Climat: fixons des cibles annuelles plutôt qu’à long terme

Publié le 23/04/2021 à 16:29

Climat: fixons des cibles annuelles plutôt qu’à long terme

Publié le 23/04/2021 à 16:29

Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, lors du sommet sur le climat organisé cette semaine par les États-Unis. (Photo: Adrian Wyld pour La Presse Canadienne)

ANALYSE ÉCONOMIQUE — C’est fou comme les choses bougent très rapidement en matière de lutte aux changements climatiques. Et je ne vous parle pas des réductions des gaz à effet de serre (GES), mais plutôt des cibles. En moins d’une semaine, celle du Canada d’ici 2030 est passée de 30%, à 36%, puis à une fourchette de 40 à 45%.

Oui, oui, vous avez bien lu : un bond de 10 à 15 points de pourcentage en moins d’une semaine, rien de moins!

Avant le budget fédéral de lundi dernier, la cible du Canada était une réduction de 30% de GES d’ici 2030 par rapport au niveau de 2005.

Lors du budget présenté par la ministre fédérale des Finances Chrystia Freeland, nous avons appris qu’Ottawa a décidé de porter cette cible à 36% par rapport à cette année de référence. Et, cette semaine, lors de la conférence virtuelle sur le climat organisée par les États-Unis, le Canada a proposé une nouvelle cible oscillant cette fois dans une fourchette de 40% à 45%, toujours comparativement à 2005.

Moi aussi j’ai mal à la tête.

Plusieurs analyses ont pointé du doigt — avec raison — le fait que le Canada s’impose de nouvelles cibles, alors qu’il n’a même pas été capable de respecter ses anciens engagements.

Comme le soulignait ce vendredi dans La Presse le collègue Francis Vailles, les émissions de GES du Canada n’ont même pas baissé depuis l'Accord de Kyoto, dans les années 1990: elles ont même bondi de 21%, pour atteindre 730 millions de tonnes en 2019.

Ottawa a récemment publié l’Inventaire officiel canadien des gaz à effet de serre qui détaille cette situation.

C’est en 2015, dans la foulée de l’Accord de Paris sur le Climat, le Canada s’est fixé la cible de réduire ses émissions de GES de 30% par rapport à 2005.

 

Les émissions ont diminué de 1,1% entre 2015 et 2019

Or, cinq ans plus tard, les émissions canadiennes n’ont diminué que de 1,1%...

Sortons maintenant la calculatrice pour faire un petit calcul très simple. Si le Canada avait voulu respecter son ancienne cible de 30% d’ici 2030, il aurait dû diminuer en moyenne ses émissions de 2% par année (30% / 15 ans) au cours de la période 2005-2030.

Dans cette même logique, la cible de 36% annoncée lors du budget fédéral aurait nécessité une réduction annuelle moyenne de 2,4%. Et pour la nouvelle fourchette de 40 à 45%, on parle d’une diminution moyenne théorique oscillant de 2,7% à 3% par année!

Je dis théorique, car le Canada n’a réduit ses émissions que de 1,1% entre 2015 et 2019, soit une moyenne de 0,27% par année…

Par conséquent, la nouvelle cible réelle du Canada est plus élevée.

En fait, le Canada doit pratiquement diminuer ses émissions de 40 à 45% en 9 ans…

C’est une très grosse commande. Certains affirment même que les nouvelles cibles sont irréalistes.

Le hic, c’est que nous n’avons pas le choix.

À moins bien entendu que nous voulions vivre dans un monde beaucoup plus chaud, instable, ravagé par des catastrophes naturelles et humanitaires, sans parler d’un effondrement de la biodiversité.

En septembre 2020, la Californie étouffait en raison des feux de forêt, à commencer par San Francisco. (Photo: Getty Images))

Quand un bateau coule, il faut pomper l'eau

C’est un peu comme si nous étions sur un bateau qui prenait l’eau, et qu’il fallait pomper 1 000 litres d’eau par heure pendant 10 heures pour arriver au prochain port en toute sécurité.

L’enjeu ne serait pas de savoir si cette cible de pompage est réaliste ou non: il faudrait pomper l’eau pour ne pas couler en chemin.

Point.

Eh bien, c’est à peu près la même chose avec la lutte aux changements climatiques.

Nous devons absolument limiter le réchauffement de la Terre à moins de 2% par rapport au début de l’ère industrielle pour éviter le pire. Or, la planète s’est déjà réchauffée de 1,1% depuis le 19e siècle.

Il va donc falloir pomper beaucoup d’eau par année d’ici 2030 afin d’arriver à bon port, et commencer dès maintenant à le faire.

C’est la raison pour laquelle il faut rompre avec cette mauvaise approche de fixer des cibles de réduction de GES à long terme, sur un horizon de 10, 15, voire 25 ans.

Ces dernières donnent un faux sentiment de sécurité et d'engagement, en plus d’inciter à l’inaction.

Fixons-nous plutôt des cibles ambitieuses de réduction annuelles, dont l’exécution serait réévaluée chaque semestre, question de réajuster le tir au besoin.

Par exemple, si le Canada doit réduire ses émissions de GES de 45% d’ici 2030 de manière absolue, fixons-nous une cible annuelle de 5% par année (45% / 9 ans).

Et faisons l’impossible pour la respecter.

C’est la seule manière que le Canada peut atteindre ses cibles.

Et que nous commencions (enfin) à pomper l’eau dans la cale du bateau dès maintenant, et non pas à la dernière minute, quand ce dernier aura presque sombré.

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse bimensuelle Zoom sur le Québec, François Normand traite des enjeux auxquels font face les entrepreneurs aux quatre coins du Québec, et ce, de la productivité à la pénurie de la main-d’œuvre en passant par la 4e révolution industrielle et les politiques de développement économique. Journaliste à Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en ressources naturelles, en énergie, en commerce international et dans le manufacturier 4.0. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Actuellement, il fait un MBA à temps partiel à l'Université de Sherbrooke. François connaît bien le Québec. Il a grandi en Gaspésie. Il a étudié pendant 9 ans à Québec (incluant une incursion d’un an à Trois-Rivières). Il a été journaliste à Granby durant trois mois au quotidien à La Voix de l’Est. Il a vécu 5 ans sur le Plateau Mont-Royal. Et, depuis 2002, il habite sur la Rive-Sud de Montréal.