entreprises manufacturières québécoises et ce, alors qu’elles ont eu à encaisser plusieurs coups récemment, pensons au blocus ferroviaire, à la pandémie de la COVID-19 et à l’imposition de tarifs sur l’aluminium», souligne dans un communiqué la PDG de Manufacturiers et exportateurs du Québec (MEQ), Véronique Proulx.

C’est pourquoi les principales associations patronales du Québec -MEQ, Conseil du patronat du Québec, Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, Fédération des chambres de commerce du Québec- réclament «l’intervention immédiate» d’Ottawa afin de permettre un retour rapide aux activités normales au port de Montréal.

Pour sa part, la Chambre de commerce du Montréal métropolitain affirme qu’il faut «imposer l’arbitrage et exiger le retour au travail».

Cette stratégie peut sans doute fonctionner à court terme, mais elle s’attaque pas à long terme au nœud gordien de cette problématique : le port de Montréal détient un monopole sur le transport de conteneurs au Québec, et un monopole représente rarement une situation optimale et souhaitable pour les entreprises actives à l'international.

Halifax n’est pas vraiment une alternative à Montréal

D’aucuns diront sans doute que le port d’Halifax (qui a grosso modo le tiers de la capacité annuelle de manutention des conteneurs de Montréal) constitue une alternative pour les exportateurs et les importateurs du Québec.

Sommes-nous vraiment conscients de la distance entre la région de Montréal et Halifax? Par train ou par camion, c’est pratiquement deux fois la distance entre la métropole et Toronto. Or, cette distance représente du temps et de l’argent pour les entrepreneurs québécois.

Du reste, pour le sud du Québec (le poumon économique), les ports de conteneurs de Boston ainsi que celui de New York/New Jersey sont deux fois moins loin que celui d‘Halifax...

Les liens commerciaux entre le Québec et ces deux ports existent depuis décennies, voire des siècles, et ils se sont renforcés avec le libre-échange canado-américain, entré en vigueur en 1989.

Mais dans contexte où l’on assiste à une montée du protectionnisme aux États-Unis depuis la Grande récession de 2007-2009, voulons-nous vraiment qu’une alternative au port de Montréal soit située en territoire américain?

L’alternative est à Québec, avec le projet Laurentia

Cela ne fait pas les manchettes (surtout dans la région de Montréal), mais il y a une vraie alternative en gestation pour doter notre économie d’un second port de conteneurs. Il s'agit du projet Laurentia de l’Administration portuaire de Québec (APQ), dont les activités sont limitées actuellement au vrac liquide et solide.

Ce projet consiste à construire un nouveau terminal de conteneurs dans le secteur de la Baie de Beauport, comme on peut le voir sur photomontage.

(source : Administration portuaire de Québec)

Le port de Québec souhaite ainsi se positionner afin de devenir une nouvelle destination pour les grands navires de conteneurs qui relient l’Asie à la côte Est de l’Amérique du Nord via le canal de Suez (dont des travaux de dragage en 2014 et 2015 ont accru ses capacités) et la Méditerranée.

L’APQ planifie un investissement de 775 millions de dollars, et ce, avec deux partenaires privés, Hutchison Ports, un important opérateur d’installations portuaires de conteneurs au monde, et le Canadien National (CN).

L’APQ et ses partenaires comptent injecter 595 M$ dans ce projet, soit 77% des fonds. La participation souhaitée de la part des gouvernements s’élève donc à 180 M$, soit 23% de la valeur. Des pourparlers sont d'ailleurs en cours actuellement, selon une source de l'organisation.

Si le projet reçoit le feu vert de l’Agence canadienne d’évaluation environnementale, les travaux débuteront en 2021 et la mise en service aura lieu en 2024.

À son rythme de croisière, ce port de conteneurs en eau profonde (pouvant accueillir les mastodontes des mers, de type Panamax et Post-Panamax) aura une capacité annuelle de 700 000 EVP (conteneurs équivalent vingt pieds).

Cela représente 40% de la capacités de conteneurs du port de Montréal en 2019, selon une analyse des enjeux économiques du projet Laurentia, publiée en mai par Alain Dubuc, ancien éditeur du quotidien Le Soleil, aujourd'hui professeur invité à HEC Montréal et conseiller stratégique à l’Institut du Québec.

Une nouvelle concurrence pour Montréal

Il va sans dire que ce projet aura un impact sur le port de Montréal, car le nouveau terminal de conteneurs desservira le Québec et une bonne partie du nord-est de l’Amérique du Nord, à commencer par le cœur industriel autour des Grands Lacs. Cela dit, en affaire, la concurrence est la mère de l'innovation, et le transport maritime n’échappe pas à cette logique. 

Chose certaine, pour les entreprises du Québec, la présence de deux ports de conteneurs sur le Saint-Laurent, situés à moins de 300 kilomètres de distance l'un de l'autre, leur procurerait deux plateformes commerciales intéressantes pour exporter leurs marchandises ou importer leurs intrants.

Mais, surtout, ce second port leur permettrait de diversifier et de réduire leur risque logistique, et de ne pas voir leurs activités perturbées par un conflit de travail dans l’un de ces deux ports. Car une grève simultanée est improbable, même si les débardeurs -actuellement affiliés au Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) à Québec et Montréal- pourraient sans doute techniquement déclencher conjointement une grève.

Le risque zéro n'existe pas, mais on peut certainement le diminuer.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse bimensuelle Zoom sur le Québec, François Normand traite des enjeux auxquels font face les entrepreneurs aux quatre coins du Québec, et ce, de la productivité à la pénurie de la main-d’œuvre en passant par la 4e révolution industrielle et les politiques de développement économique. Journaliste à Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en ressources naturelles, en énergie, en commerce international et dans le manufacturier 4.0. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Actuellement, il fait un MBA à temps partiel à l'Université de Sherbrooke. François connaît bien le Québec. Il a grandi en Gaspésie. Il a étudié pendant 9 ans à Québec (incluant une incursion d’un an à Trois-Rivières). Il a été journaliste à Granby durant trois mois au quotidien à La Voix de l’Est. Il a vécu 5 ans sur le Plateau Mont-Royal. Et, depuis 2002, il habite sur la Rive-Sud de Montréal.