Faut-il imposer une levée des brevets pour vaincre la COVID-19?

Publié le 08/05/2021 à 08:45

Faut-il imposer une levée des brevets pour vaincre la COVID-19?

Publié le 08/05/2021 à 08:45

Des proches s'éloignent des corps des victimes de la COVID-19 incinérés sur les rives du Gange le 6 mai 2021 à Allahabad, en Inde. ( Photo: Getty Images)

ANALYSE ÉCONOMIQUE — Cette prise de position a eu l’effet d’une bombe auprès des pharmaceutiques et de certains investisseurs : les États-Unis sont en faveur d’une levée temporaire des brevets sur les vaccins contre la COVID-19 afin de venir à bout plus rapidement de la pandémie, en permettant à des pays émergents de vacciner massivement leur population.

« Il s'agit d'une crise sanitaire mondiale, et les circonstances extraordinaires de la pandémie de COVID-19 appellent à des mesures extraordinaires », a fait savoir jeudi dans un communiqué la représentante américaine au commerce (USTR), Katherine Tai.

Washington répondait ainsi à l’appel fait par l’Inde et l’Afrique du Sud auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), et qui affirment pouvoir déployer des capacités supplémentaires de production de vaccins.

Pour que la requêtre des Indiens et des Sud-Africains soit acceptée, les 164 pays membres de l'OMC doivent s'entendre à ce sujet.

Grosso modo, une levée des brevets permettrait de partager la « recette des vaccins » des Pfizer et autres AstraZeneca de ce monde. D’autres entreprises pourraient ainsi fabriquer des vaccins contre la COVID-19 sans l’accord préalable des grandes pharmaceutiques qui les ont conçus.

L’administration Biden a fait cette sortie — est-ce le fruit du hasard ? — la journée même où l'américaine Pfizer annonçait avoir réalisé des ventes de 3,5 milliards de dollars américains (4,3 G$CA) pour son vaccin au premier trimestre de 2021, et dégagé des profits de 900 millions de dollars, soit une marge de 26%.

Sans surprise, la position de Washington a provoqué une levée de boucliers de l’industrie pharmaceutique, sans parler de pays comme l’Allemagne, rapporte le Financial Times de Londres.

Par contre, la France et la Russie sont en faveur, alors que le Canada s'y oppose, même si tous les partis d'opposition à Ottawa demandent au gouvernement de Justin Trudeau d'adopter la position des Américains. 

 

Les arguments des opposants à la levée des brevets

L’argument des pharmaceutiques est qu’une levée des brevets les priverait de revenus futurs. Cela découragerait aussi l’investissement en R-D, puisque leur rendement sur l’investissement pourrait être en partie saisi par des décisions politiques.

Enfin, ce procédé soulèverait également un enjeu de financement, car des investisseurs pourraient y penser deux fois avant d’injecter des capitaux dans une pharmaceutique.

 

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De leur côté, les partisans de la levée des brevets font valoir des impératifs humanitaires, de santé publique et de bien commun, qui surpasseraient les intérêts privés des pharmaceutiques.

Ils font aussi valoir que l’industrie a bénéficié d’un financement public hors norme pour élaborer les vaccins anti-COVID-19, comme le rappelle le quotidien financier français Les Échos.

Et qu’il est alors tout à fait compréhensible, dans ce contexte, que la « recette des vaccins » soit partagée temporairement afin d’arrêter le plus rapidement possible la pire pandémie depuis la grippe espagnole, qui a sévi de 1918 à 1920.

On va se dire les vraies affaires, pour reprendre l’adage populaire.

Ceux et celles qui pensent qu’il suffit de vacciner (avec deux doses, voire trois) plus de 70% des Québécois pour mettre cette crise sanitaire derrière nous se bercent d'illusions.

Nous serons uniquement en sécurité que lorsque plus de 70% de la population mondiale aura été vaccinée (l’immunité collective), affirment les spécialistes en santé publique. Et pas dans trois à cinq ans; il faut le faire le plus vite possible, c’est-à-dire en 2021-2022.

Pour y arriver, il faut nécessairement accélérer la cadence de production et de distribution des vaccins. Deux options sont sur la table : imposer une levée des brevets sur les vaccins ou aider les pharmaceutiques à augmenter leurs capacités de production et de distribution.

Si l’on choisit la seconde option, il faut se poser une question fondamentale : que feront les pharmaceutiques de cette surcapacité de production de vaccins à la fin de la pandémie et, surtout, qui paiera la note?

Selon le magazine américain Foreign Policy, les fabricants de vaccins prévoient rendre disponibles 12 milliards de doses d’ici la fin de 2021. De plus, 11 milliards de doses permettraient de vacciner 70% de la population mondiale (deux doses par personne), ce qui serait suffisamment pour dépasser les seuils estimés d’immunité collective.

C’est bien, mais encore faut-il être capable de livrer ces doses dans les villes, les villages, les campagnes, puis de les administrer à des milliards d'individus, et ce, de la République du Congo au Pérou en passant par le Vietnam.

 

Le nerf de la guerre : la vitesse d’exécution

Nous sommes dans une course mondiale contre la montre.

Plus cette pandémie perdurera (surtout dans les pays non développés ou émergents), plus nous courons le risque qu'une mutation rende le virus beaucoup plus contagieux, mortel, voire résistant aux vaccins actuels qui sont efficaces contre les variants.

Pour mettre les choses en perspective, 9,5% des Indiens avaient reçu au moins une dose de vaccin le 6 mai 2021, selon le site Our Word in Data. Au Québec, c’est maintenant plus de 40%, selon la santé publique.

Dans le cas de l'Inde, où la situation est chaotique, c’est lent, beaucoup trop lent.

La seule question à se poser et à répondre avec certitude est la suivante : quelle est la meilleure stratégie pour atteindre l’immunité collective mondiale le plus rapidement possible?

Permettre à des entreprises locales sur tous les continents de produire des vaccins grâce à une levée temporaire des brevets ou aider les pharmaceutiques ayant conçu les vaccins à accroître leur production?

Il faut aussi évaluer laquelle de ces options est la plus efficace sur le plan de la logistique (la production, la distribution, la vaccination) pour immuniser les gens sur un horizon de 12 à 18 mois.

Et vous, avez-vous une petite idée en tête?

 

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse bimensuelle Zoom sur le Québec, François Normand traite des enjeux auxquels font face les entrepreneurs aux quatre coins du Québec, et ce, de la productivité à la pénurie de la main-d’œuvre en passant par la 4e révolution industrielle et les politiques de développement économique. Journaliste à Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en ressources naturelles, en énergie, en commerce international et dans le manufacturier 4.0. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Actuellement, il fait un MBA à temps partiel à l'Université de Sherbrooke. François connaît bien le Québec. Il a grandi en Gaspésie. Il a étudié pendant 9 ans à Québec (incluant une incursion d’un an à Trois-Rivières). Il a été journaliste à Granby durant trois mois au quotidien à La Voix de l’Est. Il a vécu 5 ans sur le Plateau Mont-Royal. Et, depuis 2002, il habite sur la Rive-Sud de Montréal.